En ce 75ème anniveraire des Conventions de Genève, voici un témoignage passionnant : celui du grand juriste Georges Cahen-Salvador (1875-1963), administrateur de la Croix-Rouge française et représentant de la France à la Conférence diplomatique qui se conclut le 12 août 1949.

En lisant ce compte-rendu de Geoges Cahen-Salvador paru en octobre 1949 dans « Vie et Bonté » (le magazine de la Croix-Rouge française), on mesure l’espoir qu’a représenté la révision des trois Conventions de Genève et la reconnaissance d’une quatrième portant sur le sort des civils en période de conflit armé. 75 ans plus tard, elles demeurent toutes d’actualité mais il suffit de regarder autour de soi pour mesurer à quel point les 196 Etats qui les ont signées manquent à leur obligation de « respecter et de faire respecter » le droit international humanitaire.

Nouvelles Conventions de Genève

par Georges Cahen-Salvador, membre du Conseil d’administration de la Croix-Rouge française et délégué du gouvernement français à la Conférence diplomatique de Genève.

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Le 12 août 1949 restera dans l’histoire une date mémorable : les peuples du monde entier se sont résolus, après quatre mois d’âpres et passionnées discussions, à garantir, dans trois conventions internationales, une protection plus complète aux militaires blessés, malades, ou prisonniers en temps de guerre ; et, dans une quatrième, d’inspiration toute nouvelle, de mettre à l’abri des conflits futurs, femmes, enfants, vieillards et infirmes, à bannir et à sanctionner les atrocités, les crimes dont les populations civiles ont été les victimes.

Cinquante-neuf délégations, représentant les gouvernements des cinq continents ont participé à ces assises : les Etats-Unis et l’Union soviétique, le Royaume-Uni, les Etats du Commonwealth, la Chine, l’Inde, la Scandinavie, l’Amérique latine et la France y ont communié dans un même effort de compréhension réciproque et de mutuelle solidarité. C’est à l’unanimité (moins deux abstentions, celles de la Birmanie et d’Israël) que les quatre conventions ont été adoptées; leur signature sera solennellement enregistrée le 8 décembre 1949.

Par son objet, par les conclusions auxquelles elle vient d’aboutir et par l’atmosphère qui s’y est créée, la Conférence de Genève doit ranimer la confiance et éveiller une nouvelle espérance au coeur des hommes.

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Les conventions sur les blessés consacrent deux innovations : la protection n’est plus réservée aux seuls militaires ; elle est étendue aux civils qui viennent au secours des blessés et des malades, ainsi qu’aux hôpitaux, au matériel et aux transports organisés par leurs soins. Des zones sanitaires sont en outre prévues pour les mettre à l’abri des combats.

L’accord sur les prisonniers couvre désormais non seulement les armées régulières, mais les forces de résistance, les formations de partisans.

Quant à la nouvelle convention sur la protection des civils, elle assure de larges immunités, à toute personne ne participant pas directement aux hostilités qui, à un moment quelconque et de quelque manière que ce soit, se trouve au pouvoir soit d’une partie au conflit, soit d’une puissante occupante :

  • Prohibition absolue, sous peine de sanctions graves, d’atteintes à la vie et à l’intégrité corporelle, notamment des meurtres, mutilations, traitements cruels, supplices et tortures
  • Probibition absolue des prises d’otages et des mesures de représailles
  • Interdiction de traitements humiliants ou dégradiants
  • Plus d’exécutions sans un jugement préalable, assorti de garanties judiciaires
  • Plus de peines collectives
  • Plus de contraintes physiques ou morales
  • Aux résistants, même présumés auteurs de sabotages, un traitement humain est garanti.

Aux puissances protectrices choisies par les belligérants est confiée la charge de contrôler la stricte application de ces dispositions. Bien plus, sur l’initiative de la délégation française, on a même prévu,en cas de conflit mondial généralisé, qu’un haut organisme international serait créé pour pallier la déficience des neutres mis hors d’état de remplir cette mission. Aux organisations humanitaires telles que le Comité international de la Croix-Rouge le soin d’assumer les tâches de secours et d’assistance.

  • Protection générale des populations des pays en conflit, sans que puisse être faite aucune discrimination de race, de nationalité, de religion ou d’opinion.
  • Création de zones et localités sanitaires, ou de sécurité, pour mettre à l’abri de la guerre vieillards, enfants de moins de quinze ans, femmes enceintes, mères d’enfants de moins de sept ans, blessés, malades et infirmes.
  • Evacuation des mêmes catégories de personnes des zones assiégées ou encerclées
  • Libre passage des envois de médicaments et de vivres.
  • Assistance des enfants abandonnés ou séparés de leurs parents.
  • Echange des correspondances familiales.

Tel est l’essentiel des garanties offertes à tous les civils.

Sur le territoire des belligérants, on règle les évacuations, les modalités de soins et de secours, l’approvisionnement en subsistance, les conditions du travail réquisitionné ou volontaire ; on détermine les régimes de l’internement et de la résidence forcée.

En territoire occupé, plus de transferts obligatoires, plus de déportations. On organise l’éducation scolaire et l’hygiène infantile. On bannit le travail forcé. On réglemente la distribution des vivres et l’assistance hospitalière. On interdit la destruction des biens.

M. Max Petitpierre, conseiller fédéral, préside la séance d’ouverture de la Conférence diplomatique de la Croix-Rouge.

Aux civils poursuivis, inculpés ou condamnés, on assure les garanties judiciaires des peuples civilisés.
Pour les internés un statut complet est minutieusement réglé, concernant nourriture, installation, travail, discipline, libération. Toute infraction à ces règles est sanctionnée et sévèrement punie.

Il est malaisé en quelques lignes de rappeler en détail ce que contiennent les cent soixante articles de cette charte nouvelle. Les indications que nous donnons suffisent à révéler son importance primordiale. Elle s’inspire de la pensée d’Henry Dunant. Ce sont les délégués des Croix-Rouge qui, au cours de l’été 1948, à Stockholm, sous la présidence du comte Bernadotte en ont jeté les bases.

A Genève, sous la haute et agissante direction du chef du département politique suisse, M. Petitpierre, ce sont les délégués des gouvernements qui en ont arrêté la structure en maintenant un juste mais difficile équilibre entre les cruelles nécessités de la guerre et les nobles exigences de la solidarité humaine (1).

Sans doute les discussions à la Conférence de Genève ont-elles été serrées, souvent âpres, souvent passionnées. Les délégations anglo-saxonnes et soviétiques, notamment, ont marqué à maintes reprises des divergences, des oppositions.

Les idéologies se sont heurtées. Laborieuse s’est révélée l’adaptation aux réalités politiques ou militaires des principes humanitaires.

Mais la volonté d’aboutir a triomphé : les conventions sont faites, elles sont achevées. Pour la première fois dans le monde les populations civiles vont trouver des apaisements à leurs inquiétudes. Un grand, et noble souffle vient de balayer les turpitudes de la barbarie scientifiquement organisée qu’ont révélées les dernières guerres.

En communiant, malgré les différends, dans cet effort d’humanisation de la guerre on a pris la voie la plus sûre pour rendre cette guerre elle-même inutile, parce que moins efficace. On y a même, dans un élan unanime, proclamé la volonté de paix universelle en affirmant le vœu que les conventions nouvelles n’aient jamais à être appliquées

Au milieu des incertitudes, des perplexités, des angoisses des temps présents, la conclusion des conventions internationales nouvelles n’est-elle pas d’un immense réconfort ?

Grâces en soient rendues aux bons artisans de ce grand œuvre !

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(1) La Commission sur la protection des populations civiles a été, tant à Stockholm qu’à Genève, présidée par un des membres de la délégation française.

A voir également cet épisode de « Une histoire d’Humanité » sur les Conventions de Genève avec René-Jean Wilhelm, co-rédacteur des textes et particulièrement de l’Article III et des parties consacrées à la guerre aérienne.