C’est l’histoire d’un cadavre repêché à Paris en 1880. Celui d’une jeune femme, d’une Joconde mise en Seine à l’énigmatique sourire. D’elle, on ne sait rien. Comme le médecin légiste de la morgue de l’Ile de la Cité ne remarque aucune violence, il conclut à un suicide. Comme il est de coutume depuis des siècles, le corps est exposé avec d’autres à la curiosité publique à des fins d’identification. Chaque jour, les badauds se pressent dans la morgue dernier cri de l’Ile de la Cité dressée quelques 15 ans auparavant par le Baron Haussmann. Quelques minutes offertes à chacun pour détailler derrière la vitre les cadavres exposés, reconnaître un proche, un voisin, une connaissance. Cette pratique drainant souvent instinct et curiosité morbides prendra fin en 1907.
Morgue, histoire d’un mot
C’est de cette observation que vient d’ailleurs le mot « morgue ». L’origine est probablement occitane (de « faire la moue ») mais le premier sens donne « regarder quelqu’un d’en haut, le toiser avec mépris ». Il s’est ensuite appliqué aux matons chargés depuis un guichet de la prison d’observer, de dévisager les nouveaux détenus, pour s’en souvenir. Ces gardiens s’appelaient les morguiers. Par extension, l’observation en détails des cadavres par le public a fini par donner, au XVIIème siècle, le nom au lieu où l’on conserve provisoirement les corps.
L’inconnue le restera
Bref, l’inconnue de la Seine, sera offerte trois jours durant (délai légal) à la vue des Parisiens dont aucun ne pourra y coller un nom. Le visage fascine avec ce sourire de sérénité et d’ironie mêlées… « Fort comme la mort » dirait Maupassant !
Un garçon de salle décidera d’en tirer en douce un masque de plâtre qu’il vendra à des dizaines d’exemplaires. Tout artiste bohême qui se respecte se doit d’avoir, cloué à l’entrée de sa sous-pente toute dédiée au symbolisme et au romantisme décadent, le visage à la pâleur de plâtre de l’étrange égérie.
Et la muse se fait mannequin
Le visage fait le tour du monde. L’inconnue devient célèbre. Il faut attendre le mitan du XXème siècle pour lui trouver une autre destinée, tout aussi inattendue…
Un fabricant norvégien de jouets, Asmund Laerdal, (comme quoi on ne fabrique pas que des Prix Nobel de la Paix en Norvège!), spécialiste du plastique mou et producteur de poupées a une idée de génie. L’entrepreneur est un jour, lui aussi, tombé sous le charme de l’inconnue de la Seine. Il s’est procuré une copie du masque mortuaire. Depuis quelques temps, Laerdal, travaille à la création d’un mannequin réaliste destinée à la formation des secouristes Croix-Rouge. Il aura désormais les traits de l’énigmatique jeune femme. Un moulage de plastique sur une copie du masque de plâtre et le tour est joué. L’inconnu se verra attribuer un nom : Resusci Anne (littéralement, Ressuscite Anne) !
Une inspiration désormais plus mécanique que poétique…
Le mannequin a fêté ses 60 ans l’an passé. Il demeure source d’inspiration pour des milliers et des milliers de secouristes en formation de par le monde qui un jour, posèrent un baiser certes assez éloigné de celui de la Belle au bois dormant. L’inspiration est plus mécanique que poétique. Voilà qui ne manque pas de souffle, oserait-on. Une inspiration qui sauve des vies !
Revoyons les bases de la ranimation cardio-respiratoire comme nous invite Adriana Karembeu, marraine de la Croix-Rouge française : « alternez massage cardiaque et bouche-à-bouche au rythme de 30 compressions thoraciques pour 2 insufflations ».
Fort du succès de son invention, Asmund Laerdal abandonnera les jouets pour se consacrer à la fabrication de matériel médico-chirurgical.
162 ans après sa noyade dans la Seine, « Anne » demeure l’héroïne des secouristes.
Formez-vous aux gestes qui sauvent avec la Croix-Rouge française !
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