Pour Victor Hugo elle est « la voix d’or », pour la presse, « la plus grande tragédienne », « la divine » ou encore « l’Impératrice du Théâtre » ! Pour la Croix-Rouge, Sarah Bernhardt (1844-1923) est l’une de ses plus anciennes volontaires. Pensez, 1870 ! La vénérable institution a alors 6 ans.

L’action se passe au Théâtre de l’Odéon à Paris en décembre 1870, deux mois après la déroute de Napoléon III à Sedan dans les Ardennes. C’est la fin brutale du second Empire, l’avènement, encore incertain, de la IIIème République (le 4 septembre). L’Empeur des Français et son armée sont prisonniers. Ivres de victoire, les Prussiens foncent sur Paris. Ainsi commence un siège long et terrible, durant lequel les Parisiens mangent (entre autres) l’éléphant du Jardin du Luxembourg…

Comédienne reconnue et infirmière Croix-Rouge à 26 ans

Les armées d’outre Rhin bombardent nuit et jour la capitale. Dans son journal, Hermione Quinet (l’épouse d’Edgar, l’historien et républicain)  note : « Contre toutes les lois de la guerre, ils [les Prussiens] n’ont pas donné l’avertissement en usage qu’ils allaient commencer le bombardement. Des habitants inoffensifs, des vieillards tués, des  femmes, des jeunes filles tuées, des enfants tuées, des médecins tués, des infirmiers tués ».

Dans le quartier du Théâtre de l’Odéon, aux premiers jours de janvier 1871, les obus continuent de pleuvoir, un chaque deux minutes. Transformé en ambulance Croix-Rouge, le théâtre accueille depuis des semaines des dizaines de soldats blessés. Au début des combats, Sarah Bernhardt est à l’affiche de « L’Autre », une comédie de sa camarade George Sand. Le théâtre est réquisitionné, accueille ses premiers blessés. Sarah et ses consoeurs artistes s’affairent auprès d’eux.

« Des obus sont tombés dans l’ambulance de l’Odéon. Les malades qui ont pu se lever ont quitté leur lit couvert de gravier. Les plus atteints ont été portés dans les caves par les intrépides infirmières, les artistes, qui ont transformé le théâtre en hôpital», note Hermione Quinet.

La Mère Lachaise !

Après ces jours difficiles, l’ambulance Croix-Rouge est déménagée rue Taitbout, hors de portée des canons. Sarah Bernhardt en demeure la patronne. Parmi ses patients, il en est un qu’elle affectionne particulièrement : un jeune officier, Ferdinand Foch. Il deviendra bientôt, grâce à elle, l’un des militaires les plus en vue de la Belle Epoque, ami de Rostand, de Proust et de bien d’autres.

Sarah Bernardt ne fait plus l’infirmière mais joue ici le rôle du soldat blessé… (1917)

Leur amitié est indéfectible. Le futur généralissime, élevé en 1918, à la dignité de Maréchal de France, l’autorise à partir de 1916 à aller régulièrement, en chaise à porteurs, dans les tranchées soutenir le moral des poilus ! Il est vrai qu’une vieille tuberculose osseuse lui a mangé une jambe. Mais qu’importe. La divine reste la divine, même assise – elle refusera toujours le pilon !

Les poilus la surnomment affectueusement, la Mère Lachaise.

Retour en 1870. L’histoire ne dit pas si Sarah a croisé Henry Dunant. Le fondateur de la toute jeune Croix-Rouge (le CICR à 7 ans et la Croix-Rouge Française, 6) travaille à l’évacuation de civils comme durant la féroce bataille de Champigny sur Marne le 30 novembre.

Frédéric Joli