C’est un rappel nécessaire et constant : les civils dans les conflits armés ont le droit de recevoir de l’assistance. Et si les parties au conflit ne parviennent pas à garantir le minimum vital à la population, elles ont l’obligation de laisser des organisations humanitaires impartiales acheminer des vivres. Retour sur l’histoire de ce droit, vital aujourd’hui pour des centaines de millions de civils qui subissent la guerre.

Cet article s’inscrit dans une série consacrée au 75ème anniversaire des Conventions de Genève de 1949

Le droit à recevoir de l’assistance semble tomber sous le sens, tant les conflits armés bouleversent un pays, ses infrastructures, son économie tout comme les moyens de subsistance de la population civile. Pourtant, il faudra attendre 1949 et la création de la 4ème Convention de Genève afin qu’il soit inscrit dans le droit international humanitaire.

1949 : un droit à l’assistance reconnu, mais limité

Néanmoins, les articles dédiés de la 4ème Convention de Genève ne consacrent pas encore un droit à l’assistance humanitaire pour tous les civils, dans tous les contextes. Tout d’abord, ces articles s’appliquent uniquement aux conflits armés internationaux. Ensuite, ils sont encore profondément ancrés dans leur époque et les cendres de la Deuxième guerre mondiale. Ce qui préoccupe alors les Etats, c’est le sort de la population face à un blocus d’une part, et sous occupation d’autre part.

En 1941-42, la grande famine en Grèce illustra de façon tragique l’impact des effets conjoints d’un embargo et de l’effondrement des capacités de production nationale. Les Britanniques ayant accepté de lever le blocus pour faire passer de l’assistance, le CICR avait alors mis en place sa plus grande opération de ravitaillement jamais accomplie jusqu’alors.

Famine de l’hiver 1941-1942. Pirée-Keratsini, faubourg St-Georges, commune d’Amphiali. Devant un centre de distribution.

L’article 23 de la 4ème Convention de Genève a précisément été pensé pour répondre à ce cas de figure. L’assistance en revanche ne concerne que les catégories de civils les plus vulnérables.

Article 23, 4ème Convention de Genève – Envoi de médicaments, vivres et vêtements
Chaque Haute Partie contractante accordera le libre passage de tout envoi de médicaments et de matériel sanitaire ainsi que des objets nécessaires au culte, destinés uniquement à la population civile d’une autre Partie contractante, même ennemie. Elle autorisera également le libre passage de tout envoi de vivres indispensables, de vêtements et de fortifiants réservés aux enfants de moins de quinze ans, aux femmes enceintes ou en couches.

Lire le Commentaire du CICR de cet article

Les obligations de la puissance occupante

L’occupation subie par de très nombreux pays guide les autres articles dédiés à l’assistance dans la 4ème Convention.

Article 55 – Ravitaillement de la population
Dans toute la mesure de ses moyens, la Puissance occupante a le devoir d’assurer l’approvisionnement de la population en vivres et en produits médicaux ; elle devra notamment importer les vivres, les fournitures médicales et tout autre article nécessaire lorsque les ressources du territoire occupé seront insuffisantes.

Si la puissance occupante ne parvient pas à fournir à la population civile le minimum vital, elle a alors l’obligation d’autoriser le libre passage d’assistance humanitaire par des Etats ou des organisations humanitaires impartiales.

Article 59 – Secours – I. Secours collectifs
Lorsque la population d’un territoire occupé ou une partie de celle-ci est insuffisamment approvisionnée, la Puissance occupante acceptera les actions de secours faites en faveur de cette population et les facilitera dans toute la mesure de ses moyens.
Ces actions, qui pourront être entreprises soit par des Etats, soit par un organisme humanitaire impartial, tel que le Comité international de la Croix-Rouge, consisteront notamment en des envois de vivres, produits médicaux et vêtements.
Tous les Etats contractants devront autoriser le libre passage de ces envois et en assurer la protection.

L’article 70 du Protocole additionnel I de 1977, consacré aux conflits internationaux, élargira cette obligation de secours aux territoires quels qu’ils soient, sous occupation ou non. L’acheminement et la distribution des secours requièrent néanmoins le consentement de l’Etat concerné.

L’élargissement aux conflits armés non-internationaux

Mais après la Deuxième guerre mondiale, ce sont les conflits dits internes qui dominent la planète guerre. Or, les articles susmentionnés ne s’appliquent qu’en cas de conflit armé international… Les populations piégées dans des guerres civiles ou de décolonisation ne bénéficient pas de ce droit vital à l’assistance. L’atroce guerre du Biafra – largement télévisée – choquera le monde entier, témoin impuissant d’enfants squelettiques, victimes de la famine et du blocus.

Guerre du Biafra. Camp d’Oboro. Femmes et enfants biafrais.

Les Protocoles additionnels aux Conventions de Genève de 1977 combleront ces lacunes. Les Etats s’accordent enfin à inscrire noir sur blanc l’interdiction d’utiliser la famine contre les civils comme méthode de guerre, et ce, dans tous les conflits armés (article 54, Protocole I ; article 14, Protocole II). Cela s’accompagne d’une interdiction d’attaquer, d’endommager ou de détruire ce qui est vital à la population civile, comme les zones agricoles, les récoltes, le bétail, les installations et réserves d’eau potable et les ouvrages d’irrigation.

Enfin, si les Etats s’entendent à élargir le droit d’assistance aux conflits armés non-internationaux, cet élargissement est tout de même soumis à leur consentement.

Article 18, Protocole II – Sociétés de secours et actions de secours
2. Lorsque la population civile souffre de privations excessives par manque des approvisionnements essentiels à sa survie, tels que vivres et ravitaillements sanitaires, des actions de secours en faveur de la population civile, de caractère exclusivement humanitaire et impartial et conduites sans aucune distinction de caractère défavorable, seront entreprises avec le consentement de la Haute Partie contractante concernée.

Le consentement nécessaire de l’Etat pour acheminer des secours a souvent été critiqué. Comme le mentionne le commentaire du CICR de cet article, « pendant la Conférence diplomatique, les Etats se sont montrés souvent plus préoccupés de préserver leur souveraineté nationale que de s’engager à faciliter en toutes circonstances les actions de secours ».

La règle 55 du droit international humanitaire coutumier lève cet éventuel verrou, en indiquant que les parties au conflit doivent autoriser et faciliter le passage rapide des secours humanitaires pour la population civile. Dans tous les cas, les parties au conflit armé conservent le droit de contrôler la nature strictement humanitaire des envois de secours, comme d’imposer des restrictions temporaires et géographiquement limitées.

2016, Madaya en Syrie. Un convoi conjoint d’aide humanitaire du CICR, de l’ONU et du Croissant-Rouge Arabe syrien arrive à la ville asiégée.

Malheureusement, dans de trop nombreux conflits contemporains, les organisations humanitaires peinent à avoir accès aux populations civiles qui ont désespérément besoin d’assistance. C’est pourtant une obligation de toutes les parties – quel que soit le conflit, quel que soit le motif du conflit.

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