En République centrafricaine, les femmes font face à des obstacles majeurs pour accéder aux soins de santé maternelle dont elles ont besoin. Dans un pays en proie à l’instabilité et la violence, bénéficier d’une prise en charge médicale est souvent compromis par les réalités du terrain. Faute de ressources et de professionnels de santé en nombre suffisant, le système de soins demeure fragile, laissant des milliers de personnes sans suivi médical adapté.
Un reportage photo de Hugh Kinsella Cunningham, lauréat de la 14ème du Visa d’or humanitaire du CICR.
La situation sanitaire en République centrafricaine (RCA) est particulièrement préoccupante pour les femmes enceintes et les nouveau-nés qui affrontent des risques de mortalité parmi les plus élevés au monde. Une femme centrafricaine court un risque de décès lié à la grossesse ou à l’accouchement 104 fois plus élevé qu’une femme en France¹, tandis que 2,8 % des nouveau-nés décèdent avant leur premier mois². Dans ce contexte, l’accès aux soins maternels en RCA, déjà fragile en période de paix, est devenu l’un des défis sanitaires les plus urgents de la crise humanitaire actuelle.
Les obstacles invisibles de l’accès aux soins de santé maternelle
Plusieurs facteurs contribuent à cette situation. Le manque de moyens de transport, en particulier dans les régions les plus reculées, empêche les femmes d’accéder aux centres de santé pour les consultations prénatales et les accouchements. Les routes sont souvent impraticables, et le coût des transports, lorsqu’ils existent, reste une entrave majeure pour les femmes en situation de précarité.

À bord d’une moto-ambulance, les infirmières du centre de santé de Doukouma évacuent Bakote Kitiesa, une femme enceinte souffrant de complications. Ce moyen de transport, souvent le seul accessible dans les zones reculées, permet de rejoindre les hôpitaux pour y recevoir des soins d’urgence.
Les croyances culturelles et les traditions exercent une influence majeure sur les choix des femmes en matière de santé. Dans certaines communautés, la méfiance à l’égard des pratiques médicales modernes dissuade de nombreuses femmes de se rendre dans des établissements médicaux pour recevoir des soins. Cette réticence les pousse parfois à privilégier l’accouchement à domicile, souvent avec l’aide d’accoucheuses traditionnelles, en dépit des dangers qu’il comporte. Près d’une femme sur deux accouche encore chez elle² — une situation qui augmente considérablement les risques de complications obstétricales.
Aussi, le manque d’autonomie décisionnelle des femmes en ce qui concerne les questions de santé reproductive constitue un autre obstacle important. Dans de nombreuses familles, ce sont les hommes qui prennent les décisions en matière de soins de santé ; leur consentement peut être nécessaire à la réalisation de toute procédure médicale. Cette situation empêche nombre de femmes de se rendre dans les centres de santé.
Les conséquences de ces obstacles sont tragiques. De nombreuses femmes accouchent dans des conditions précaires, parfois sans aucune assistance qualifiée. De plus, l’absence de soins prénatals réguliers empêche la détection précoce de pathologies qui pourraient être traitées avant qu’elles ne deviennent des urgences vitales.

Eveline Dimanche vient de donner naissance à son sixième enfant à l’hôpital de Kaga-Bandoro.

Agricultrice et mère de trois enfants, Elise Mbeti a récemment accouché au centre de santé de Doukouma. Déplacée par les combats dans la région, elle se souvient s’être réfugiée dans la brousse. Revenue dans son village natal, elle se rend désormais régulièrement au centre de santé soutenu par le CICR pour soigner ses enfants.
Le déficit de personnel médical dans le pays aggrave les problèmes d’accès aux soins. Selon les données de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), la norme internationale en matière de densité de professionnels de santé est de 23 pour 10 000 habitants. En République centrafricaine, ce chiffre tombe à 7,3 pour 10 000 habitants, bien en deçà de l’objectif de l’OMS. Dans certaines régions, le nombre de professionnels de santé chute à près de 1,3 pour 10 000 habitants. Cette pénurie de personnel concerne particulièrement les sages-femmes et les gynécologues, dont l’absence se fait cruellement sentir, notamment dans les zones rurales.
L’action du CICR pour répondre à la crise des soins maternels en RCA
Pour répondre à cette pénurie de personnel qualifié, le CICR a lancé un projet de formation des matrones dans la préfecture de la Nana Gribizi. Ce programme consiste à former des femmes issues des communautés locales, souvent accoucheuses traditionnelles, à reconnaître les signes, les dangers et à assurer un relais vers les centres de santé. « Ce projet a trois rôles très importants », explique Viola Nizigiyimana, sage-femme pour le CICR. « D’abord, nous formons les accoucheuses traditionnelles à faire du référencement précoce. Ensuite, on leur apprend à identifier les risques et les complications. Et enfin, si une femme est sur le point d’accoucher loin d’un centre de santé, elles doivent être capables de réaliser un accouchement. » Grâce à cette approche, le projet permet de combler partiellement l’absence de personnel médical qualifié dans les zones reculées, tout en créant un pont entre les pratiques traditionnelles et le système de santé formel.

À Kaga-Bandoro, Viola Nizigiyimana, sage-femme du CICR, forme des agents de santé locaux à devenir matrones. Elles accompagneront les femmes enceintes dans leurs villages, là où l’accès aux soins reste limité.
Face à l’urgence sanitaire qui touche les femmes enceintes et les nouveau-nés, les équipes du Comité international de la Croix-Rouge (CICR) en RCA ont redoublé d’efforts pour répondre à leurs besoins. En 2024, plus de 3 000 femmes enceintes ont bénéficié de consultations prénatales dans les centres de santé soutenus par l’organisation. De plus, près de 850 femmes ont accouché en toute sécurité à l’hôpital du district de la Nana Gribizi, dont une centaine par césarienne.

Nadege Benezon est emmenée d’urgence au bloc opératoire de l’hôpital de Kaga-Bandoro pour une césarienne.

L’équipe chirurgicale de l’hôpital de Kaga-Bandoro pratique une césarienne sur Nadege Benezon, qui a donné naissance à un petit garçon.
Pour permettre ces prises en charge, le CICR investit également dans la réhabilitation d’infrastructures médicales. À titre d’exemple, les travaux de construction et de réhabilitation de trois centres de santé à Patcho, Grevai et Doukouma ont permis d’améliorer considérablement les conditions de travail du personnel soignant et d’offrir de meilleures conditions de soins pour les patients.
Conscients des défis liés au transport, le CICR a également investi dans l’amélioration des infrastructures routières. En réparant 12 ponts sur les axes Bianga-Sabegoudé, Alindao-Seignere et Bocaranga-Boleré, près de 20 000 personnes peuvent désormais accéder plus facilement aux centres de santé.
Ces efforts visent à renforcer les capacités locales et à garantir que les femmes puissent accéder aux soins dont elles ont besoin, quel que soit l’endroit où elles vivent.
Malgré les efforts des acteurs humanitaires, des défis de taille demeurent. La mobilisation internationale et le soutien aux communautés locales sont nécessaires pour améliorer l’accès aux soins et sauver des vies. La santé des femmes est un indicateur clé de la résilience d’un pays, et il est impératif de lui accorder l’attention qu’elle mérite.
[1] UNFPA (2024). « Rapport sur la situation de la population mondiale 2024. » Disponible sur : https://www.unfpa.org/sites/default/files/pub-pdf/swp2024-french-v240405-web.pdf.
[2] UNICEF (2023). « Les matrones au cœur de l’amélioration de la santé maternelle en RCA. » Disponible sur : https://www.unicef.org/car/recits/les-matrones-au-c%C5%93ur-de-lam%C3%A9lioration-de-la-sant%C3%A9-maternelle-en-rca.
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