Cette année marque le vingtième anniversaire des attentats du 11 septembre 2001 qui conduisirent à l’adoption de la résolution 1373 du Conseil de sécurité des Nations unies et à la création du Counter-Terrorism Committee Executive Directorate, CTED. A cette occasion, le CICR a souhaité faire le point sur les conséquences humanitaires des mesures antiterroristes adoptées ces deux dernières décennies.

Dans sa déclaration d’hier devant les Nations unies, le CICR a souhaité donner une perspective humanitaire et juridique au débat contemporain et aborder à la fois les conséquences négatives potentielles mais aussi les développements positifs de ce qu’il convient de faire pour améliorer les mesures de lutte contre le terrorisme.

Tout acte terroriste est contraire au DIH

Le droit international humanitaire (DIH) interdit tout acte terroriste. En tant qu’acteur humanitaire et gardien du droit international humanitaire, le CICR condamne ces actes, quels que soient leurs auteurs, et reconnaît la nécessité pour les États de prendre des mesures pour assurer la sécurité de leur population.

Cependant, si elles ne sont pas adoptées et mises en œuvre avec soin, les mesures de contre-terrorisme peuvent avoir des conséquences graves sur les personnes qui ont le plus besoin de protection et d’assistance humanitaires : les victimes des conflits armés. Certaines de ces mesures, notamment la législation antiterroriste et les sanctions, peuvent criminaliser et de fait restreindre l’action humanitaire impartiale. A cela peut s’ajouter des clauses antiterroristes apposées  dans les contrats de subventions, des mesures de réduction des risques bancaires et des régimes de sanctions ayant pour conséquence un « effet dissuasif ». Ceci pouvant décourager voire ou empêcher les intervenants de première ligne d’atteindre les populations dans le besoin. Cela affecte particulièrement les acteurs humanitaires locaux et leurs partenaires.

Mesures antiterroristes et pandémie, double frein à l’action humanitaire impartiale

Les mesures antiterroristes conjuguées aux restrictions du Covid-19 ont rendu l’accès des organisations humanitaires impartiales plus difficile au cours de l’année écoulée. Le CICR estime que plus de 60 millions de personnes vivent dans des zones où des acteurs non-étatiques exercent un contrôle. Avec les mesures antiterroristes et les restrictions dues à la pandémie, ces populations touchées par les conflits armés et la violence sont plus difficiles à atteindre.

Les acteurs humanitaires impartiaux comme le CICR voient leurs capacités d’actions entravées pour rendre visite aux personnes détenues par « l’autre camp », pour récupérer les dépouilles mortelles, pour former des groupes armés au droit international humanitaire, pour rétablir approvisionnements en eau ou autres services nécessaires à la population civile.  A cela s’ajoutent les difficultés à poursuivre les mission de visites aux détenus.

Les mesures antiterroristes doivent se conformer au droit international humanitaire

Pour autant, ces dernières années, des développements positifs ont inclus des éléments des résolutions 2462 et 2482, par lesquelles le Conseil de sécurité reconnaissait l’impact que peuvent avoir les mesures antiterroristes sur l’action humanitaire impartiale. Il a exigé des États qu’ils se conforment au droit international humanitaire lorsqu’ils agissent pour prévenir le terrorisme. Ces résolutions ont également exhorté les États à «tenir compte» de «l’effet potentiel» des mesures antiterroristes sur l’action humanitaire impartiale.

Le rapport de juin 2020 de la CTED (Counter-Terrorism Committee Executive Directorate) et du Comité 1267 montre que la plupart des États ne le font peut-être pas encore. Le rapport d’octobre 2020 du Rapporteur spécial des Nations unies sur la promotion et la protection des droits de l’homme dans la lutte contre le terrorisme a accru la sensibilisation à la question et met en évidence les mesures que le Conseil de sécurité des Nations Unies pourrait prendre.

D’autres développements positifs ont eu lieu combinant protection de l’action humanitaire impartiale et lutte contre le terrorisme. Ces dernières années ont vu l’adoption par certains États d’une nouvelle législation reconnaissant cet impact et prenant des mesures, y compris au moyen d’exemptions humanitaires, pour minimiser cet impact, comme celles adoptées récemment par le Tchad et la Suisse.

Favoriser les exemptions humanitaires

Des dialogues nationaux intersectoriels entre les parties prenantes intéressées (y compris les ONG / acteurs humanitaires, les régulateurs gouvernementaux et le secteur privé) existent désormais dans un petit nombre de pays, et des initiatives telles que de récentes réunions d’experts du Forum mondial contre le terrorisme contribuent à améliorer les connaissances et pratiques. Il reste cependant encore beaucoup à faire. D’autres exemptions humanitaires bien conçues peuvent être adoptées par davantage d’États et promues par le Conseil de sécurité. Celles-ci sont mieux réalisées par des exemptions permanentes couvrant les activités exclusivement humanitaires menées par des organisations humanitaires impartiales opérant conformément au DIH plutôt que par des recours ad hoc souvent inefficaces, chronophages et dispendieux sans justification.

Des dialogues nationaux intersectoriels peuvent être établis dans plus de pays. Les évaluations de l’impact humanitaire peuvent être intégrées aux travaux de plusieurs régimes de sanctions, tout comme les clauses de respect du DIH. Le sur-respect des dispositions antiterroristes des banques peut être résolu par une meilleure réglementation.

Les sort des enfants des combattants étrangers

En ce qui concerne les combattants étrangers et leur famille, le CICR est particulièrement préoccupé par la situation des enfants. Les enfants touchés par de telles mesures, même ceux accusés de crimes, sont avant tout des victimes. Le CICR encourage les États à trouver des solutions qui sont dans l’intérêt supérieur de ces enfants, notamment en cherchant à s’assurer qu’ils ne sont pas séparés de leurs parents et de la fratrie en les rapatriant, avec leur mère et leurs frères et sœurs, sauf contre leur intérêt supérieur, et en s’abstenant de poursuivre des enfants pour simple association avec un groupe armé.

Ceci est d’autant plus important compte tenu de la situation humanitaire désastreuse à laquelle ces enfants sont confrontés. La réintégration sera essentielle pour ces générations futures. La désignation de personnes comme « combattants terroristes étrangers » ou la nature terroriste des actes qu’elles ont pu commettre ne peuvent en aucun cas être invoquées pour justifier le non-respect des protections juridiques auxquelles elles ont droit en vertu du droit international, notamment du DIH, le cas échéant.

Les organisations indépendantes et neutres, comme le CICR, devraient avoir accès à ces personnes afin qu’elles puissent aider les autorités détentrices à faire en sorte que les détenus soient traités avec humanité et conformément au droit et aux normes internationales applicables. Les anniversaires importants de cette année offrent une bonne occasion de trouver le juste équilibre entre le DIH et l’action humanitaire d’une part, et les dispositions antiterroristes adoptées par le Conseil de sécurité et ailleurs d’autre part. Il tarde au CICR que soient poursuivis tous ces efforts.