Les Syriens ont subi des pertes incommensurables au cours des dix dernières années. Beaucoup d’entre vous ont été témoins des souffrances qui leur ont été infligées – la dévastation des villes, l’effondrement des services les plus essentiels à la vie.
Et dans cette immense tragédie, le nord-est de la Syrie demeure le théâtre de l’une des crises les plus complexes qui soient aujourd’hui et qui concernent la protection de l’enfance.
Là, des dizaines de milliers d’enfants sont bloqués dans les camps, dans des conditions effrayantes qu’aucun d’eux ne devrait connaître. Et des centaines d’enfants – des garçons dont certains âgés d’à peine 12 ans – sont détenus dans des prisons pour adultes, où ils n’ont aucunement leur place.
Ces enfants sont syriens, irakiens et de dizaines d’autres nationalités. Certains sont accompagnés de membres de leur famille, d’autres sont orphelins ou séparés de leurs proches. Tous doivent être traités d’abord et avant tout comme des victimes.
Mon travail au CICR m’a conduit dans des zones de conflit un peu partout sur la planète mais je dois reconnaître que chaque visite à Al Hol, ce camp plein d’enfants, est toujours une expérience bouleversante.
J’y étais la dernière fois en mars ; ma quatrième visite en quatre ans, j’ai constaté que la situation avait encore empirée.
Pour vous donner une idée de l’ampleur du problème auquel nous sommes confrontés : le camp d’Al Hol existe depuis les années 1990. Il a accueilli quelque 10 000 Irakiens après la guerre du Golfe. Certains y sont encore.
À l’heure actuelle, sont regroupées à Al Hol quelque 60 000 personnes de plus de 60 nationalités. Elles viennent en majorité d’Irak et de Syrie. 90 % d’entre elles sont des femmes et des enfants. On estime à environ 40 000 le nombre d’enfants qui grandissent dans cette misère noire, souvent exposés à toutes sortes de dangers.
Ma première visite là-bas remonte à 2019. A cette époque arrivaient en masse des personnes de Baghouz, fuyant les violents combats.
Leurs souffrances étaient effroyables. Je me souviens de ces milliers de femmes et d’enfants couverts de poussière, affamés, grelottant de froid, en état de choc. Beaucoup avaient parcouru des centaines de kilomètres.
Certains avaient des blessures ouvertes, causées par des armes explosives ; il y avait beaucoup d’amputés ainsi que des gens aux blessures laissées sans soins manifestement depuis des mois.
Au cours de ces premières semaines, près de la moitié des malades traités dans notre hôpital de campagne étaient des enfants. Beaucoup ont succombé à leurs vilaines blessures peu après leur arrivée au camp.
Trois ans plus tard, la plupart de ceux qui ont survécu sont toujours là.
Le camp d’Al Hol, ce sont des tentes à perte de vue plantées dans le désert. Le désespoir lie ces milliers de gens abandonnés là dans l’incertitude, sans avenir à envisager.
Les besoins médicaux restent gigantesques, en soins maternels, en pédiatrie, en chirurgie, en besoins psychologiques, en rééducation physique. Nous avons enregistré l’année dernière une augmentation du nombre des décès parmi les enfants ; morts parfois de maladies évitables.
Les conditions dans le camp sont très dures pour tous, enfants et adultes. Des familles ont été séparées lors de transferts vers d’autres camps ou lieux de détention ; des enfants ont été séparés de leurs mères.
Les garçons en particulier vivent dans un état de méfiance er de peur constantes. Dès qu’ils atteignent un certain âge, beaucoup sont séparés de leurs familles et transférés vers des lieux de détention pour adultes, qui ne sauraient être leur place.
Les enfants en détention devraient être soit regroupés avec leurs familles dans des camps, rapatriés avec elles, soit recueillis dans le cadre d’autres dispositifs conçus à leur intention. Ceux qui sont gravement malades devraient être rapatriés en priorité.
Bien sûr, il ne faut pas négliger la situation des milliers d’adultes. Personne n’est hors d’atteinte du droit ; chacun doit pouvoir bénéficier des garanties d’un procès équitable et être traité avec humanité.
Trois ans après ma première visite à Al Hol, une chose m’apparaît plus clairement que jamais : il n’est pas impossible d’agir. La tâche est colossale, certes, complexe mais cela ne saurait en rien excuser l’inaction.
Les États n’ont pas à s’y atteler seuls. En fait, il n’y a pas d’autre solution à long terme que la coopération internationale et l’action collective.
Ils peuvent bénéficier de compétences et de conseils, y compris de la part du CICR. Le droit international fournit un cadre qui peut aider à sérier les problèmes. Les États peuvent apprendre les uns des autres. Ils peuvent et doivent partager les bonnes pratiques.
Il faut le dire, il existe des exemples positifs de rapatriement. Il y a des États qui ont rapatrié mères et enfants, qui ont veillé à ce que les familles restent ensemble comme le prescrit le droit international. Il y a des États qui s’efforcent de poursuivre et/ou de réinsérer leurs ressortissants et d’assurer le suivi de leur cas avec humanité.
Il est possible d’agir maintenant pour éviter d’ajouter de nouvelles souffrances à la détresse de ces personnes. La possibilité existe mais le temps presse.
C’est le moment pour les États d’agir avec humanité, en responsabilité, afin de soustraire leurs ressortissants à la misère à laquelle ils sont réduits. Les besoins sont immenses et l’inaction coûte cher, à tout le monde.
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