Violence armée et violences sexuelles vont de pair depuis des décennies dans l’Est de la RDC. Dans le cadre du conflit, les victimes se comptent par milliers. Les conséquences sont lourdes, physiques, psychiques mais également sociales. Justin Murhula, lauréat d’un concours sur le reportage humanitaire organisé par le CICR décrit leur double peine.

Quand les femmes payent le lourd tribut des conflits armés

Dans l’Est de la République démocratique du Congo, les groupes armés cherchant à contrôler les régions minières font régner la terreur dans la population. A Salambila, par exemple, dans la province du Maniema, les violences sexuelles sont monnaies courantes. Au-delà du lourd traumatisme physique et psychique, les victimes se retrouvent souvent rejetées comme parias. Dans ces conditions, comment envisager prise en charge et reconstruction ?

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L’histoire de Tania

« J’étais aux champs » raconte Tania*, 27 ans, mère de deux enfants. « Vers neuf heures, j’ai vu un homme armé venir vers moi. Il a braqué son arme sur moi en disant : ‘si tu cries, je te tue’. Je me suis mise à trembler de peur quand il m’a ordonné de me coucher sur le sol. Il s’est ensuite couché sur moi. Il m’a fait tellement mal ». Tania vit à Wamaza près de Salamabila. Elle a été violé en septembre 2021 et n’a depuis pas connu un jour sans ressasser l’horreur subie.

Comme Tania, Asante* a subi les mêmes atrocités par un membre d’un autre groupe armé en février 2022.
« Il était 16h lorsque je suis allée puiser de l’eau à la source. J’ai vu deux hommes armés débarquer. L’un d’entre eux m’a appelée et m’a demandé de me déshabiller. J’ai refusé et quand je me suis mise à crier, il a remis son arme à son compagnon et s’est jeté sur moi, m’a étranglée et m’a obligée à me coucher », raconte-t-elle, tête baissée.

« Ce soir-là, je suis rentrée à la maison avec des douleurs au ventre et les jambes qui tremblaient »

L’Organisation Non-Gouvernementale de Droits de l’Homme AHUPADE affirme avoir répertorié 1 624 cas de violences sexuelles, dont 711 femmes adultes et 913 filles mineures, de janvier à début juin 2022, dans le territoire de Kabambare dans le Maniema.

« La grande majorité des victimes sont des femmes. Et nous les orientons vers des structures de santé pour une prise en charge appropriée », note pour sa part Kaozi Sango Marcelin, président de la société civile / forces vives du Maniema.

Ces 72h qui sauvent …

Les victimes de viols et de violences sexuelles font face à plusieurs types de souffrance tant physiques que psychologiques. Certaines se retrouvent avec des lésions graves, des infections sexuellement transmissibles, des fistules compliquées ou encore des grossesses non désirées.

Après une agression sexuelle, les professionnels de santé recommandent aux victimes de se rendre immédiatement dans une structure médicale pour une prise en charge d’urgence. Une prise en charge qui, si faite dans les 72 heures suivant l’agression, peut permettre l’administration à la victime des traitements préventifs contre les infections sexuellement transmissibles (prophylaxie post-exposition) telles que le VIH, la syphilis et la gonorrhée. Dans certains cas et si disponible, la vaccination contre l’hépatite B et le tétanos est fournie. La prise en charge comprend également la contraception d’urgence, qui permet d’éviter les grossesses non désirées chez la victime.

Le viol, un secret de famille qui tue à petit feu

Être violé(e) est perçu dans plusieurs communautés de l’Est du Congo et de Salamabila en particulier, comme une malédiction. La victime devient alors un sujet de moquerie et de rejet.

Pour éviter cette stigmatisation et ses conséquences lourdes tant au niveau social qu’économique, les femmes qui ont été victimes préfèrent ne pas en parler et par conséquent, ne recherchent que très rarement une assistance médicale ou psychologique, pourtant nécessaire.

« Physiquement, l’acte est passé et je n’ai plus de douleurs. Ce qui est le plus difficile aujourd’hui, c’est le rejet », regrette, d’une voix pleine de tristesse, Asante. « Je souhaite changer de milieu. J’envisage d’aller vivre chez mes parents, à Punia, à 500 km de Salamabila. Je sais que les gens vont me demander pourquoi je suis revenue. S’ils me posent trop de questions, je serai obligée de me trouver un autre endroit où me cacher », note-t-elle.

Face à cette tragédie, des organisations internationales et des acteurs sociaux locaux se mobilisent pour dire non aux violences sexuelles en sensibilisant toutes les catégories d’auteurs de ces agressions mais également les familles et les communautés contre la stigmatisation des victimes.

L’action du CICR

Le Comité international de la Croix-Rouge (CICR), présent, depuis plus de 4 ans dans le Maniema, en particulier à Salamabila, est l’une de ces organisations humanitaires qui cherche à s’assurer que les victimes aient accès à tous les services nécessaires, et que les communautés et les personnes renforcent leur résilience.

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« Le CICR a une approche intégrée dans sa réponse à la problématique des violences sexuelles, principalement du viol. Nous travaillons avec des Maisons d’écoute et également des structures sanitaires, qui s’occupent de la prise en charge psychologique et psychosociale des victimes de violences armées, dont celles de violences sexuelles ; ainsi que d’un volet de prévention et de sensibilisation des communautés sur l’accès aux services (où, quand s’y rendre) et sur les risques (médicaux et sociaux, rejet, stigmatisation, etc.) », explique Isaac Sadiki, agent de terrain CICR chargé de la lutte contre les violences sexuelles. « Nous soutenons aussi les formations sanitaires dans la gestion clinique de ces cas, en veillant à l’accès et à la disponibilité des kits post-viols pour les victimes ».

Le CICR soutient par ailleurs la réinsertion socio-économique des survivant(e)s à travers un appui financier pour des besoins immédiats ou pour le lancement, à long terme, des activités génératrices de revenus. Et dans le cadre de ses activités de prévention, le CICR s’est également investi dans la sensibilisation des porteurs d’armes au respect du Droit international humanitaire, rappelant systématiquement la gravité de crimes tels que le viol.

Au premier trimestre 2022, en RD Congo, grâce au soutien du CICR :

190 victimes de violences sexuelles ont bénéficié d’une prise en charge médicale, dont 149 dans les 72 heures ;
885 victimes de violences sexuelles ont bénéficié d’une prise en charge psychologique / psychosociale tant dans les maisons d’écoute que les centres de santé.

*Nom d’emprunt