Des voitures en double-file et de nombreux piétons avancent lentement sur une route étroite. Ils se dirigent vers un cimetière à flan d’une grande colline, triste symbole d’une jeunesse fauchée.

Ludwig et Zarine Abrahamyans, un couple dans la soixantaine, ont rejoint le rassemblement. L’aggravation du conflit au Haut-Karabakh à l’automne 2020 leur a pris leur cadet. Il est enterré ici, comme de nombreux autres victimes du même sort. Chaque visite au cimetière ouvre un torrent de souvenirs, tristes comme joyeux.

Areg Balayan/CICR

« Vazgen était un garçon gentil, intelligent et talentueux. Petit, il adorait le sport et la musique. Il était scout » raconte Ludwig, en regardant le visage souriant de son fils sur une photo. « Il ne voyait que le meilleur chez les gens, et il était toujours là pour aider les autres. » Agé de 26 ans, il étudiait l’urbanisme tout en servant dans l’armée. Il ne terminera jamais ses études.

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« Nous étions encore debout lorsque tout a commencé. Nous ne comprenions pas ce qu’il se passait » se souvient Ludwig. « Vazgen s’est levé, s’est habillé et il est parti. C’est la dernière fois que nous l’avons vu. »

Pendant treize jours, pas un signe de leur fils. Il finit par les appeler. « Vazgen nous appelait brièvement pour nous dire que tout allait bien. Il ne se plaignait jamais et nous remontait le moral en nous disant qu’il allait revenir. » se rappelle Zarine.

Après la fin des hostilités, la famille est longtemps restée sans nouvelles. Jusqu’à ce que le corps de leur fils soit retrouvé lors d’une opération de recherche et de récupération de dépouilles facilitée par le CICR.

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L’atmosphère est tendue, chargée de souvenirs – ceux d’avant-guerre, où la grande famille des Abrahamyans était heureuse. « Notre maison, nous la construisions depuis 28 ans » souligne Zarine.

 « Maintenant, nous n’avons plus rien. Plus de maison. Et le pire, plus de fils. »

Le regard de Zarine porte l’absence de Vazgen. Areg Balayan/CICR

Cette famille vit l’horreur de la guerre pour la deuxième fois. Pendant le conflit des années 90, Ludwig et Karine vivait dans un abri souterrain avec leurs cinq enfants et des voisins. « C’était une lutte quotidienne » soupire Zarine.

« Une lutte pour trouver de la nourriture, des vêtements pour les enfants, de l’électricité et de l’eau. Nous ne mesurions même pas comment nos enfants arrivaient à grandir dans cet abri. Mais lorsque les combats ont pris fin, ils étaient déjà sortis de l’enfance. »

Le silence s’est imposé dans une famille autrefois joyeusement bruyante. Areg Balayan/CICR

Après le premier conflit, la vie a repris. Ludwig a démarré son usine de tapis, qu’il dirigea près de 18 ans. Puis, il s’est mis à jardiner. Pendant tout ce temps, les enfants vivaient une vie remplie de danse, de théâtre, de sports et de musique. « Chaque jour était unique » sourit Zarine. « Les enfants ramenaient leurs amis de l’école pour faire la fête dans notre grande maison. Nous recevions beaucoup et il y avait toujours de la musique. Nous jouions du blues, du jazz et de la musique classique ».

Ludwig et Zarine se consolent auprès de leurs petits-enfants, qui sont les seuls à rompre le lourd silence avec leurs rires. Areg Balayan/CICR

Ludwig et Zarine se remémorent leur grande maison avec beaucoup d’amour et d’enthousiame. « C’était une maison à deux étages, où nous pouvions accueillir plus de 100 personnes. Nos portes étaient toujours grandes ouvertes. Des troupes de danse et de musique venaient dès qu’il y avait des spectacles dans notre ville ».

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L’escalade du conflit à l’automne dernier a brutalement mis fin à cette vie-là. La famille n’a rien pu emporter. Ils ont tout laissé derrière eux – les tapis qu’ils avaient préservés pendant tant d’années, des pommiers et cognassiers, des documents importants, des albums-photos et cassettes vidéos, captures de précieux moments de vie.

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Les combats ont forcé Ludwig et Zarine à fuir leur ville, tout comme deux de leurs filles et un de leur fils. Ils ont trouvé un refuge temporaire dans un hôtel à Erevan, en Arménie. Ils y sont restés plusieurs mois, à s’occuper des petits-enfants et essayer de faire le deuil de leur fils adoré.

La famille habite maintenant dans un petit appartement dans la ville arménienne d’Abovyan. « Nous avons laissé une belle vie derrière nous pour nous retrouver sur le seuil de l’incertitude » soupire Ludwig.

Quelle sera la vie de mes petits-enfants ?

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Ludwig, son petit-fils de 6 ans, joue avec des briques à côté de lui. Il est en train de construire une tour colorée. Il se lève d’un coup pour commencer à construire une autre petite maison. La famille repart à zéro, se reconstruire une nouvelle vie.

Notre appareil photo a capturé un rare sourire sur le visage de Zarine, tandis qu’elle verse du jus de fruit fait maison pour ses petits-enfants. Pour elle, cet amour leur donnera la force nécessaire pour avancer. Areg Balayan/CICR