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COVID-19, conflits armés et violences sexuelles : renverser la charge de la preuve

COVID-19 et conflits / Gender and conflict / Violences sexuelles 7 minutes de lecture

COVID-19, conflits armés et violences sexuelles : renverser la charge de la preuve
Bien que les violences sexuelles dans les conflits armés soient interdites par le droit international humanitaire, elles demeurent une cruelle réalité. À l’occasion de la Journée internationale pour l’élimination de la violence sexuelle en temps de conflit, Sophie Sutrich, responsable de la lutte contre les violences sexuelles au CICR, met en exergue l’impact des violences sexuelles – lorsqu’elles sont liées à un conflit – sur ceux qui y ont survécu et analyse les conséquences de la pandémie de COVID-19.

Dans les situations d’urgence, les violences sexuelles constituent l’un des effets indésirables les plus prégnants et la pandémie de COVID-19 ne fait pas exception en la matière. Des personnes déjà confrontées à d’importants besoins humanitaires voient maintenant leur vulnérabilité sérieusement aggravée, en raison de risques supplémentaires pour leur protection, leur santé et leur survie économique.

Parmi les diverses menaces qui fragilisent la protection, le risque de violence, de maltraitance, d’exploitation ou d’abus sexuels, ou encore de discrimination et d’exclusion sociale, s’est nettement accru. Cette accentuation du risque est une des conséquences accumulées du virus et de ses effets indirects.

Partout dans le monde, les gros titres médiatiques signalent que la pandémie a déjà entraîné une hausse des violences sexuelles et basées sur le genre et le risque que des personnes y soient exposées s’est accru. Que ce soit en Chine, au Royaume-Uni ou ailleurs, les signalements pour violence domestique dans les centres d’assistance téléphonique connaissent une hausse qui varie de 60 à 700%. En Afrique du Sud, le président a déclaré, dans un communiqué, que « [d]epuis que le pays est entré en état d’alerte de niveau 3 et depuis que le confinement imposé par la COVID-19 a été mis en place le 1er juin, il y a eu une recrudescence des (…) féminicides [traduction CICR] ». Au Canada, le réseau des quelques 550 centres d’assistance aux personnes victimes de violences domestiques a été saturé seulement quelques heures après que le confinement national ait été imposé. Le Conseil national de l’administration de la justice du gouvernement kenyan a publié un communiqué par lequel il constate un « pic significatif » du nombre de délits sexuels depuis le mois de mars 2020.

À l’occasion de la Journée internationale pour l’élimination de la violence sexuelle en temps de conflit et face à cette crise sanitaire mondiale, il est judicieux que nous examinions l’impact de la pandémie sur les violences sexuelles dans les conflits et dans d’autres situations de violence.

Quand le manque de données est révélateur

Les données relatives à l’influence de la pandémie sur la fréquence des violences sexuelles et les tendances observées en zone de conflit restent encore insuffisantes. Mais ce type de données est difficile à collecter, car on nous répond habituellement que l’espace réservé aux victimes, qui leur permettrait d’être prises en charge et de parler, est de plus en plus restreint. Il s’agit là d’un fait profondément inquiétant.

Nous devons nous assurer que notre réponse n’est pas due à l’augmentation du nombre de plaintes émanant de victimes de violences sexuelles, mais que c’est là notre responsabilité à l’égard de toutes les victimes, compte tenu de l’ampleur de ce fléau. En d’autres termes, nous devons renverser la charge de la preuve pour les violences sexuelles.

Dans les crises humanitaires, le risque de subir des violences sexuelles augmente alors que, dans le même temps, les possibilités d’accès à des services de prise en charge à la suite de violences sexuelles décroit, en raison d’une présence réduite sur le terrain, de services limités ou parce que les moyens financiers, humains et matériels sont tous mobilisés pour agir contre la propagation de la COVID-19, parfois aux dépens des services relatifs à la santé sexuelle et reproductive. Par exemple, nous observons une restriction des déplacements, qui s’accompagne d’une crainte des personnes qui nous expliquent qu’elles craignent de se rendre à l’hôpital et d’être ainsi exposées au virus. Ceci signifie qu’une victime de violences sexuelles peut ne pas être en mesure d’accéder à des infrastructures de soins dans les 72 heures qui suivent le viol, qui sont les heures les plus décisives.

Parallèlement, la capacité des organisations humanitaires, notamment la nôtre, à faire un suivi et offrir un soutien, peut aussi être réduite. Ceci a également un impact sur les données. Il se peut que les services qui furent, à une époque, le point focal pour les victimes de violences sexuelles qui souhaitaient témoigner et avoir accès aux soins, soient encore plus inaccessibles que jamais auparavant. Ceci signifie que lorsque nous voyons décroître le nombre de victimes, les chiffres sont faussés. Une fois encore, ceci est profondément inquiétant, car ces éléments rendront hasardeuse toute cartographie des risques et des tendances, et plus difficile encore l’offre d’une réponse de qualité aux victimes de violences sexuelles. Par conséquent, il est important que nous assurions nos arrières si nous voulons vraiment lutter contre les violences sexuelles ou contre d’autres formes de violences basées sur le genre.

Bien que nous ne devrions pas voir les chiffres confirmer une augmentation du nombre de victimes de violences sexuelles, nous devons présumer que leur fréquence est au moins aussi élevée qu’avant la pandémie de COVID-19, tout en reconnaissant que les facteurs de risque augmentent, pour mieux les anticiper. Nous savons déjà que les violences sexuelles ont tendance à augmenter dans les situations d’urgence et nous avons pu le constater lors de l’actuelle pandémie. Il est nécessaire de continuer à garantir des mesures préventives et l’accès aux services essentiels visant à fournir une aide aux victimes de violences sexuelles. Ces activités doivent toujours être une priorité et ne doivent en aucun cas être relégués au second plan, en cette période difficile. Nous le devons bien aux femmes, aux hommes, aux garçons et aux filles, qui ont survécu à ces violences ou qui risquent d’en être victimes.

La santé sexuelle et reproductive, la santé mentale et le soutien psychosocial, mais aussi les services liés à la protection des victimes de violences sexuelles figurent parmi les priorités du CICR et nous devons continuer de marteler que les violences sexuelles dans les conflits constituent un crime de guerre.

 

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