Les rues de Port-au-Prince ne résonnent plus que du vacarme des tirs, des cris, et du silence des familles terrées chez elles. Les affrontements armés, en constante recrudescence depuis le début de l’année, ont plongé Haïti dans une crise humanitaire d’une intensité inédite.

Depuis janvier 2024, au moins 5 600 personnes ont perdu la vie et plus d’un million ont été contraintes de fuir leur foyer, selon les Nations Unies. Une tragédie dont l’ampleur ne cesse de s’aggraver. Depuis novembre, les violences se sont étendues à de nouvelles zones, frappant Kenscoff en février 2025, puis Mirebalais en mars.

La représentante spéciale de l’ONU dans le pays, Maria Isabel Salvador, a appelé la communauté internationale à agir pour empêcher le pays de plonger dans un « chaos total ». « Nous approchons d’un point de non retour. Alors que la violence des gangs continue de se propager dans de nouvelles zones du pays, les Haïtiens vivent dans une vulnérabilité de plus en plus grande et sont de plus en plus sceptiques sur la capacité de l’État à répondre à leurs besoins », a-t-elle déclaré devant le Conseil de sécurité.

La violence armée entrave l’accès aux soins et aux services essentiels

Dans plusieurs zones de Port-au-Prince et dans d’autres régions voisines, les combats paralysent la vie quotidienne. Des quartiers entiers sont devenus inaccessibles, les routes sont bloquées, et de nombreux habitants sont piégés chez eux, sans eau, sans électricité et sans possibilité de fuir. L’accès à l’eau potable est devenu un défi majeur, les habitants risquent souvent leur vie pour atteindre des points d’approvisionnement situés dans des zones en proie aux affrontements armés. Les fournisseurs d’eau, qu’ils soient publics ou privés, hésitent à livrer ces quartiers en raison des risques d’attaques.

Les structures de santé subissent elles aussi les conséquences directes des violences armées. L’Hôpital universitaire de l’État d’Haïti (HUEH), le plus grand établissement public du pays, a été attaqué alors qu’il s’apprêtait à rouvrir ses portes aux patients. L’hôpital privé Bernard Mevs a lui aussi été pris pour cible, tout comme plusieurs organisations humanitaires. L’accès aux soins, déjà fragile, s’amenuise un peu plus chaque jour. Dès 2024, l’Organisation mondiale de la Santé faisait état d’un système de santé gravement affaibli : moins de 40 % des structures étaient alors pleinement opérationnelles à Port-au-Prince.

Annette, une femme d’une cinquantaine d’années, vit seule dans le site de déplacés d’Haitel, à Port-au-Prince. Elle a fui son quartier de Pernier après l’irruption de groupes armés, laissant sa maison derrière elle. Sans emploi et sans autre refuge, elle a trouvé abri dans ce camp, où nous l’avons rencontrée lors d’une distribution de kits d’hygiène.

Escalade des besoins humanitaires

Le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) alerte sur la gravité de la situation. Aux côtés de la Croix-Rouge haïtienne, l’organisation apporte un soutien vital aux personnes les plus touchées : soutien aux structures de santé, amélioration de l’accès à l’eau potable, protection des civils et rétablissement des liens familiaux.

“Tous les besoins sont devenus urgents”, alerte Marisela Silva Chau, cheffe de délégation du CICR en Haïti. “Les services de base sont à l’arrêt : les écoles ferment, le système de santé s’effondre et trouver de la nourriture ou de l’eau devient un véritable calvaire, aussi bien pour les populations déplacées que pour celles qui restent dans ces zones meurtries.”

En 2025, selon les Nations Unies (OCHA), plus de 6 millions de personnes — soit plus de la moitié de la population haïtienne — ont besoin d’une aide humanitaire d’urgence, un chiffre en constante augmentation.

Depuis novembre 2024, des blocages routiers et la suspension des vols commerciaux vers la capitale compliquent l’acheminement de l’aide et la mobilité du personnel humanitaire.

D’autres menaces pèsent également sur la population. Haïti est désormais confronté à une résurgence du choléra : 200 cas ont été signalés en mars 2025 à Cité Soleil, un quartier meurtri par une violence armée prolongée, ainsi que dans plusieurs camps de déplacés aux abords de la capitale. Dans ces lieux surpeuplés, sans accès fiable à l’eau ou aux installations sanitaires, l’épidémie menace de s’étendre.

L’éducation, pilier souvent oublié en temps de crise, s’effondre elle aussi : plus de 200 écoles ont été détruites entre 2024 et 2025, tandis que d’autres servent désormais d’abris de fortune à des familles déplacées. Des centaines de milliers d’enfants se retrouvent sans accès à l’enseignement, hypothéquant gravement l’avenir du pays.

Willy, une quarantaine d’années, vit désormais dans le site de déplacés de Cité-Castro, à Port-au-Prince. Il a fui son domicile avec sa femme et leurs deux filles, contraintes d’abandonner l’école en raison des violences armées. Réfugié dans ce camp, il a partagé son témoignage lors d’une distribution de kits d’hygiène et de lampes solaires.

Dans l’ombre des affrontements, un autre fléau se propage : les violences sexuelles, qui ciblent de plus en plus les enfants. En janvier 2025, l’ONU a signalé une augmentation de 1 000 % des cas. Dans un contexte d’impunité et de peur, les victimes se retrouvent livrées à elles-mêmes, sans accès à une assistance et un soutien adaptés. « La flambée de la violence et les attaques incessantes ont un impact psychologique dévastateur », alerte Marisela Silva Chau, cheffe de délégation du CICR à Port-au-Prince. « Il est urgent de prévenir les violences sexuelles, d’assurer la protection des populations et d’offrir une prise en charge adaptée aux victimes. »

Une crise qui s’inscrit dans la durée

La population haïtienne fait face à une accumulation de crises depuis plusieurs années : instabilité politique, pauvreté extrême, catastrophes naturelles, et désormais des niveaux de violence urbaine inédits. Cette situation chronique aggrave la vulnérabilité des communautés et rend toute perspective de redressement plus difficile.

Alors que les besoins humanitaires ne cessent d’augmenter, les solutions politiques et sécuritaires tardent à se concrétiser. Le CICR réaffirme son engagement à poursuivre ses opérations en Haïti, en mettant la protection et l’assistance des civils au cœur de son action.