Bien que cela soit interdit, les enfants continuent d’être recrutés et utilisés à des fins diverses dans des conflits armés, parfois par des groupes armés désignés comme des groupes « terroristes ». Il est indispensable que les politiques et les mesures prises dans le cadre de la lutte contre l’extrême violence à laquelle ces groupes recourent, considèrent les enfants, quand bien même ils seraient associés à des groupes armés, d’abord et avant tout comme des victimes et qu’elles s’efforcent de trouver des solutions qui soient toujours conformes à l’intérêt supérieur de l’enfant.
Ces dernières années, le recrutement et l’utilisation d’enfants par des groupes désignés par le Conseil de Sécurité des Nations Unies ou par certains États, comme des groupes « terroristes », ont retenu l’attention des décideurs politiques et de l’opinion publique. Il est important de relever que, dans sa Résolution 2427 (2018), le Conseil de Sécurité de l’ONU a souligné « la nécessité de prêter une attention particulière au traitement des enfants qui sont ou seraient associés à tous groupes armés non étatiques, notamment ceux qui commettent des actes de terrorisme » et l’intérêt croissant pour cette question, a conduit les décideurs politiques à intégrer la protection des enfants et les principes de la justice des mineurs dans l’« écosystème » de la lutte contre le terrorisme, à l’instar du Mémorandum de Neuchâtel, du manuel publié par l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime et du guide accompagné d’une série de principes fondamentaux élaborés par le Bureau de lutte contre le terrorisme des Nations Unies.
Cependant, parallèlement à la réaffirmation de ces protections, des législations et des politiques élaborées pour lutter contre l’extrémisme violent, ont été largement inspirées et influencées par la réalité du recrutement et de l’utilisation d’enfants par des « groupes qualifiés de « terroristes ».
Les conséquences sur les enfants de ces législations et de ces politiques qui sont adoptées dans le cadre de la lutte contre le terrorisme rejoignent d’autres questions cruciales, au premier rang desquelles les discussions, confuses bien qu’essentielles, relatives à ce qui permet de qualifier réellement un groupe de « terroriste », en l’absence d’une définition universellement reconnue. Ces désignations ne se fondent sur aucune analyse juridique objective et sont donc souvent subjectives.
Cependant et par-dessus tout, le fait d’appliquer aux enfants associés à des groupes armés désignés comme des groupes « terroristes » les législations et les politiques adoptées dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, soulève une série de questions au regard de leur protection, comme celles relatives à la détention et au traitement des enfants dans le système pénal, à la possibilité de condamner des enfants accusés d’avoir commis des actes terroristes à la peine capitale, de la séparation de ces enfants avec les membres de leur famille, ou encore de l’âge de la responsabilité pénale.
Appliquer ces législations et politiques aux enfants risque aussi de conduire à un changement de paradigme, en passant d’une logique de protection à une logique sécuritaire, ce qui remet inévitablement en question la protection spéciale accordée aux enfants par le droit international humanitaire (DIH) et par le droit international des droits de l’homme (DIDH). Sauf quelques rares exceptions, cette question a jusqu’à présent suscité assez peu d’intérêt.
Victimes ou coupables ?
Dans le cadre d’un conflit, il est reconnu que les enfants ont un double statut ; par exemple, les Principes de Paris soulignent que les enfants accusés d’avoir commis des crimes de droit international alors qu’ils étaient associés à des forces armées ou à des groupes armés « doivent être considérés principalement comme les victimes d’atteintes au droit international, et non pas seulement comme les auteurs présumés d’infractions ».
Envisagé sous l’angle du DIH et du DIDH, c’est évidemment le cas. Le Statut de Rome de la Cour pénale internationale et le Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l’enfant interdisent seulement d’enrôler et d’utiliser des enfants dans les hostilités, sous peine d’engager la responsabilité pénale individuelle. Les enfants bénéficient quant à eux d’une protection spéciale qui est fondée sur leur innocence et leur vulnérabilité, ce qui leur confère des droits, mais une agentivité limitée.
Cependant, ces dernières années, cette approche restrictive consistant à considérer tous les enfants associés à un groupe armé comme des victimes, a été critiquée pour être trop simpliste et pour ne tenir compte ni de la propre agentivité des enfants, ni de la perception qu’ils peuvent avoir de leur rôle. On oppose souvent à cette approche que l’interdiction d’enrôler et d’utiliser des enfants ne prescrit pas la marche à suivre pour engager la responsabilité pénale individuelle des enfants qui peuvent avoir participé à des crimes. Indépendamment du fait qu’ils soient considérés comme des auteurs, les enfants continuent, conformément au DIH et au DIH, à être spécialement protégés, ce qui oblige donc les États à se fonder sur les principes de la justice des mineurs, à trouver des alternatives à la poursuite pénale et à privilégier la réhabilitation et la réintégration.[1]
À l’inverse, dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, les enfants qui participent à des « activités terroristes » ou qui sont associés à des groupes désignés comme des groupes « terroristes » sont avant tout considérés comme une menace et leur cas est traité sous un angle sécuritaire, qui met d’abord l’accent sur leur rôle en tant qu’auteurs. Par exemple, dans la Résolution 2396 (2017) sur le retour des combattants étrangers et de leur famille, le Conseil de Sécurité de l’ONU a souligné que les États membres avaient l’obligation de veiller à ce que « toute personne participant (…) à la perpétration d’actes de terrorisme (…) soit traduite en justice » notamment « pour les combattants terroristes étrangers et les conjoints et les enfants qui les accompagnent à leur retour ou à leur réinstallation », nonobstant la reconnaissance que les femmes et les enfants « nécessitent une attention particulière pour ce qui est d’élaborer des stratégies concernant les poursuites, la réadaptation et la réinsertion », puisqu’ils « peuvent avoir joué de nombreux rôles différents ».
Comment cela se passe-t-il concrètement ? Dans les zones de conflit, des milliers d’enfants sont détenus au simple motif qu’ils sont soupçonnés d’être associés à des groupes qualifiés de groupes terroristes. Dans le même temps, certains États d’origine des combattants étrangers et de leurs enfants refusent de rapatrier ces individus, ce qui crée un contentieux dans plusieurs pays d’Europe de l’Ouest, avec de possibles répercussions majeures.[2]
La résolution 2427 du Conseil de Sécurité de l’ONU s’inscrit à contre-courant de cette tendance en réaffirmant avec force et nécessité le cadre de protection auquel les enfants ont droit lorsqu’ils sont associés à des groupes qualifiés de groupes « terroristes ». D’expérience, nous savons que les enfants risquent une double peine : d’abord lorsqu’ils sont recrutés, utilisés et exposés à la violence à un très jeune âge, puis lorsqu’ils sont considérés comme une menace. Il est indispensable de faire preuve d’humanité, d’accompagner tout enfant que l’on oblige à vivre dans un monde de violence et de travailler à trouver des solutions qui font de l’intérêt supérieur de l’enfant une priorité.
Notes
[1] En plus des Principes de Paris, voir l’article 6, par. 3 du Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l’enfant et le par. 21 de la résolution 2427 (2018) du Conseil de Sécurité.
[2] Voir, par exemple, Al Jazeera, « Dutch state to appeal order to take back children of ISIL Mother », 12 novembre 2019 ; Al Jazeera, « German Court Rules on Repatriation of Syria ISIL Fighter’s Family», 11 juillet 2019 ; The Washington Post, « Europe has resisted taking back citizens who joined ISIS. Now, it may have no choice », 15 novembre 2019 ; Il y a également deux communications en cours d’examen contre la France en attente devant le Comité des droits de l’enfant concernant la question du rapatriement des enfants, Voir les communications n° 77/2019 et 79/2019 dans le tableau des communications en cours d’examen devant le Comité des droits de l’enfant.
La version originale de cet article a été publiée en anglais le 20 novembre 2019.
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