La 29ème édition du Prix Bayeux Calvados-Normandie des correspondants de guerre s’est achevée hier. Elle a accueilli un génial OPMI, Objet photographique mal identifié !, « Don’t cry this is our land », un travail réalisé par les photographes Abdulmonam Eassa et Edouard Elias au Darfour.

Musée Albert Kahn

Quand on entre dans la galerie « Le Radar » à Bayeux, la première pensée, fugace, va à Albert Kahn et à ses « Archives de la planète ». On pense au banquier philanthrope qui avait mandaté des opérateurs de prise de vue pour photographier au tout début du XXème siècle l’humanité des plus lointains confins. Kahn, pacifiste convaincu, était sûr que la guerre se nourrissait de la peur de l’autre. Alors en montrant l’autre s’estomperait la crainte et disparaîtrait ainsi, un jour, la guerre. Nous sont parvenus de cette épopée des centaines d’extraordinaires autochromes pris dans une cinquantaine de pays.

Une expo extraordinaire

« Au nom de Dieu le Clément et le Miséricordieux. Nom : Mazaher Abou el-Qassem Fadel Mansour Hamza’a. Résidence : Mershing – Quartier de Sham al-Nassim – Ecole « Al-Zahra » 6ème classe de la section élémentaire pour filles.

« Et nous nous rencontrons dans des occasions joyeuses ».

Nom : Mazid Mohamad Aboul-Qassem Fadel. 4ème classe- Ecole de « Tonker » mixte, Je souhaite (à mon frère Mazid) la pleine réussite. J’aimerai devenir dentiste. J’aime ma mère, mon père, ma soeur, mon frère et mes copines à l’école ».

La deuxième pensée, une fois installé dans la galerie, va aux auteurs de cette expo extraordinaire présentée à Bayeux : Abdulmonam Eassa et Edouard Elias, deux jeunes photographes qui eurent l’idée un peu folle de photographier les gens du Darfour avec une chambre noire à l’instar des opérateurs photo d’Albert Kahn ! Ici pas d’autochromes, juste de la plaque argentique en noir et blanc développée sur place. Abdulmonam Eassa, 27 ans et Edouard Elias, 31 ans ont passé des semaines dans les montagnes du Jebel Marra auprès de déplacés ayant fui les violences de décembre 2021.

Abdulmonam & Edouard

Abdulmonam (*) et Edouard sont de talentueux photographes. Le premier parle arabe et connaît bien le Soudan pour avoir pendant 18 mois assuré des correspondances de presse. Le second, Edouard, maîtrise la technique du développement argentique y compris dans les conditions les plus précaires.

60 kilos de matériels, des dizaines et des dizaines d’heures de marche ont été nécessaires pour aller à la rencontre des paysages, personnages et témoignages de leur aventure.

La guerre en Syrie lie également les deux jeunes hommes. Abdulmonam y est né et est, comme son ami Sameer Al-Doumy, devenu photographe pour témoigner des destructions de son quartier à la Ghouta orientale. Edouard, lui, a couvert la même guerre et a été pris en otage, 11 mois durant en 2013, avec son confrère reporter de guerre, Didier François.

Faire témoigner sur le Darfour

La troisième pensée va à ces hommes et ces femmes du Darfour soumis à la violence armée depuis presque 20 ans. La plupart a trouvé un refuge précaire dans le Jebel Marra. Beaucoup ont accepté de poser devant l’étrange appareil, la chambre noire.

Chaque photo a ensuite été développée dans la pénombre d’un laboratoire de fortune. Les tirages ont ensuite été confiés aux modèles, invités à le légender. Une dédicace libre de telle sorte que les textes inscrits à la marge deviennent parties intégrantes de l’image. Beaucoup ont écrit en arabe, certains en langage four. Les illettrés purent dicter leur commentaire.

Un livre souvenir

L’exposition à Bayeux s’achèvera le 30 octobre prochain. Un ouvrage existe racontant cette aventure sur un texte d’Eliott Brachet. Comment qualifier ce travail ? Photo-ethnographie de guerre, peut-être, qui montre à quel point l’image demeure primordiale pour témoigner ; avec en prime, comme le dit Edouard Elias, « l’incomparable beauté du tirage argentique ».

(*) Abdulmonam a été lauréat en 2019 du Visa d’Or humanitaire du CICR pour son travail sur la guerre en Syrie.