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Lorsque les hostilités prennent fin mais que les souffrances demeurent : la nécessité de poursuivre des activités humanitaires au lendemain d’un conflit armé

Action humanitaire / Droit et conflits / Le DIH au lendemain des conflits 15 minutes de lecture

Lorsque les hostilités prennent fin mais que les souffrances demeurent : la nécessité de poursuivre des activités humanitaires au lendemain d’un conflit armé

Les conflits armés ont des conséquences à long terme sur les populations, même bien longtemps après la fin du conflit. Les organisations humanitaires qui opèrent dans ces situations peuvent soulager ces souffrances et contribuer à ce qu’elles jouissent de leurs droits fondamentaux. Dans cette perspective, leurs activités doivent être facilitées et leurs personnels doivent être protégés en toutes circonstances.

Dans ce billet, publié dans la série « Le DIH au lendemain des conflits », Émilie Charpentier, associée au sein de la Division juridique du CICR, présente le cadre juridique applicable aux activités humanitaires entreprises pendant et après un conflit armé et propose quelques pistes juridiques pour répondre aux difficultés que rencontrent les organisations humanitaires alors qu’elles tentent de remplir leur mandat.

Après un conflit armé, les conséquences sont désastreuses pour les populations civiles : les familles sont séparées ; les infrastructures sont détruites ; certains ont cherché refuge dans d’autres pays ou se sont déplacés dans leur propre pays ; et les blessés et les malades sont nombreux. Les populations ont encore un besoin urgent d’assistance et de protection. L’aide vient d’abord de la communauté, puis de l’État ou de quiconque contrôle le territoire. Mais si ces acteurs n’ont pas la capacité de fournir une aide, les organisations humanitaires peuvent intervenir et, dès lors, jouer un rôle indispensable pour la pleine reconstruction des populations civiles au lendemain du conflit. Il est indispensable que ces organisations continuent d’être protégées.

Toutefois, dans le monde entier, des acteurs humanitaires comme le CICR, mais ce n’est pas le seul, sont confrontés à diverses difficultés parmi lesquelles des questions de sécurité, des obstacles administratifs, que ce soit le fait d’États ou d’acteurs non-étatiques, ainsi que le risque d’être arrêtés et poursuivis pour avoir exercé leur mandat là où les législations pénales antiterroristes et les régimes de sanctions sont sévères et ne prévoient pas d’exemptions humanitaires.

En vertu tant du droit international humanitaire (DIH) que du droit international des droits de l’homme (DIDH), c’est aux États qu’il incombe au premier chef de satisfaire les besoins de la population se trouvant sous leur juridiction ou sous leur contrôle. Cela découle du principe de souveraineté des États, du droit international général et des obligations des États dans le domaine des droits de l’homme. Tel qu’énoncé dans les Principes directeurs sur le Renforcement de la coordination de l’aide humanitaire d’urgence de l’Organisation des Nations Unies, adoptés par une résolution de l’Assemblée générale des Nations Unies, l’État a ainsi pour rôle premier d’initier, d’organiser, de coordonner et de mettre en œuvre l’aide humanitaire sur son territoire.

Dans les situations de conflit armé, le DIH fournit un cadre robuste pour l’accès et les activités humanitaires. Toutefois, dans d’autres situations d’urgence ou pendant la période de transition qui suit la fin d’un conflit armé, se pose la question de savoir si le droit international général et le DIDH imposent également aux États l’obligation d’autoriser et de protéger ces activités. En réalité, la frontière entre paix et conflit armé est souvent floue. Au lendemain d’un conflit, les conséquences de celui-ci sont encore très vives et nécessitent une réponse humanitaire pour garantir une vraie transition vers la paix et pour mettre fin aux souffrances humaines que le conflit a causées.

La protection du DIH pendant et après le conflit

En vertu du DIH, les organisations humanitaires impartiales ont un droit inconditionnel d’offrir leurs services aux parties afin de répondre aux besoins essentiels de la population affectée par un conflit armé. L’accès est soumis au consentement des États parties intéressés – sauf dans les situations d’occupation, où il existe une obligation positive d’accepter l’aide proposée – mais le refus ne doit pas être illicite, en particulier si ce refus risque de porter atteinte aux droits fondamentaux des victimes. De plus, tant dans les conflits armés internationaux (CAI) que dans les conflits armés non internationaux (CANI), le fait de diriger intentionnellement des attaques contre le personnel, le matériel ou les véhicules employés dans le cadre d’une mission d’aide humanitaire est considéré comme une violation grave du DIH et qualifié de crime de guerre (Statut de Rome, art. 8, par. 2, b), iii) et e) (iii)).

Dans nombre de pays confrontés à divers conflits armés, les acteurs sont multiples. Dans les conflits prolongés, il est parfois difficile d’établir le lien entre certains besoins humanitaires et tel ou tel conflit, car les effets des hostilités sont souvent très étendus. Pour autant, ne pas pouvoir déterminer avec précision quel conflit armé a provoqué des conséquences humanitaires dans des situations où il y a une superposition de conflits, ne devrait pas priver les populations qui en ont besoin de bénéficier d’une protection et de recevoir une assistance humanitaire.

Même lorsque tous les conflits armés ont pris fin, nombre de dispositions du DIH sont toujours appropriées et applicables, comme celles relatives aux personnes privées de liberté ou à l’obligation de soigner les blessés et les malades. La protection spéciale accordée par le DIH aux activités et aux personnels humanitaires devrait donc, à cet égard, continuer d’être respectée.

L’importance des activités humanitaires pour répondre à tous les besoins résultant de conflits armés ou d’autres situations de violence est reconnue par les Statuts du Mouvement international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge, qui confèrent au CICR le mandat de mener des opérations non seulement en cas de CAI, de CANI et de troubles intérieurs, mais également de répondre aux « suites directes » desdits évènements. Comme prévu par l’Accord de Séville, les termes « suites directes » s’appliquent au-delà de la cessation des hostilités et durant la période post-conflictuelle, aux situations où les victimes continuent à avoir besoin de secours.

Le rôle central des droits de l’homme

Pendant un conflit armé, le DIH et le DIDH sont complémentaires. Toutefois, à la fin du conflit, alors que le DIH cesse de s’appliquer – ou qu’il ne s’applique plus que dans certaines situations –, les obligations du DIDH demeurent. Il se peut que le conflit soit suivi d’une période de violences sporadiques qui, bien qu’elles ne remplissent pas les critères d’organisation et d’intensité nécessaires pour pouvoir qualifier la situation de CANI, sont toutefois source d’instabilité et ont des conséquences humanitaires. Les États doivent s’assurer que tous les individus puissent jouir des droits de l’homme les plus fondamentaux tout en s’efforçant de leur garantir le plein exercice de tous leurs droits. Même dans les situations d’urgence, les États sont tenus de garantir au moins que les droits les plus fondamentaux sont satisfaits.

En vertu du DIDH, l’accès à l’aide humanitaire n’est pas considéré, en tant que tel, comme un droit relevant des droits de l’homme. Toutefois, le fait pour les États de faciliter l’assistance humanitaire est un autre moyen de remplir leur obligation de préserver l’essentiel des droits fondamentaux et d’assurer progressivement la jouissance de tous les droits. Les États ont aussi l’obligation de protéger tous les individus se trouvant sur leur territoire et relevant de leur compétence sans discrimination (PIDCP, art. 2). Par conséquent, les personnels humanitaires jouissent des protections prévues par le DIDH, comme la protection contre les privations arbitraires de leur droit à la vie ou contre l’arrestation et la détention arbitraires. L’importance de la coopération internationale est mise en exergue dans les deux Pactes internationaux (le PIDCP et le PIDESC) et les ressources provenant de la communauté internationale doivent être considérées comme des « ressources disponibles » pour déterminer si l’État a pris toutes les mesures nécessaires pour assurer le plein exercice des droits de l’homme.

Les États sont tenus de garantir les droits de l’homme les plus fondamentaux, tels que le droit à la vie et l’interdiction de la torture ou d’autres formes de traitements cruels, inhumains ou dégradants. Le refus illicite d’un État d’autoriser l’accès humanitaire pourrait conduire à une violation du droit à la vie. Ce serait par exemple le cas si une population a besoin d’une aide humanitaire d’urgence afin d’éviter la famine ou une malnutrition sévère et qu’en dépit de cette situation, l’État refuse de donner l’accès bien qu’il ne puisse pas ou ne veuille pas, par ses propres moyens, répondre efficacement à ces besoins. Le refus d’approvisionner en biens de première nécessité les populations qui se trouvent déjà dans une situation précaire en raison d’un conflit armé ou d’une situation de violence aurait pour seul résultat d’engendrer des souffrances physiques mais aussi une détresse morale.

Bien que le plein exercice des droits économiques, sociaux et culturels (DESC) puisse être atteint petit à petit, il n’empêche que certaines obligations fondamentales doivent être respectées sans attendre. C’est le cas du droit à un niveau de vie suffisant, y compris la nourriture, des vêtements, un logement et le droit de jouir du meilleur état de santé possible. L’obligation de respecter les DESC suppose de respecter l’accès humanitaire qui a précédemment été accordé pendant le conflit armé et qui contribue encore au plein exercice de ces droits après la fin des hostilités. En effet, dès lors que le plein exercice des droits doit être assuré progressivement, toute mesure délibérément régressive devra être justifiée.

Dans son Observation générale relative au droit à une nourriture suffisante, le Comité des droits économiques, sociaux et culturels a souligné que des violations du droit à l’alimentation peuvent être le fait d’une action directe de l’État, comme la prévention de l’accès à l’aide alimentaire à caractère humanitaire. La jouissance de ces droits ne peut être limitée qu’en vue de favoriser « le bien-être général » de la population ; ces limitations doivent être conformes au droit, poursuivre un objectif légitime et respecter les principes de nécessité et de proportionnalité. L’obligation de protéger les DESC exige des États qu’ils assurent un accès à l’aide humanitaire sûr et sans entraves, dès lors que cela contribue à la jouissance de ces droits. Pour que les États remplissent pleinement leurs obligations, l’adoption de mesures appropriées, législatives ou autres, peut être nécessaire afin de renforcer efficacement l’accès des populations aux moyens de subsistance et aux ressources.

Autres protections

Il est possible que les victimes d’un conflit armé ayant besoin d’une assistance humanitaire se trouvent en dehors de la zone du conflit, par exemple parce qu’elles ont été déplacées ou qu’elles ont cherché refuge ailleurs. S’il se peut que le DIH ne s’applique pas dans les zones où se trouvent ces populations, il n’empêche que celles-ci ont droit à une protection. D’ailleurs, tant la Convention relative aux droits de l’enfant que la Charte africaine des droits et du bien-être de l’enfant disposent que les États ont l’obligation de tout faire pour qu’un enfant cherchant à obtenir le statut de réfugié ou qui est considéré comme réfugié, bénéficie d’une assistance humanitaire et, à cette fin, de collaborer à tous les efforts faits par les États, les organisations internationales et les ONG.

Le Comité des droits de l’enfant a affirmé qu’il était attendu des États qu’ils acceptent et facilitent la fourniture de l’assistance dans le souci de répondre aux besoins des enfants non accompagnés et séparés. Le Comité a réaffirmé cette obligation à maintes reprises, à propos du droit à l’éducation, du droit à un niveau de vie suffisant et du droit de jouir du meilleur état de santé possible, en particulier dans les situations dans lesquelles l’État dispose de moyens réduits. En outre, les États sont vigoureusement encouragés non seulement à accepter une assistance, mais aussi à solliciter une assistance internationale. De la même manière, la Convention de Kampala sur la protection et l’assistance aux personnes déplacées en Afrique, oblige les États parties à autoriser le passage rapide et libre des secours et à faciliter le rôle des organisations et agences humanitaires dans l’assistance à ces personnes.

Comment faciliter l’aide humanitaire au lendemain d’un conflit ?

Il est important qu’avant et pendant le conflit armé, les parties au conflit et les organisations humanitaires préparent et planifient l’après-conflit. Elles doivent s’assurer que les besoins de la population civile vont être pris en compte en toutes circonstances, sans quoi les vulnérabilités engendrées par le conflit s’aggraveront et auront des conséquences sur le long-terme.

La décision de faciliter des activités humanitaires qui répondent aux suites directes d’un conflit armé doit être guidée par les besoins des victimes et pas par la temporalité. Il se peut que ces besoins nécessitent une assistance humanitaire d’urgence (soigner les blessés et les malades après chaque combat, par exemple), mais il se peut aussi que les besoins apparaissent après la fin du conflit (reconstruction des infrastructures essentielles pour garantir l’accès à la nourriture, à l’eau potable ou à l’éducation, par exemple). Les activités humanitaires sur le long-terme, comme élucider le sort des personnes disparues, peuvent être capitales pour les familles et leur bien-être. Elles peuvent aussi avoir un impact et une influence sur la cohésion sociale au sein des populations et assurer une meilleure transition vers une paix durable.

Les États devraient adopter une législation permettant de faciliter les activités humanitaires aussi bien en période de conflit armé qu’en temps de paix. Puisque les régimes de sanctions internationales demeurent un défi pour l’assistance humanitaire et la reconstruction après un conflit, il convient de rappeler que la possibilité d’offrir une aide strictement humanitaire aux personnes qui se trouvent dans d’autres pays, quels que soient leur appartenance politique ou leur objectif, ne devrait pas être considérée comme illicite ou contraire au droit international. Cela est conforté par le principe général de non-discrimination qui est au cœur du cadre juridique du DIH et du DIDH, puisqu’il s’agit d’une règle de droit international péremptoire.

En outre, toutes les résolutions adoptées par le Conseil de Sécurité des NU sur ce sujet devraient être interprétées conformément à la Charte des Nations Unies et à son but, à savoir : « développ[er] et encourag[er] le respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales pour tous ». Dès lors, il serait nécessaire que les États se dotent d’une législation contribuant à la jouissance de certains droits, conformément aux principes généraux du droit international et instaurant des exemptions humanitaires.

Dans les situations de conflit armé, les États ont la stricte obligation de faciliter les activités humanitaires, de respecter et de protéger les personnels humanitaires, conformément au DIH et à leurs autres obligations en vertu du DIDH. Après la fin d’un conflit, les activités humanitaires jouent un rôle essentiel dans la vie des populations affectées et dans la reconstruction post-conflit. Les organisations humanitaires telles que le CICR, qui qui œuvrent pour soulager les souffrances de la population affectée, doivent continuer d’être protégées et leurs opérations doivent être facilitées, puisque ces souffrances ne cessent pas après la fin du conflit.

Cet article a été initialement publié en anglais le 24 novembre 2022.

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