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Situer les Commentaires des Conventions de Genève dans le paysage juridique international

Photo des destructions dans le centre d’Homs, en Syrie. 25 février 2016 (Jérôme Sessini/Magnum Photos du CICR)

Où se situent les Commentaires du CICR dans le paysage juridique ? Quelles sont les règles qui régissent l’interprétation des traités et comment fonctionnent-elles dans le domaine du DIH ? D’où le CICR tient-il sa légitimité pour interpréter les Conventions de Genève ? Jean-Marie Henckaerts, chef du projet de mise à jour des Commentaires, donne le coup d’envoi de la première série de ces chroniques consacrées aux Commentaires des Conventions de Genève.

 

Les normes du droit international sont consécutives à l’adoption de traités ou à la formation de règles coutumières fondées sur la pratique des États et l’opinio juris. Les règles conventionnelles du droit international humanitaire (DIH) sont d’abord et avant tout contenues dans les Conventions de Genève et leurs Protocoles additionnels. Parallèlement, un ensemble de règles coutumières réglemente la conduite des hostilités dans les conflits armés contemporains. En 2005, le CICR a publié une Étude visant à identifier les règles du DIH coutumier ; il a formulé 161 règles de DIH qui ont acquis, conformément à la pratique des États compilée par le CICR, une valeur coutumière.

Les Commentaires du CICR, comme tout commentaire, visent à préciser le sens des règles conventionnelles afin de faciliter leur mise en œuvre : ils s’attachent à l’interprétation des normes et non à leur identification. Toutes les règles juridiques, qu’elles soient détaillées ou non, doivent être interprétées pour être appliquées. Les traités internationaux, tels que les Conventions de Genève, ne font pas exception. Le but d’un commentaire est de proposer ces interprétations et de signaler les aspects qui ne sont pas encore tout à fait tranchés. Par essence, ils ne peuvent pas modifier le droit.

Comme les Conventions de Genève de 1949 ont été rédigées de façon à ce qu’elles soient facilement comprises des belligérants, leurs dispositions ont déjà un certain niveau de précision et de praticité – voir les règles détaillées réglementant la protection des prisonniers de guerre dans la Troisième Convention. Pourtant, le champ et le sens de certaines de leurs dispositions peuvent aussi nécessiter de plus amples précisions – voir le manque de détails à propos du champ d’application des Conventions. Le temps était venu de proposer une interprétation actualisée des Conventions qui puisse servir de guide afin de mieux appréhender les défis humanitaires contemporains.

Appliquer les règles relatives à l’interprétation des traités aux Conventions de Genève

Conformément à la Convention de Vienne sur le droit des traités de 1969, un traité « doit être interprété de bonne foi suivant le sens ordinaire à attribuer aux termes du traité dans leur contexte et à la lumière de son objet et de son but » (art. 31, par. 1). « L’objet » et « le but » des Conventions, à savoir respecter et protéger ceux qui sont affectés par un conflit armé en prenant en considération les nécessités militaires, ont été, en permanence, la boussole qui a orienté les recherches et la rédaction du nouveau Commentaire de la Première Convention de Genève (CG I). Le « contexte » à considérer pour l’interprétation du traité comprend non seulement le texte du traité, mais aussi son préambule et ses annexes. En tant que moyens complémentaires d’interprétation (art. 32), les travaux préparatoires ont été particulièrement importants, lorsqu’aucune pratique récente sur un sujet ne pouvait être identifiée.

La Convention de Vienne envisage aussi la nécessité de tenir compte du temps qui passe pour interpréter les traités. L’article 31, par. 3 dispose qu’il peut être fait appel à « toute pratique ultérieurement suivie dans l’application du traité par laquelle est établi l’accord des parties à l’égard de l’interprétation du traité ». Une autre pratique ultérieurement suivie – par exemple, le comportement d’une ou de plusieurs parties (mais pas de toutes) dans l’application du traité après sa conclusion – peut également être importante en ce qu’elle constitue des moyens complémentaires d’interprétation. Le poids d’une telle pratique peut dépendre de sa précision et de sa spécificité, mais aussi de sa répétition. Dans le cas des Conventions de Genève, une telle pratique – identifiée par exemple dans des manuels militaires, les législations nationales, la jurisprudence, les recueils de pratiques ou les déclarations officielles – s’est avérée particulièrement utile pour confirmer ou déterminer le sens d’une règle. L’expérience du CICR et les publications universitaires se sont aussi avérées utiles pour nourrir l’interprétation des Conventions.

Conformément à l’article 31, par. 3 de la Convention de Vienne, le Commentaire a aussi tenu compte de « toute [autre] règle pertinente de droit international applicable dans les relations entre les parties ». Il s’agit notamment du DIH coutumier et des trois Protocoles additionnels, ainsi que d’autres branches appropriées du droit international. En particulier, le droit des droits de l’homme, le droit international pénal et le droit des réfugiés n’en étaient encore qu’à leurs balbutiements lorsque le commentaire de Pictet était en train d’être rédigé, mais ces corpus se sont considérablement développés depuis. À cet égard, l’évolution de la jurisprudence des juridictions internationales depuis les années 1990 a également nourri une interprétation actualisée des règles conventionnelles du DIH.

Les Commentaires du CICR, le fruit d’un travail collectif

D’où le CICR tient-il sa légitimité pour interpréter les Conventions ? Premièrement, le CICR bénéficie d’une légitimité juridique, en tant que gardien et promoteur du DIH, un rôle qui lui a été officiellement conféré par la communauté internationale via les Statuts du Mouvement international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge, adoptés par tous les États parties aux Conventions de Genève. Garantir une interprétation conforme du droit est crucial pour renforcer son respect et est, par conséquent, au cœur du mandat du CICR. Deuxièmement, le CICR a une légitimité opérationnelle, qui repose sur plus de 150 ans d’expérience dans l’assistance et la protection de ceux qui sont affectés par les conflits armés, mais aussi dans le dialogue avec les porteurs d’armes pour promouvoir et diffuser le DIH. Troisièmement, au fil des ans, le CICR a accumulé un très grand nombre de documents : les archives du CICR rassemblent des documents sur la pratique des États et celle des acteurs non étatiques, mais aussi sur la pratique de l’institution elle-même. La richesse de ce fonds ainsi que l’accès à ces archives placent le CICR dans une position unique pour saisir les interprétations des règles conventionnelles du DIH.

En même temps, les Commentaires actualisés sont loin d’être une publication exclusivement « CICR ». S’ils ont bien été commandés par l’institution, rédigés par son équipe de juristes et s’ils expriment les interprétations du CICR, ils comprennent aussi des contributions extérieures, à un niveau jamais atteint auparavant, tant dans le processus suivi que sur le contenu. Les Commentaires sont le fruit d’un travail collectif, impliquant des contributeurs externes, soit comme auteurs, soit comme réviseurs. Cela permet au nouveau Commentaire de prendre en compte des approches très diverses, émanant de différentes régions du monde et de montrer les principales divergences.

Je suis convaincu qu’il est indispensable de travailler en permanence pour interpréter fidèlement le droit afin de veiller à ce que l’esprit humanitaire des Conventions de Genève imprègne les conflits contemporains. Le CICR espère que les nouveaux Commentaires seront, comme le Commentaire Pictet, une boussole qui servira de guide dans l’interprétation des Conventions de Genève, ; mais cela dépendra in fine de leur qualité et de l’intérêt qu’ils présenteront pour les praticiens et les universitaires. Les Commentaires actualisés ne devraient pas être vus comme le mot de la fin sur le sens à donner aux dispositions conventionnelles du DIH, mais plutôt comme une photographie de la façon dont aujourd’hui les règles sont interprétées et une contribution aux efforts constants pour ajuster notre compréhension du droit et la manière dont il peut atténuer au mieux les conséquences des conflits armés contemporains.

Jean-Marie Henckaerts est chef de l’unité en charge de la mise à jour des Commentaires des Conventions de Genève de 1949 et de leurs Protocoles additionnels du CICR.

Cet article a été initialement publié en anglais le 29 juin 2016.

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