Chaque semaine, les volontaires de la Croix-Rouge française assistent les migrants bloqués dans la région de Calais. Parmi leurs actions, « le rétablissement des liens familiaux » qui permet aux exilés de reprendre contact avec leurs proches. Magali Massoud, dessinatrice, signe ces portraits de migrants.

Ils ont survécu au dangereux voyage de l’exil, l’espoir chevillé au corps ; trouver un meilleur ailleurs, loin de la guerre ou de la misère. Les équipes mobiles de la Croix-Rouge française sont à leurs côtés pour tenter d’améliorer leur quotidien, rompre l’ennui, proposer des soins médicaux. Ils sont aussi le trait d’union avec leurs familles, grâce au service de « rétablissement des liens familiaux ». Derrière l’austère appellation, toujours de l’émotion comme l’appel d’un fils à sa mère après de longs mois de silence.

Magali Massoud a croqué volontaires et migrants en quelques traits d’humanité. Voici le début de sa chronique dessinée, publiée à l’occasion de la Journée internationale des migrants.

Mutisme

Journée grise, ordinaire. Un terrain vague, point de ralliement pour qui veut passer un coup de fil au pays, accueille les exilés. L’équipe de la Croix-Rouge en charge du service de rétablissement des liens familiaux organise la file d’attente. Dans la brume se détachent des sourires comme fusent quelques mots de réconfort. Chacun aura droit à ses 10 minutes réglementaires de conversation… Un homme attend, silencieux, grave. Il se laisse tout de même approcher pour un dessin. En quelques traits rapides apparaît sa silhouette tendue… Il prend le dessin, y jette un œil, le rend, impavide. Il s’éloigne un instant puis fait volte-face, reconsidère avec douceur le dessin, le visage fendu d’un sourire inattendu.


Je suis perdu

« Paris est une tour de Babel : les gens y parlent toutes les langues, y compris la mienne, mais personne ne cherche à me comprendre ! J’ai beau afficher ma détresse sur un panneau, circuler longtemps avec, rien n’y fait ; les gens ne me lisent pas. Je marche sans but. Après un long moment, je me rends compte que je suis perdu, dans une ville qui me craint autant que l’alphabet sur mon carton. Et soudain, une voix. Quelqu’un surgit et me dit dans ma langue, “ انت ضائع » “Tu es perdu ». Il me montre le chemin. Voilà comment je suis arrivé ici. Depuis, on me répète que je dois aller là-bas, traverser encore, toujours plus loin. »



Une issue ?

L’accueil de jour regroupe plusieurs associations. La cour grouille d’activités, ici on recharge son téléphone, là, on fait la lessive, on évite le ballon perdu d’un match de foot improvisé. La Croix-Rouge passe, avec bénévoles et infirmiers. Appeler la famille au pays fait partie des services proposés. Un jeune homme dessine le mur en béton coloré qui délimite la cour. Le haut du mur épouse le bord de la feuille. Le ciel en devient une abstraction, l’espoir aussi.


Prisonnier de l’exil

Othman a été obligé de prendre les armes. À 16 ans, il se retrouve dans une cellule minuscule avec la mort promise pour seul point de fuite. In extremis, il parvient à s’évader. Il se demande toujours comment il a pu réussir. À le voir, on n’imagine pas les horreurs par lesquelles il a dû passer pour survivre à l’enfer. Aujourd’hui prisonnier de l’exil, ému par la possibilité de reprendre contact avec les siens, il hésite : « Que vais-je dire à ma famille ? » Quand on part, on meurt un peu.


Apprentissage

Kamal a vécu une enfance heureuse avant de se retrouver orphelin. Comme son père lui avait appris la navigation pour aller à la pêche, Kamal dut s’improviser capitaine d’une coquille de noix surpeuplée pour traverser la Méditerranée. Il réussit à accoster, poursuit son périple, pays après pays. A l’horizon, désormais, les côtes de Grande Bretagne. Il parle anglais et rêve de recevoir une éducation. A la fin de son récit plein d’assurance, l’enfant grandi trop vite resurgit et demande : « Et toi ? Tu en penses quoi ? Je tente ou pas ? »



L’habitué
Abdo est l’un des piliers de l’accueil de jour et des différents sites de l’aide sociale. Son histoire est terrible. Il est le seul survivant de l’appartement familial soufflé par une bombe. Secouru in extremis, il n’a eu pour choix que de fuir l’apocalypse de son village. Malgré le monde qui l’entoure, il est seul dans ses pensées, le regard dur, enfermé dans les séquelles d’une guerre qu’il ne comprend pas.



La tente

Olan et Jorin ont dans les 15 ans. Ils se partagent une tente au milieu des arbres, des bâches et des détritus de la « jungle », ce faux abri. Ils connaissent bien l’éducatrice spécialisée de la Croix-Rouge qui, à chaque maraude, vient prendre de leurs nouvelles. Regards ensommeillés, bribes de conversations, rires et taquineries. Sur leurs téléphones se fondent musique pop et détonations de leur pays en guerre.



Beauté

Nurah travaille ce jour-là pour une association humanitaire. Longtemps sans papiers et sans-abri, elle reproduit aujourd’hui l’aide reçue. Encouragée par ses compatriotes, elle se laisse croquer son portrait. « Surtout, fais ressortir mes fossettes ! ». La beauté se passe de mots.



Double portrait
Mounir a 16 ans. Il veut montrer que lui aussi a du talent ; il demande papier et crayon. De tête, il esquisse une jeune fille aux longs cils. « C’est ta chérie ? ». Ses compatriotes se marrent gentiment, lui aussi. Existe-t-elle vraiment ? Va-t-il la retrouver ? L’attend-elle à son retour ?



Déraciné
Nader ne sait plus à quel âge il a pris la route de « l’éternel détour ». Un parcours chaotique de plusieurs années pour, in fine, s’échouer dans un camp avec pour seules balises ce passé d’errance et ce futur qu’il ne parvient toujours pas à entrevoir. Sa cigarette virevolte au gré du récit décousu de sa trop longue marche. Les frontières traversées, les rencontres d’un jour, les lieux qui suggèrent de s’arrêter pour s’y ancrer mais qui restent interdits. Il est exilé d’une terre qui ne l’a jamais reconnu mais qui demeure le terreau de son être. Est-il possible de prendre racine dans du béton armé ?