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Exemption pour Kaboul : une résolution obtenue avec peine lève les barrages à l’aide humanitaire en Afghanistan

Province de Kunduz, district de Khan Abad.

Le 22 décembre 2021, le Conseil de sécurité des Nations unies a adopté à l’unanimité une résolution sur l’Afghanistan introduisant explicitement, pour la seconde fois sur les 30 régimes de sanctions des Nations unies, une exemption humanitaire. Pour ceux qui apportent une assistance humanitaire et répondent aux besoins urgents des populations en Afghanistan, ainsi que pour les donateurs et les partenaires privés, cette exemption donne l’assurance plus que nécessaire qu’ils pourront poursuivre leur mission en Afghanistan sans craindre de transgresser les sanctions adoptées par les Nations unies à l’encontre des talibans et des personnes et entités qui leur sont associées, de même que le Réseau Haqqani.

Qu’est-ce qu’une exemption humanitaire ? Pourquoi était-ce si impératif de l’obtenir rapidement ? Et que doit-on faire à présent ? Dans ce billet, Helen Durham, directrice du droit international et des politiques humanitaires du CICR à Genève et Chris Harland, conseiller juridique et observateur permanent adjoint aux Nations unies pour la délégation du CICR à New York, passent en revue les aspects les plus prioritaires.

Après l’avancée rapide des talibans en Afghanistan en août 2021, les besoins humanitaires ont explosé. Plus de 22 millions d’Afghans ont été confrontés à des niveaux critiques ou d’urgence d’insécurité alimentaire aiguë. Le pédiatre ICU de l’hôpital régional Mirwais a affirmé que les admissions avaient été multipliées par deux. La pénurie de liquidités a annihilé la capacité des infrastructures de santé à dispenser des soins. Les travailleurs humanitaires étaient sur le terrain et se tenaient prêts à apporter une assistance vitale et une protection, mais ils ont été confrontés à de nombreuses difficultés, notamment les sanctions contraignantes des Nations unies.

Si elles puisent leurs origines dans des résolutions antérieures à 2001, les sanctions des Nations unies actuellement en vigueur et visant les talibans datent de 2011, lorsque le Conseil de sécurité a adopté la résolution 1988, demandant aux États membres de mettre en œuvre un gel des avoirs, l’interdiction de voyager et un embargo sur les armes pour les talibans et les entités qui leur sont associées. Maintenant que les talibans contrôlent à nouveau le territoire d’Afghanistan, nombre des hommes qui sont de facto au pouvoir et en charge de ministères sont inscrits sur la liste relative aux sanctions contre les talibans ou contre les membres du réseau Haqqani, qui est lui-même désigné dans cette liste.

Puisque les organisations humanitaires s’adressent régulièrement aux ministères pour répondre aux nécessités opérationnelles, ce tournant inattendu des évènements a suscité une grande incertitude quant à la question de savoir si les organisations humanitaires pourraient continuer à traiter avec ces entités, vu la tournure peu précise de la formulation utilisée dans la partie concernant le « blocage des avoirs »  (paragraphe 1, a)) de la résolution 2255, demandant aux États de « veiller à ce que ni ces fonds, ni d’autres fonds, actifs ou ressources économiques ne soient mis à la disposition, directement ou indirectement, de ces personnes, groupes, entreprises et entités ».

Ce casse-tête soudain a engendré d’importantes difficultés opérationnelles. Les donateurs ont expliqué aux acteurs humanitaires que leurs législations nationales, qui devaient s’aligner sur les sanctions décidées par les Nations unies, leur interdisaient, politiquement et juridiquement, de soutenir certains projets du CICR, si d’aventure ceux-ci impliquaient des contacts économiques avec des personnes visées par les sanctions, y compris celles se trouvant à la tête de ministères avec lesquels le CICR interagissait. Au moment précis où les besoins humanitaires se sont dramatiquement accrus en Afghanistan, l’aide humanitaire a été confrontée à une baisse des dons de la part de certains donateurs, malgré leur souhait de continuer à apporter leur soutien.

La résolution 2615 : « l’aide humanitaire et les autres activités (…) ne constituent pas une violation »

Dans les mois qui ont suivi le retour au pouvoir des talibans, en août 2021, les agences et les organisations humanitaires ont souligné la nécessité d’introduire une exemption humanitaire dans le régime de sanctions visant les talibans. De nombreuses organisations très diverses ont soutenu cette demande et ont travaillé à trouver un équilibre entre les besoins humanitaires locaux et les considérations diplomatiques et sécuritaires des États membres des Nations unies, afin de réellement améliorer le sort du peuple d’Afghanistan. Le Bureau de la coordination des affaires humanitaires (OCHA) et les autres organisations des Nations unies, le CICR et de nombreuses ONG, dont le Conseil norvégien pour les réfugiés et le Comité international de secours, sont intervenus auprès des États membres du Conseil de sécurité tandis que les négociations se poursuivaient, pour faire part de leur difficultés, ainsi que celles des organisations nationales, à mener des missions en Afghanistan en raison du régime de sanctions contre les talibans.

Entre octobre et décembre, les États membres du Conseil de sécurité ont discuté de la meilleure manière de parvenir à trouver un équilibre en permettant qu’une aide vitale soit apportée à la population tout en évitant que cela soit une « aubaine » pour les talibans, selon les mots d’un diplomate. Après deux mois de négociation, le Conseil a trouvé un compromis et a adopté la résolution 2615, qui est seulement la deuxième du genre, la première étant l’exemption introduite dans le régime de sanctions contre le régime somalien (en lien avec le groupe al-Chabab). Ces exemptions bénéficient à des organisations qui mènent des activités humanitaires et vont au-delà de dérogations individuelles permettant à ceux qui sont listés de demander accès à leurs fonds pour des motifs religieux, juridiques ou médicaux, tel que cela existe dans la plupart des régimes de sanctions.

Dans la résolution 2615, le Conseil de sécurité « décide que l’aide humanitaire et les autres activités qui visent à répondre aux besoins essentiels des personnes en Afghanistan ne constituent pas une violation » du régime de sanctions visant les talibans et consistant à bloquer les avoirs. Ceci permet à tous ceux qui apportent une assistance humanitaire de poursuivre leurs activités en Afghanistan sans crainte d’être accusés de violer les sanctions décidées par les Nations unies.

La résolution « décide » explicitement (et est donc contraignante pour tous les États membres des Nations unies, en vertu de l’article 25 de la Charte des Nations Unies) que les transactions financières nécessaires pour garantir l’acheminement de l’aide humanitaire sont autorisées. Par ailleurs, elle « encourage vivement » les prestataires de faire en sorte que les fonds destinés aux personnes ou entités inscrites sur la liste relative aux sanctions soient « réduits aux maximum ». Cette exemption semble ne pas être assortie d’une date de fin, bien que le Conseil de sécurité « examine[ra] » l’application de l’exemption « après une période d’un an ».

Et ensuite ?

À elle seule, la résolution 2615 ne résout pas les difficultés opérationnelles auxquelles sont confrontées les organisations humanitaires présentes en Afghanistan. À l’instar d’autres résolutions du Conseil de sécurité, la résolution 2615 doit être transposée dans la réglementation nationale. Par exemple, immédiatement après l’adoption de la résolution, les États-Unis ont annoncé avoir introduit la procédure exposée dans leur législation nationale relative aux sanctions afin d’accorder de nouvelles autorisations générales à ceux qui fournissent une aide humanitaire en Afghanistan. Au regard du droit international, tous les États membres doivent se conformer à la résolution 2615, mais la transposition de ces exemptions dans le droit national peut prendre du temps. Il sera important que les acteurs humanitaires et le Conseil de sécurité restent attentifs à la façon dont les États membres vont transposer cette exemption humanitaire dans leur législation et leur réglementation nationales.

Le Coordonnateur des secours d’urgence (le chef de l’OCHA) doit faire un exposé au Conseil de sécurité, tous les six mois à compter de l’adoption de la résolution 2615, sur l’aide humanitaire fournie, ce qui signifie que la première réunion sur le sujet est programmée en juin 2022. Les prestataires sont « priés » de communiquer les informations relatives à l’exemption à OCHA en préparant ces exposés.

Le régime de sanctions contre les talibans n’est qu’un parmi les 14 régimes de sanctions des Nations unies qui sont actuellement en vigueur. La résolution 2615 constitue un pas dans la bonne direction pour la recherche d’un équilibre entre les sanctions et l’action humanitaire et elle peut tout à fait ouvrir la voie à de nouvelles avancées dans ce domaine. D’autres régimes juridiques de sanctions et mesures prises dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, adoptés par le Conseil de sécurité pourraient suivre le même chemin.

Un barrage a été levé, ce n’est pas la panacée

Bien que l’adoption d’une exemption humanitaire au régime de sanctions des Nations unies visant les talibans soit une première étape majeure pour répondre à la crise humanitaire en Afghanistan, cela ne résout pas, en soi, les immenses besoins humanitaires de la population afghane. Un important barrage a été levé, mais ce n’est pas la panacée. Cela indique clairement la voie dans laquelle il faut avancer pour que nous puissions continuer à concentrer notre énergie sur le réel objectif : protéger les familles touchées affectées par le conflit et la violence rongeant le pays et leur porter assistance.

Plus de la moitié de la population d’Afghanistan est confrontée à l’insécurité alimentaire. Le Secrétaire général des Nations unies a lancé un appel d’urgence demandant une aide de 606 millions de dollars pour l’assistance humanitaire dans le pays, dans presque tous les secteurs essentiels, notamment la sécurité alimentaire, l’agriculture, l’éducation, l’eau, les équipements sanitaires et l’hygiène, la santé, la nutrition et la protection. Les mois qui viennent seront d’une importance cruciale, en particulier pendant l’hiver afghan – où, selon certaines informations, des personnes brûlent des meubles, des chaussures et des pneus pour se tenir chaud – pour que les donateurs augmentent leurs dons et apportent une contribution suffisante à l’effort humanitaire en cours. La résolution 2615 supprime les obstacles existants, permettant aux donateurs de prendre ces mesures primordiales pour le peuple afghan.

Cet article a été initialement publié en anglais le 3 février 2022.

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