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Un filet de protection pour les prisonniers de guerre : cinq principes fondamentaux de la Troisième Convention de Genève

Action humanitaire / Commentaires des Conventions de Genève / Détention / Droit et conflits 14 minutes de lecture

Un filet de protection pour les prisonniers de guerre : cinq principes fondamentaux de la Troisième Convention de Genève

Après la Seconde Guerre mondiale, les États ont œuvré ensemble afin d’améliorer la protection juridique accordée à certaines catégories de personnes, en particulier les prisonniers de guerre, qui pour beaucoup, avaient grandement souffert pendant le conflit. Les dispositions relatives à la protection des prisonniers de guerre sont énoncées dans la Troisième Convention de Genève, adoptée en 1949. Les 143 articles de cette Convention traitent en grande partie des conditions matérielles de l’internement des prisonniers de guerre.

Dans ce billet, Yvette Issar, ancienne conseillère juridique du CICR, examine certains des principes fondamentaux que l’on trouve tout au long de la Troisième Convention et qui sont à la base des dispositions destinées protéger les prisonniers de guerre qui ont été internés. Ces principes orientent tous les aspects de la vie des prisonniers de guerre, qu’il s’agisse des normes relatives au logement, à la nourriture et à l’habillement, ou du régime pénal et disciplinaire qui leur est applicable. Le Commentaire actualisé de la Troisième Convention de Genève du CICR, récemment publié, propose un examen plus approfondi de ces principes.

La Troisième Convention de Genève est composée de 143 articles. Ceux-ci contiennent des prescriptions sur le commencement et la fin de l’internement et ils réglementent les conditions matérielles de l’internement des prisonniers de guerre (PG). Ces règles s’appliquent au logement, aux normes minimales en matière d’hygiène et de soins médicaux nécessaires pour maintenir les prisonniers de guerre en bonne santé et prévenir la propagation de maladies contagieuses ou de maladies causées par la malnutrition ou l’immobilisme. Ces articles contiennent des dispositions qui interdisent la torture, le travail forcé et d’autres formes de mauvais traitements. Si sur le fond, ces règles sont diverses, elles ont un élément en commun : elles s’attachent toutes à protéger la dignité humaine des prisonniers de guerre.

Pour la plupart d’entre elles, les dispositions de la Troisième Convention sont le résultat d’une interaction entre plusieurs principes fondamentaux qui en sont le fil. Ensemble, ces principes – des principes de nécessité militaire et d’humanité aux principes d’égalité de traitement, d’absence de distinction de caractère défavorable et d’assimilation, aident à tisser un filet de protection qui est destiné à protéger les prisonniers de guerre pendant leur internement.

Le principe de nécessité militaire

Le principe de nécessité militaire est essentiel en droit international humanitaire (DIH). Il « permet les mesures qui sont réellement nécessaires pour atteindre un objectif militaire légitime et qui ne sont pas interdites par le droit international humanitaire par ailleurs [traduction CICR] ».

Article 21 – Restriction à la liberté de mouvement

La Puissance détentrice pourra soumettre les prisonniers de guerre à l’internement. Elle pourra leur imposer l’obligation de ne pas s’éloigner au-delà d’une certaine limite du camp où ils sont internés ou, si ce camp est clôturé, de ne pas en franchir l’enceinte. Sous réserve des dispositions de la présente Convention relatives aux sanctions pénales et disciplinaires, ces prisonniers ne pourront être enfermés ou consignés que si cette mesure s’avère nécessaire à la protection de leur santé ; cette situation ne pourra en tout cas se prolonger au-delà des circonstances qui l’auront rendue nécessaire.

Conformément au principe de nécessité militaire, une partie au conflit peut interner les forces combattantes de son ennemi afin de les empêcher de retourner sur le champ de bataille. Autrement dit, le principe de nécessité militaire permet l’internement d’une catégorie entière de personnes lors de conflits armés internationaux. Il régit aussi les règles relatives à leur libération qui intervient lorsque la nécessité militaire ne justifie plus l’internement.

Puisque l’internement est motivé par la nécessité militaire, selon la Convention, pendant toute la durée de leur internement, les combattants capturés ne doivent pas être traités comme des criminels pour avoir participé au conflit : c’est le principe de l’immunité du combattant. Ils ne doivent pas être enfermés ou consignés (art. 21) et doivent être séparés des détenus de droit commun (art. 22).

Le principe d’humanité

En internant des prisonniers de guerre, la Puissance détentrice réalise son objectif légitime visant à affaiblir la capacité militaire de son ennemi. Pendant leur internement, les soldats ennemis doivent toujours être traités avec humanité.

Le principe de traitement humain repose sur l’idée tout à fait fondamentale selon laquelle la dignité des êtres humains est inaliénable. Bien que le principe de traitement humain soit présent dans toutes les dispositions de la Convention, il n’est explicitement mentionné qu’aux articles 13 et 14.

Article 13 – Traitement humain des prisonniers

Les prisonniers de guerre doivent être traités en tout temps avec humanité. Tout acte ou omission illicite de la part de la Puissance détentrice entraînant la mort ou mettant gravement en danger la santé d’un prisonnier de guerre en son pouvoir est interdit et sera considéré comme une grave infraction à la présente Convention. En particulier, aucun prisonnier de guerre ne pourra être soumis à une mutilation physique ou à une expérience médicale ou scientifique de quelque nature qu’elle soit qui ne serait pas justifiée par le traitement médical du prisonnier intéressé et qui ne serait pas dans son intérêt.

Les prisonniers de guerre doivent de même être protégés en tout temps, notamment contre tout acte de violence ou d’intimidation, contre les insultes et la curiosité publique.

Les mesures de représailles à leur égard sont interdites.

Article 14 – Respect de la personne des prisonniers

Les prisonniers de guerre ont droit en toutes circonstances au respect de leur personne et de leur honneur.

Les femmes doivent être traitées avec tous les égards dus à leur sexe et bénéficier en tous cas d’un traitement aussi favorable que celui qui est accordé aux hommes.

Les prisonniers de guerre conservent leur pleine capacité civile telle qu’elle existait au moment où ils ont été faits prisonniers. La Puissance détentrice ne pourra en limiter l’exercice soit sur son territoire, soit en dehors, que dans la mesure où la captivité l’exige.

Plusieurs règles découlent directement du principe de traitement humain. Il en va ainsi de celles disposant qu’aucune torture physique ou morale ne soit exercée sur les prisonniers de guerre. Ils doivent être protégés contre tout acte de violence et d’intimidation, contre les insultes et la curiosité publique. Les mesures de représailles à leur égard sont interdites, de même que l’atteinte à leur honneur.

Bien qu’aucun des traités relatifs au DIH ne définisse l’expression « traitement humain », le Commentaire actualisé donne des indications sur le sens de l’obligation de traiter les prisonniers de guerre avec humanité dans ces dispositions spécifiques. Le Commentaire explique que l’obligation d’accorder un traitement humain n’est pas seulement l’interdiction d’un traitement inhumain. L’obligation de traiter les prisonniers de guerre avec humanité comprend toutes les interdictions de traitements qui sont inhumains ou dégradants et, dans certains cas, elle va plus loin et exige que la Puissance détentrice prenne des mesures positives.

Certains types de traitement constitueront toujours un traitement inhumain, mais la définition d’un traitement humain peut dépendre de nombreux critères, en particulier l’origine sociale, l’appartenance culturelle et religieuse, le genre et l’âge du prisonnier.

Le principe d’un traitement humain oriente tous les aspects de la vie d’un prisonnier de guerre – du moment de sa capture, l’interrogatoire initial, son évacuation vers l’arrière, jusqu’aux conditions auxquelles il peut être soumis pendant toute la durée de son internement. On trouve cette obligation de traitement humain dans plus d’une centaine de dispositions de la Convention qui régissent des aspects, plus spécifiques, comme la nourriture et l’habillement, l’hygiène et les soins médicaux et les contacts avec le monde extérieur. Toutes ces dispositions renforcent le cadre protecteur de la Convention et confirment le fait que la Puissance détentrice doit respecter la dignité humaine inhérente à tous les prisonniers de guerre et le caractère inaliénable de leur qualité d’être humain.

Le Commentaire actualisé de la Troisième Convention de Genève veille à bien mettre ces liens en avant, car promouvoir le traitement humain des PG est au cœur du mandat du CICR. L’obligation de traitement humain est le fil rouge de toute la Convention et en constitue en grande partie l’objet et le but.

 

Les principes d’égalité de traitement et d’absence de distinction de caractère défavorable

Les principes d’égalité de traitement et d’absence de distinction de caractère défavorable sont complémentaires et figurent tous les deux à l’article 16.

Article 16 – Égalité de traitement des prisonniers

Compte tenu des dispositions de la présente Convention relatives au grade ainsi qu’au sexe, et sous réserve de tout traitement privilégié qui serait accordé aux prisonniers de guerre en raison de leur état de santé, de leur âge ou de leurs aptitudes professionnelles, les prisonniers doivent tous être traités de la même manière par la Puissance détentrice, sans aucune distinction de caractère défavorable, de race, de nationalité, de religion, d’opinions politiques ou autre, fondée sur des critères analogues.

En disposant que tous les prisonniers de guerre doivent être traités de la même manière, la disposition exige que le traitement soit égal, mais pas identique. Les situations et les besoins propres à des (catégories de) prisonniers doivent donc être pris en considération. L’obligation de traiter les prisonniers de guerre de la même manière peut ainsi, dans certaines circonstances, nécessiter un traitement différencié.

Certaines distinctions préférentielles, c’est-à-dire des distinctions qui sont justifiées par des situations et par des besoins des personnes protégées profondément différents, sont autorisées, voire exigées. Le texte de l’article lui-même souligne qu’un traitement privilégié peut être accordé en raison de l’état de santé, l’âge ou des aptitudes professionnelles. D’autres éléments peuvent également constituer une raison objective et raisonnable justifiant un traitement différencié. Par exemple, comme le mentionne le Commentaire actualisé, des mesures spécifiques peuvent être nécessaires pour faire en sorte que les services et les installations du camp soient accessibles aux prisonniers atteints d’un handicap.

L’article 16 interdit en particulier les distinctions de caractère défavorable, de race, de nationalité, de religion ou d’opinions politiques ou autres fondées sur « des critères analogues ». Cette liste n’est pas exhaustive ; les rédacteurs de la Convention avaient prévu que la liste puisse évoluer et l’article doit être interprété à la lumière des récents développement du droit et de l’évolution de la société.

Le principe d’assimilation

Le principe d’assimilation exprime l’idée selon laquelle les PG doivent bénéficier d’un traitement et de conditions de vie semblables à celles dont jouissent les membres des troupes de la Puissance détentrice. Ce raisonnement avait déjà été introduit dans les Règlements de La Haye de 1899 et de 1907, ainsi que dans la Convention sur les prisonniers de guerre de 1929. Ce principe occupe une place particulièrement importante dans le chapitre sur les sanctions pénales et disciplinaires, ou il s’articule, aux fins de ce chapitre, à la première phrase de l’article 82 sur le droit applicable.

Le principe d’assimilation a un intérêt pratique. Il facilite l’administration de l’internement des prisonniers de guerre, dès lors que la Puissance détentrice est appelée à appliquer les règles et normes déjà en vigueur pour ses propres troupes. La Puissance détentrice est nécessairement familière de ces règles et normes, sait déjà comment les mettre en œuvre et est donc prête à les appliquer aux prisonniers de guerre.

Plusieurs dispositions de la Troisième Convention renvoient au principe d’assimilation comme référence pour définir les conditions de vie et les normes de traitement à accorder aux PG. Toutefois, ce principe ne s’applique pas seul, mais se conjugue plutôt avec certaines normes minimales de la Convention, en particulier celles relatives au traitement humain.

Nous pouvons voir cette interaction à l’article 25, par exemple, qui traite des conditions de logement réservées aux PG. L’assimilation avec les troupes de la Puissance détentrice n’est pas le point de départ de la règle. Conformément à l’article 25, « les conditions de logement des prisonniers de guerre seront aussi favorables que celles qui sont réservées aux troupes de la Puissance détentrice cantonnées dans la même région ». Toutefois, cela s’accompagne de l’obligation de tenir compte des « mœurs et coutumes » des prisonniers et d’une garantie minimale exigeant de n’être « en aucun cas (…) préjudiciable à leur santé ».

Nous pouvons également examiner l’article 84 sur les tribunaux. Le premier alinéa se réfère au principe d’assimilation. Il exige que les PG soient jugés par des tribunaux militaires, à moins que la législation de la Puissance détentrice n’autorise des tribunaux civils à juger un membre de ses forces armées pour une infraction donnée. Le second alinéa énonce des normes minimales et absolues à propos de la traduction des prisonniers de guerre devant un tribunal, puisque les systèmes judiciaires civil et militaire peuvent être très différents d’un État à l’autre.

Ainsi, s’agissant des règles qui mettent en avant le principe d’assimilation, les normes nationales servent de référence, mais lorsque le traitement accordé par une Puissance détentrice à ses propres forces armées sur ces aspects est inférieur aux normes minimales énoncées dans la Troisième Convention, ce sont les normes de la Convention qui s’appliquent aux prisonniers de guerre.

Conclusion

Les principes examinés dans ce billet opèrent ensemble pour indiquer quelles sont les règles qui s’appliquent aux prisonniers de guerre qui sont soumis à un internement. Dans son Commentaire actualisé de la Troisième Convention de Genève, le CICR a fourni des clés de lecture sur la manière dont ces principes – et les dispositions précises sur lesquels elles sont fondées – devraient être interprétés dans les conflits contemporains.

Cet article a été initialement publié en anglais le 27 avril 2023.

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