L’Eau d’Arquebuse est censée, d’où son nom, soigner les blessés par balles voire réveiller un mort… Titrant minimum 50 degrés, cette eau vulnéraire – propre à soigner les plaies – fait entrer dans sa composition pas moins de 33 plantes aux vertus médicinales. Elle est l’œuvre d’un frère mariste de Saint-Chamond dans la Loire, un certain Emmanuel qui, dans la communauté, tenait les fonctions d’infirmier et d’herboriste. On serait tenter d’ajouter d’artificier…

Désinfecte et console

Sur cette carte postale publicitaire, voyagée le 13 septembre 1904, l’Eau d’Arquebuse fait partie du trousseau des ambulances de campagne. Derrière la soeur au chevet d’un blessé, on distingue une ambulance hippomobile protégée par le drapeau de la Croix-Rouge et un camp de toile des guerres du Second Empire en Crimée (1855-1856) et en Italie (1859). Cette représentation, malgré l’anachronisme (la Croix-Rouge naîtra en 1863) atteste de l’époque à laquelle Frère Emmanuel créa son élixir : 1857. L’Eau d’Arquebuse a-t-elle « consolé » sur le champ de bataille de Solférino, en 1859, quelques soldats français blessés ou épuisés ? Henry Dunant lui-même en aurait-il dispensé ? Bu ?

La Croix-Rouge, formidable placard publicitaire

Qui de mieux en tout cas que la Croix-Rouge pour en assurer la promotion ? Quelle publicité ! A se demander tout de même s’il n’y a pas dans cette réclame quelque abus d’emblème empreint d’abus de boisson… Si le blessé ne meurt pas au premier shot prodigué par la nonne, alors ses chances de survie sont réelles. Quoiqu’il en soit, le tord-boyau se vend tant et si bien qu’en 1893, les Frères Maristes font bâtir à Saint-Genis-Laval, près de Lyon, une distillerie industrielle !

La production va durer une décennie, jusqu’à ce qu’en 1902 la congrégation ne soit expulsée de France en conséquence de la loi 1901 sur la liberté d’association (*).

L’eau d’Arquebuse survit à l’expulsion des congrégations

Bouffeuse de curés, la République du début du XXème siècle refuse que l’éducation de la jeunesse demeure aux mains des catholiques, par exemple celles des Frères Maristes et de leurs écoles primaires et secondaires. Emile Combe, président du Conseil et premier anti-calotin du pays veille à l’expulsion de toutes les congrégations. Cet exil forcé est comparable à celui de 1880 avec la fin de l’Ordre moral du vieux Maréchal de Mac-Mahon, premier président de la IIIème République.

Réfugiés en Italie, les Frères Maristes ne reviendront à Saint-Genis Laval qu’en 1926. L’Eau d’Arquebuse, elle, continuera de prospérer. Elle se vend encore de nos jours et reste à consommer avec (très grande) modération…

(*) Titre III de la Loi de 1901 sur la liberté d’association : « Aucune congrégation religieuse ne peut se former sans une autorisation donnée par une loi qui déterminera les conditions de son fonctionnement. Elle ne pourra fonder aucun nouvel établissement qu’en vertu d’un décret rendu en conseil d’État. La dissolution de la congrégation ou la fermeture de tout établissement pourront être prononcées par décret rendu en conseil des ministres. Les membres d’une congrégation non autorisée sont interdits d’enseigner ou de diriger un établissement d’enseignement.Toute congrégation formée sans autorisation sera déclarée illicite. Les congrégations existantes […] qui n’auraient pas été antérieurement autorisées ou reconnues, devront dans un délai de trois mois, justifier qu’elles ont fait les diligences nécessaires pour se conformer à ces prescriptions. À défaut de cette justification, elles seront réputées dissoutes de plein droit ; il en sera de même des congrégations auxquelles l’autorisation aura été refusée. »