Le 20 mars 2003, dans le fracas d’intensifs bombardements, débutait la « deuxième guerre d’Irak ». Trois jours auparavant, le directeur général du CICR, Angelo Gnaedinger, publiait en une du quotidien Le Monde, une tribune libre : Laisser une place pour l’humanité. Un appel en forme de plaidoyer pour les Conventions de Genève, socle du droit international humanitaire.

« Alors qu’au Moyen-Orient la machine militaire se met en route et gagne du terrain, il est important de prendre du recul et de garder à l’esprit les conséquences qu’aurait une guerre sur les populations et les communautés. Nous devons nous demander si tout est fait pour protéger le peuple irakien, ainsi que la région, contre la souffrance qu’engendrerait un nouveau désastre causé par l’homme.

Ce n’est ni mon rôle ni mon intention de commenter la légitimité de décisions qui pourraient conduire à des hostilités militaires. Cependant, en tant que directeur général d’une organisation dont le but est de soulager les souffrances et d’accorder une protection aux populations confrontées à un conflit armé, il est de mon devoir d’alerter tous les belligérants potentiels sur le coût humain d’une guerre.

Je leur demande solennellement de faire tout ce qui est en leur pouvoir pour sauver la vie des populations qui se trouvent sous leur responsabilité et de préserver leur sécurité et leur dignité. La vie en Irak est en effet dramatique, après douze ans de sanctions économiques et après deux guerres dévastatrices qui ont énormément affaibli la population irakienne, la laissant fortement dépendante de l’aide humanitaire.

Les services de première nécessité, tels les soins médicaux, l’approvisionnement en eau potable, le système d’évacuation des eaux usées, insuffisamment équipés, fonctionnent bien en deçà de leurs capacités. Cela est vrai en bien des endroits du territoire. Tandis que des scénarios sont élaborés et débattus par les analystes politiques, militaires et autres spécialistes, nous ne devons pas perdre de vue le fait que la guerre provoque des souffrances humaines, que sa dynamique et ses conséquences ne sauraient être contrôlées aussi facilement que les planifications et préparations peuvent le laisser entendre.

Vingt-trois millions de personnes vivent dans les villes et villages irakiens. Leur sécurité et leurs conditions de vie sont de la responsabilité de tous ceux qui prennent des décisions politiques et militaires. Leur destin devrait être au cœur de toutes les discussions actuelles et de toutes les prises de décision.

Si une guerre éclate, tous les combattants devront se comporter de manière à prévenir toute souffrance et toute destruction excessives et indiscriminées.

Le droit international humanitaire, qui jouit d’une reconnaissance universelle, interdit les attaques directes sur la population civile et dispose que tout doit être fait pour ne pas provoquer de morts ou de blessés chez les civils. De plus, les combattants doivent éviter d’endommager ou de détruire les biens essentiels à la survie tels les stocks de nourriture, les terrains agricoles ou les systèmes d’approvisionnement en eau.

Ces dispositions ne peuvent devenir une réalité sur le terrain que si les belligérants s’abstiennent d’utiliser des armes qui tuent et mutilent de manière indiscriminée, qui provoquent des souffrances et des dommages excessifs, qui engendrent des menaces à long terme sur la santé et la sécurité des populations.

Pendant la [première] guerre du Golfe, des dizaines de milliers de personnes, appartenant aux deux camps, ont été détenues comme prisonniers de guerre ou internés. Il est essentiel que chaque détenu soit traité avec humanité et dans le plein respect des Conventions de Genève.

Les parties potentielles au conflit doivent aussi mettre tout en œuvre pour protéger les malades et les blessés, qu’ils soient combattants ou civils, ennemis ou amis. Cela implique que les combattants respectent et facilitent le travail des équipes médicales ainsi que les installations protégées par les emblèmes de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge. De surcroît, tous les belligérants doivent faire tout ce qui est en leur pouvoir pour garantir aux organisations humanitaires la possibilité de dispenser les soins médicaux et d’apporter l’assistance d’urgence à toute personne ou à tout groupe qui en aurait besoin.

Si la guerre ne peut pas être évitée, tout doit être fait pour atténuer ses conséquences et pour limiter ses effets dévastateurs sur la sécurité et la stabilité de la région. Cela dépend de la manière dont seront réellement conduites les hostilités et de l’espace qui sera laissé à la dignité et à l’intégrité humaines dans ces tragiques perspectives.

Le Comité international de la Croix-Rouge est déterminé à demeurer dans cet espace, animé par le seul critère qui fonde l’action humanitaire : les besoins des populations et leur droit à bénéficier de l’aide et de la protection du droit international humanitaire ».

Angelo Gnaedinger est directeur général du Comité international de la Croix-Rouge.

Le Monde, 17 mars 2003