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Protéger l’éducation contre les attaques de groupes armés non étatiques

Droit et conflits / Générer le respect du DIH 15 minutes de lecture

Protéger l’éducation contre les attaques de groupes armés non étatiques

Les groupes armés non étatiques sont responsables de nombreuses attaques qui provoquent la mort ou causent des atteintes graves aux étudiants et enseignants et qui causent des dommages aux écoles et aux universités. Ces attaques empêchent aussi les élèves d’apprendre, ce qui entrave la vie des populations et constitue un frein au développement économique.

Dans cet article, Jérôme Marston, directeur de recherche au sein de la Coalition mondiale pour la protection de l’éducation contre les attaques (GCPEA), commémore la Journée internationale pour la protection de l’éducation contre les attaques et propose des mesures que les acteurs humanitaires peuvent prendre pour protéger l’éducation.

En octobre dernier, alors que des étudiants du secondaire accompagnés de leurs familles recevaient leurs diplômes, le mouvement Al-Chabab a fait exploser deux voitures piégées près du ministère de l’Éducation à Mogadiscio, en Somalie. Cette attaque, perpétrée par un groupe armé non étatique, a fait au moins 121 victimes civiles et des centaines de blessés. « En tant que jeunes Somaliens, en particulier des étudiants à l’université, ces explosions nous affectent profondément », a expliqué un étudiant à un organe de presse. « Les universités et les écoles ont donc fermé afin que nous puissions participer à des dons du sang et à d’autres mesures de secours en faveur des victimes ».

Il ne s’agit là que d’un exemple parmi tant d’autres. En 2020 et 2021, les groupes armés non étatiques ont mené un nombre légèrement plus élevé d’attaques contre des établissements scolaires que les forces de l’État ou des auteurs non identifiés, selon un récent rapport publié par la GCPEA. Au cours de ces deux années, à l’échelle mondiale, la GCPEA a répertorié environ 4 500 attaques signalées contre des écoles et 570 incidents impliquant l’utilisation d’écoles et d’universités à des fins militaires.

Ce n’est pas la première fois que des groupes armés non étatiques attaquent des écoles et des universités et utilisent des établissements scolaires à des fins militaires. Rien qu’en 2020 et 2021, la GCPEA a identifié des signalements d’attaques perpétrées par des groupes armés non étatiques dans au moins 25 pays. La région du Sahel central en Afrique, l’Afghanistan, la République démocratique du Congo, le Mozambique, la Syrie et le Yémen sont les pays les plus affectés par ce phénomène.

Certains groupes armés non étatiques mènent des attaques car ils sont opposés au contenu des programmes scolaires, jugés trop séculaires ou « occidentaux », par exemple. D’autres n’acceptent pas que certaines personnes reçoivent une éducation – les filles, notamment. Les écoles et les universités peuvent être attaquées, entre autres, car ce sont des cibles « faciles », généralement sans défense, mais dont on parle beaucoup.

À l’inverse, certains groupes armés non étatiques protègent l’éducation et s’assurent que les populations y ont accès. Par exemple, le Front Moro de libération islamique a créé, en partenariat avec les Nations Unies (NU), un programme d’apprentissage pour les jeunes enfants qui vise à former des enseignants et à mettre en place un programme d’éducation islamique dans les écoles maternelles de la région de Bangsamoro, aux Philippines. Bon nombre de groupes armés non étatiques font les deux : ils commettent des actes violences à l’encontre de civils tout en facilitant ou en fournissant des services publics.

Selon la GCPEA, les attaques contre des établissements scolaires ont augmenté de 17 pour cent en 2022, leur nombre passant à plus de 3000 par rapport à 2021. Contrairement aux deux années précédentes, les groupes armés non étatiques ne sont responsables que d’une mineure partie des attaques sur des écoles signalées en 2022, les forces de l’État étant responsables de la majeure partie de ces attaques cette année-là, selon le rapport du Secrétaire général des NU intitulé « Les enfants et les conflits armés ». L’Ukraine, où les forces russes et, dans une bien moindre mesure, les forces ukrainiennes, sont responsables de nombreuses attaques contre des écoles depuis le début du conflit armé international en février 2022, apparaît pour la première fois dans ce rapport, ce qui explique certainement cette inversion des tendances. Qu’ils soient à l’origine de la majorité des attaques ou non, en 2022 et en 2023, les groupes armés non étatiques ont continué à s’attaquer aux établissements scolaires, ce qui doit être une préoccupation.

Pourquoi les groupes armés attaquent-ils (ou non) les écoles ?

Les groupes armés non étatiques mènent certains types d’attaques contre l’éducation plus souvent que les forces militaires d’un État et il est plus probable qu’ils emploient certaines armes et certaines tactiques.

Par exemple, en 2020 au Nigéria, un groupe armé a attaqué une école islamique en plein air dans la banlieue de Maiduguri, dans l’état de Borno, en envoyant une jeune fille de 12 ans se faire exploser avec la bombe qu’elle portait sur elle, d’après certaines informations. Outre la jeune fille, l’attaque a tué trois étudiants et en a blessé quatre autres.

Les groupes armés non étatiques sont régulièrement responsables d’enlèvements, de meurtres ou de menaces visant tant les professeurs que les élèves. Dans la région du Sahel central, en Colombie ou ailleurs, les professeurs sont souvent menacés à titre individuels et sont pris pour cibles. En 2020, au Cameroun, les membres d’un groupe séparatiste ont enlevé un enseignant à Bafia, dans le sud-ouest du pays, après que celui-ci a refusé de hisser, à l’extérieur de l’école où il travaillait, un drapeau représentant un État autoproclamé. De plus, les enlèvements de masse fortement relayés sont devenus monnaie courante, comme au Nigéria, par exemple.

Outre les attaques visant l’éducation, les groupes armés non étatiques ont recours, en temps de guerre comme en temps de paix, à la violence aveugle qui, parfois, touche des écoles et des élèves, même s’ils ne représentaient pas l’objectif initial. Par exemple, en Colombie, deux groupes armés non étatiques auraient échangé des coups de feu dans la municipalité d’El Bagre, dans le département d’Antioquia en février 2023, empêchant ainsi 1200 étudiants de se rendre à l’école ce jour-là.

Le rapport de la GCPEA souligne également le fait qu’en 2020 et en 2021, les groupes armés non étatiques se sont rendus responsables d’un quart des signalements pour avoir utilisé des établissements scolaires à des fins militaires. Il se peut que les chiffres soient moins élevés pour ces groupes que pour les forces gouvernementales car en général, les groupes armés non étatiques ne disposent pas d’un avantage militaire suffisant pour contrôler de larges parties de territoire sans rencontrer de résistance. Il est donc risqué d’utiliser une école à des fins militaires, qui pourrait d’ailleurs attirer l’attention des forces gouvernementales. C’est le cas en Irak, où, en mai 2022, des combattants des Unités de résistance de Sinjar ont utilisé une école comme poste de tir dans le district de Sinjar, dans le gouvernorat de Ninive. Les forces armées iraquiennes ont riposté en bombardant l’école, tuant trois combattants.

En 2022, le Comité international de la Croix‑Rouge a recensé plus de 520 groupes armés non étatiques qui restent « préoccupants d’un point de vue humanitaire ». Ces groupes sont présents dans de nombreuses régions du monde et s’appuient sur des idéologies, des structures opérationnelles et des tactiques différentes. Cependant, les recherches entreprises par la GCPEA montrent des caractéristiques que certains groupes armés non étatiques ont en commun et valent la peine d’être soulignées, car elles peuvent aider à réduire le nombre d’attaques visant des établissements scolaires.

Parmi ces caractéristiques, la structure organisationnelle d’un groupe armé non étatique et le contrôle qu’il exerce sur ses membres peuvent déterminer si le groupe emploiera la violence contre des civils. Un groupe discipliné et hiérarchisé sera plus susceptible de limiter les actes de violence opportunistes et indiscriminés qu’un autre groupe qui disposerait d’un contrôle plus limité au niveau de ses unités. De même, le fait qu’un groupe ait des liens avec une communauté peut influencer le choix de recourir non à la violence contre des civils. Si des combattants ont des liens familiaux avec des membres de la communauté et s’appuient sur elle pour recruter des soldats, obtenir des ressources et bénéficier d’autres formes de soutien, les chefs communautaires et religieux ou les élites commerçantes peuvent exercer une influence sur le comportement du groupe.

D’autres caractéristiques ont une influence pour déterminer si des groupes armés non étatiques prendront pour cible des écoles et des universités ainsi que les élèves et le personnel enseignant. Certains groupes séparatistes sont hostiles à la langue d’enseignement ou voient les écoles et leur personnel comme des agents ou des symboles du gouvernement contre lesquels ils luttent. Ils les rejettent donc et prennent pour cible les établissements scolaires, les étudiants et les professeurs. À l’inverse, d’autres groupes n’attaquent pas les écoles ou d’autres biens de caractère civil, conformément à leurs idées politiques et religieuses, afin de respecter la dignité humaine ou parce qu’ils cherchent à asseoir leur légitimité auprès de la population locale ou de la communauté internationale.

Les groupes armés non étatiques peuvent aussi prendre pour cible les écoles que les forces de l’État utilisent à des fins militaires, comme cela s’est notamment produit au Burkina Faso, en Inde et au Myanmar.

Les mesures à prendre pour protéger l’éducation

Les populations locales et les organisations humanitaires et internationales prennent des mesures pour protéger l’éducation contre les attaques. Certains groupes armés non étatiques font des déclarations unilatérales dans ce sens, signent les Actes d’engagement de l’Appel de Genève pour protéger les enfants dans les conflits armés, évitent d’utiliser des établissements scolaires à des fins militaires et prennent part au dialogue instauré avec les populations.

Par exemple, Au Mali central, entre 2020 et 2022, des chefs communautaires ont négocié avec des groupes armés non étatiques pour rouvrir des écoles et, dans certains cas, pour faire en sorte que les combattants déplacent leurs bases militaires vers des zones plus éloignées de la ville et ne pose pas d’engins explosifs improvisés à proximité. En contrepartie, cependant, il a été demandé aux écoles d’enseigner l’arabe en plus du français et de séparer les filles et les garçons. Les populations ont également accepté d’appliquer une version stricte la charia (loi islamique).

Les solutions possibles

La Journée internationale pour la protection de l’éducation contre les attaques rappelle qu’il faut poursuivre et intensifier les efforts visant à réduire les attaques perpétrées par des groupes armés non étatiques.

Les acteurs humanitaires doivent, dans la mesure du possible, instaurer un dialogue avec les groupes armés non étatiques, afin de les convaincre de cesser d’attaquer les établissements scolaires et d’éviter d’utiliser les écoles et les universités à des fins militaires. Il faudrait également encourager ces groupes à utiliser les Lignes directrices pour la protection des écoles et des universités contre l’utilisation militaire durant les conflits armés (Lignes directrices) qui proposent des mesures concrètes pour éviter que les établissements scolaires soient utilisés à des fins militaires et garantir la continuité de l’apprentissage.

Les forces armées étatiques doivent également cesser de prendre pour cible l’éducation et les États doivent s’engager à mettre en œuvre la Déclaration sur la sécurité dans les écoles, un engagement politique qui vise à assurer que tous les étudiants et professeurs puissent apprendre et enseigner en toute sécurité.

Les propositions suivantes constituent des mesures que les organisations humanitaires et internationales, les NU et les donateurs peuvent prendre pour encourager les groupes armés non étatiques à protéger l’éducation au lieu de la prendre pour cible :

  • Inclure les Lignes directrices dans les sessions de formation et les documents à destination des groupes armés non étatiques.
  • Mettre au point des supports de formation relatifs à la Déclaration sur la sécurité dans les écoles et aux Lignes directrices pour les populations locales et les chefs communautaires, afin qu’ils les utilisent, lorsque cela est garanti sans danger et les traduire dans différentes langues locales afin de mieux diffuser les informations et sensibiliser les populations affectées et les groupes armés non étatiques. Ces activités sont particulièrement utiles si les groupes armés font partie intégrante de la communauté locale.
  • Encourager les groupes armés non étatiques à intégrer la protection des écoles, qui sont des biens de caractère civil en vertu du droit international humanitaires, dans leurs formations, leurs codes de conduite et leurs pratiques des combats. Cela implique d’interdire d’attaquer des écoles en tant que biens de caractère civil et de limiter les dommages qui leur sont causés en vertu des principes de précaution et de proportionnalité.
  • S’informer sur les mesures prises par des populations, des groupes armés non étatiques, des États ou des organisations internationales pour prévenir les attaques contre l’éducation ou en limiter les effets et les partager. De telles mesures pourraient servir de modèle pour assurer la protection de l’éducation dans d’autres contextes. Toutefois, le fait de dialoguer avec les populations locales ou des organisations doit permettre de déterminer si ce partage d’idées ou de ressources peut avoir des effets néfastes dans d’autres contextes et s’il est judicieux d’adapter ces ressources et ces approches à chaque contexte particulier.
  • Déterminer si un groupe armé non étatique prend plus particulièrement pour cible l’éducation ou si au contraire, il lance des attaques violentes sans tenir compte du fait que des écoles se trouvent à proximité. Si le groupe prend l’éducation pour cible, il faut alors comprendre les raisons qui expliquent ces attaques ou informer les combattants des conséquences qu’elles impliquent en matière de responsabilité juridique. Sinon, il est également possible de rappeler aux combattants que l’éducation est essentielle pour la population concernée et que les combats devraient être tenus à distance des écoles et des universités.
  • Encourager les commandants de groupes armés non étatiques à signer et mettre en œuvre l’Acte d’engagement de l’Appel de Genève pour protéger les enfants des effets des conflits armés, qui notamment parce qu’il contient des mesures relatives aux espaces scolaires. Si un groupe armé non étatique est inscrit sur la liste du Secrétaire général des Nations Unies dans son rapport sur les enfants et les conflits armés parce qu’il a pris pour cible des écoles, il faudrait aider ce groupe à mettre en œuvre les activités d’un plan d’action ou l’encourager à en signer un.
  • Intervenir auprès des États et les encourager à signer et mettre en œuvre la Déclaration sur la sécurité dans les écoles et les Lignes directrices, car si les établissements scolaires sont moins utilisés à des fins militaires, le nombre d’attaques sur ces bâtiments baissera alors certainement.
  • Encourager et aider les gouvernements à dépolitiser l’éducation dans des régions où des groupes armés non étatiques attaquent des écoles, des universités, des étudiants et des professeurs pour des raisons politiques.

En utilisant les Lignes directrices comme une boussole, les acteurs humanitaires doivent agir ensemble pour protéger les écoles, les universités, les étudiants et les membres du personnel éducatif contre les attaques perpétrées par des groupes armés non étatiques. La Journée internationale est là pour nous rappeler que nous pouvons faire davantage d’efforts pour convaincre les groupes armés de ne pas prendre pour cible l’éducation.

Cet article a été initialement publié en anglais le 12 septembre 2023.

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