Sur les 20 pays les plus exposés au changement climatique, 12 sont en guerre. Parmi eux, le Mali. Lemba Bisimwa supervise les projets « eau et habitat » au Mali pour le CICR. Alors que les Maliens subissent la double peine du changement climatique et de la violence, nous lui avons demandé de partager ses observations sur l’impact du changement climatique dans le quotidien des Maliens.

Dans quelle situation humanitaire se trouve actuellement le Mali ?

Le pays est confronté à une crise humanitaire sans précédent. Depuis 2012, l’insécurité ravage le nord du pays, qui, au fil des années s’est étendue aux régions du centre. Selon le Haut-Commissariat aux Réfugiés, le HCR, plus de 300 000 personnes ont été forcées de quitter leur foyer pour trouver refuge dans une autre région du Mali.

En quittant leur maison, ces déplacés laissent tout derrière eux et peuvent se retrouver dans une situation de grande précarité où l’accès aux éléments de base – soins de santé, eau potable, assainissement, nourriture, abri et éducation – n’est pas toujours assuré.

Au-delà des violences, les vagues de sécheresse et d’inondation deviennent de plus en plus fréquentes alors que les services publics de l’Etat s’éloignent un peu plus encore des populations vulnérables.

En quoi consiste le travail d’ingénieur en eau et habitat sur le terrain ?

Une grande partie de notre travail est centré sur l’eau. Nous nous efforçons de fournir à la population un meilleur accès à l’eau potable tout en soutenant les services publics existants.

Au Mali, la pression sur les ressources naturelles est forte. Aux populations installées dans des zones déjà arides, viennent s’ajoutent désormais les milliers de déplacés, qui eux aussi ont besoin d’accès aux ressources vitales comme l’eau. Cette situation crée une pression sur les infrastructures hydrauliques.

Dans ce genre de situations, nous mettons tout en œuvre pour forer de nouveaux puits souterrains et les équiper de pompes solaires afin que populations hôtes et déplacés puissent avoir accès constant à l’eau potable.

Il nous arrive également de renforcer les capacités des infrastructures publiques existantes. Par exemple, l’année dernière, dans le point d’eau de Bandiagara, près de Mopti, nous avons fourni du carburant aux autorités locales afin qu’elles puissent continuer à faire tourner et fournir de l’eau à 27 000 personnes.

Dans la même zone, nous avons installé un câble d’alimentation d’un kilomètre pour fournir de l’électricité à une station de pompage.

Comme vous pouvez le constater, nous travaillons aussi bien sur des projets à petite et grande échelle.

Est-ce le changement climatique qui rend l’accès à l’eau plus difficile ?

Il faut avoir en tête que les deux-tiers du Mali sont désertiques. Vous avez d’une part un désert dans la partie septentrionale du pays, puis en centre la bande sahélienne.

C’est vrai que le changement climatique aggrave la situation. Depuis quelques années, nous constatons une augmentation des températures et des événements météorologiques extrêmes. La saison des pluies est également devenue instable, moins prévisible…

L’année dernière, lors des inondations meurtrières, 18 personnes ont été tuées, 500 bovins ont perdu la vie, 6 500 maisons ont été détruites, 7 000 tonnes de céréales ont aussi été détruites et plus de 900 hectares de terres agricoles ont été ravagées. Au total, ces inondations ont impacté 80 000 personnes dans de vastes étendues du pays.

Maintenant, peut-on affirmer que ces inondations étaient liées au changement climatique ? C’est sans doute le cas. Les experts pensent en tout cas que le changement climatique est la cause de ces inondations et que cela indique un schéma de changement plus global pour les prochaines années.

Quelles sont les conséquences directes de ce changement climatique au Mali ?

Ce n’est pas évident d’établir un lien direct entre les causes et les conséquences.

Mais en tout cas, force est de constater que les familles ont de plus en plus de mal à subvenir à leurs besoins grâce à leurs propres cultures. Les rendements ont chuté de façon impressionnante ! À Tombouctou par exemple, les gens me disaient qu’autrefois ils faisaient pousser des tonnes d’oignons et de pommes de terre. Aujourd’hui, ils ne peuvent tout simplement plus cultiver de telles quantités. Certaines cultures saisonnières et annuelles ont même complètement disparu.

Au-delà des récoltes, il y a aussi l’élevage qui permet à la fois aux familles de se nourrir mais aussi d’avoir une activité économique. Avec une eau qui se fait rare et des récoltes en baisse, les animaux s’affaiblissent, voire meurent, ce qui met en péril l’activité pastorale de nombreux éleveurs.

Avec des terres de moins en moins fertiles, en partie à cause du changement climatique, les éleveurs n’ont pas d’autres choix que de se déplacer à la recherche de nouveaux pâturages pour leurs bêtes. Cela crée d’importantes tensions et des rivalités avec les agriculteurs qui dépendent également de ces pâturages pour vivre. Ces tensions dégénèrent parfois en violence localisée…

Que faire pour réduire l’impact du changement climatique ?

Il n’existe pas une grande solution pour pallier les effets du changement climatique. La réponse doit être un ensemble d’actions, allant du niveau local au niveau national.

Avec le CICR, nous essayons d’utiliser dès que possible des énergies renouvelables en mettant en place par exemple des forages et des puits qui fonctionnent avec des pompes à énergie solaire ; des panneaux solaires dans les centres de santé, etc.

La rareté de l’eau demeure un problème majeur. Il faut donc l’exploiter de la manière la plus efficace possible.

Une des solutions pourrait être d’encourager les agriculteurs à utiliser des céréales mieux adaptées aux conditions : plus résistantes à la chaleur, nécessitant moins d’eau ?

Ou encore, nous pourrions faire en sorte de mieux exploiter l’eau des pluies ? A Kidal dans le nord du Mali, les précipitations qui étaient avant de 250 mm ont diminué de moitié (à titre de comparaison, à Paris les précipitations annuelles sont de 720mm). Pour retenir l’eau des pluies, nous avons installé des barrages. Cela permet une filtration de l’eau plus lente par la nappe phréatique, et in fine, aux habitants d’avoir de l’eau pendant une bonne partie de l’année.

Vous nous avez beaucoup parlé de la situation dans les zones rurales, mais qu’en est-il pour les zones urbaines ?

Dans les villes, les projets d’infrastructure à l’étude sont beaucoup plus importants en termes de taille. A Gao, la ville compte environ 100 000 habitants. L’exode rural au Mali a fait accroître la taille de la ville. Certains fuient l’insécurité, d’autres cherchent un emploi.

Je n’irai pas jusqu’à dire que les gens se déplacent vers les villes uniquement en raison du changement climatique mais je pense quand même que c’est un facteur aggravant.

Aujourd’hui à Gao, il n’y a pas suffisamment d’eau pour couvrir les besoins de toute la population. Nous essayons donc de trouver une solution sur le long terme, qui utiliserait moins d’énergies fossiles et qui utiliserait les capacités à disposition, à savoir l’eau du fleuve Niger.

Tous ces investissements ont un coût. Il nous faudra redoubler d’ingéniosité pour financer ces projets.

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