Celles et ceux qui me suivent sur Twitter, connaissent la série « Y’a d’la Croix-Rouge dans l’air » qui propose des représentations à travers les âges de la symbolique du secours et de la protection. C’est en parcourant internet pour nourrir cette série que je suis tombé sur une affiche publicitaire vantant les mérites du Pof, vin de muscat rouge de Frontignan.

J’aurais pu me contenter de diffuser cette image sur Twitter avec pour commentaire « nonne au brassard, flanquée de drapeaux à croix rouge sur fond blanc. Attention à l’abus d’alcool… et d’emblème » !

Avec modération

Mais à mieux y regarder, cette affiche, construite comme une image d’Epinal, pose question. Pourtant, ce n’est pas la première fois que la Croix-Rouge est détournée à des fins commerciales. L’eau d’Arquebuse par exemple, cet élixir de moine, potion de secours, dont nous avions déjà parlé…

Le Pof, lui, propose le même schéma : un champ de bataille, une bonne sœur au brassard Croix-Rouge, au chevet de deux soldats blessés, proposant quelques lampées revigorantes et salvatrices de vin de muscat rouge de Frontignan…

Une page d’histoire

Pof, drôle de nom pour du pif fusse d’apéritif. Ho, mais les blessés semblent des officiers russes et les brancardiers en arrière-plan des Cosaques… La bouteille, quant à elle est ceinte d’une arabesque au sommet orthodoxe. L’étiquette inférieure de la bouteille ôte les derniers doutes. Y figurent outre la Croix-Rouge : Port Arthur, Liaoyang, Tie Ting, Moukden, quelques unes des batailles de la guerre russo-japonaise (1904-1905). Ce conflit qui avait pour enjeu la Mandchourie vit la victoire de l’Empire du Soleil levant…

Les accords franco-russes

Bref, le Pof, au-delà de l’abus de Croix-Rouge, apparaît en soutien de la Russie. Ses clients étaient-ils prioritairement les Russes établis depuis 1890 sur la Côte d’Azur ? Moscou était alors le grand allié de Paris, les fameux accords franco-russes. Rejoints par l’Empire britannique en 1907, les empires russe et français constituent la Triple Entente. Le Première guerre mondiale est en gestation…

Le vin blanc devint rouge

Le Muscat de Frontignan, commune méditerranéenne de l’Hérault est un vin d’apéritif. Un vin blanc, d’or disent les amateurs. Rare est le rouge de Frontignan… L’explication se trouve probablement dans un ouvrage sur l’histoire du commerce franco-russe : «(…) le vin rouge [français] destiné à la Moscovie, doit être « clair et fort rouge », la bonté du cru étant moins considérée que la beauté de la robe, car « l’on s’en sert pour le sacrifice des Russes », c’est-à-dire pour le rite orthodoxe (…) ».

Bref, ce « Monsieur Pof » était un sacré commerçant : faire du vin rouge pour des Russes blancs défaits par le soleil levant (rouge sur fond blanc) et sauvés par une Croix-Rouge sur un même fond blanc. Quel talent, sommes-nous tentés d’ajouter !