Que ce soit en Ukraine ou en Syrie, le CICR a, à travers l’histoire, souvent été amené à faciliter l’évacuation de civils via des « corridors humanitaires ». Aux 100 jours de l’extension du conflit en Ukraine, retour sur une problématique très liée aux guerres dans des zones densément peuplées.

Ce que l’on nomme corridor humanitaire n’est pas la panacée. Le droit international humanitaire, et particulièrement la IVème Convention de Genève sur le sort des civils dans les conflits armés, prévoient que la population ne saurait être inquiétée pour quitter les zones de combat – sa sécurité étant de la responsabilité de ceux qui combattent. Même principe s’agissant de l’accès humanitaire qui devrait être inconditionnel et en tout lieu.

Se terrer ou fuir

Mais force est de constater que la réalité des conflits et particulièrement ceux se déroulant dans des zones densément peuplées équivaut souvent à une négation de fait de l’espace humanitaire. Le corridor permettrait alors soit un accès humanitaire pour porter secours aux personnes se terrant dans des abris, soit de permettre à la population de fuir dans des conditions de sécurité acceptables. Dans les deux cas, les belligérants portent l’entière responsabilité de la réussite d’une telle opération. Les accords passés entre belligérants doivent être répercutés le plus scrupuleusement possible à la troupe : durée de la trêve, plan précis de l’itinéraire, moyens et protocoles d’évacuation, etc…

CICR, facilitateur de négociation et de mise en oeuvre

Cette protection se fonde sur une négociation entre les parties. Le CICR est souvent amené à jouer le rôle de facilitateur dans ces négociations complexes au titre d’intermédiaire neutre dans les conflits armés. Il peut également être désigné par les belligérants pour mettre en œuvre la procédure d’évacuation de population à travers un “corridor humanitaire”.

Quelques questions sur les couloirs humanitaires 

Qu’est-ce qu’un couloir humanitaire ? Les couloirs humanitaires sont essentiellement des accords entre les parties au conflit armé afin de permettre un passage sûr pour une durée limitée sur une période et un espace géographique précis. Ils devraient permettre la fuite des civils, les évacuations sanitaires, celles des dépouilles mortelles mais aussi le passage de l’assistance humanitaire. L’un des problèmes posés par le corridor humanitaire est de pousser les populations à quitter leurs abris pour rejoindre le point de départ du corridor au risque de se retrouver piégées dans les combats.

Comment le CICR définit-il les pauses humanitaires ? Une pause humanitaire est une suspension temporaire des hostilités à des fins purement humanitaires, convenue entre les parties au conflit. Elle est généralement prévue pour une période donnée et un parcours spécifique. « Pause humanitaire » et « couloir humanitaire » ne sont pas des termes employés en droit international humanitaire (DIH). Néanmoins, il existe des règles importantes qui encadrent les discussions relatives aux trêves et à l’évacuation de la population.

Qu’est-ce que le DIH et que dit-il au sujet des couloirs humanitaires ? Les corridors humanitaires ne sont pas expressément définis dans le DIH, qui précise au contraire que les civils sont protégés, notamment des effets des hostilités, où qu’ils se trouvent et que les organisations humanitaires impartiales telles que le CICR sont habilitées à fournir une assistance humanitaire aux personnes dans le besoin. Cela signifie que même s’il y a une opération de passage sécurisé hors d’une zone de combats intenses, les civils qui ne peuvent ou ne veulent pas quitter la zone sont toujours protégés par le DIH et peuvent bénéficier de l’assistance humanitaire.

Quelques exemples de passages sécurisés réussis. Les premiers corridors humanitaires ouverts par le CICR remontent à la guerre d’Espagne en 1936. Après les attaques de Madrid, le CICR obtint l’autorisation en juillet 1937 d’évacuer une partie des femmes, des enfants et des personnes âgées vers Valence. De septembre à novembre 1937, une colonne de 15 camions du CICR a procédé à ces évacuations, qui ont concerné environ 2 500 personnes.

Auparavant, le CICR avait pu évacuer plus de 500 personnes de Bilbao vers Saint-Sébastien.

Pendant guerre d’indépendance de l’Indonésie, en 1946, le CICR a facilité, grâce à des contacts avec les parties au conflit, l’évacuation de 37 000 internés néerlandais et indo-néerlandais. En 1947 et 1948, il parvenait à évacuer plus de 12 000 ressortissants chinois.

En 2016, le CICR et le Croissant-Rouge arabe syrien ont pu faciliter l’évacuation de plus de 25 000 personnes d’Alep-Est vers des zones rurales d’Alep et d’Idlib. Environ 750 personnes furent simultanément évacuées de Foua et Kefraya, dans la province d’Idlib, au nord-ouest de la Syrie. Les blessés étaient transportés vers des centres de soins, tandis que les autorités locales, les organisations caritatives et les communautés d’accueil répondaient aux besoins de dizaines de milliers d’autres habitants d’Alep-Est.

Depuis mars 2022, le CICR a contribué à faciliter le passage en toute sécurité de milliers de civils de Sumy et Mariupol vers d’autres localités d’Ukraine. Les 15 et 18 mars, le CICR et la Croix-Rouge ukrainienne ont contribué à faciliter le passage en toute sécurité de milliers de civils hors de Sumy. Début mai, plus de 600 civils sont arrivés à Zaporizhzhia en provenance de Mariupol et des régions environnantes dans le cadre de trois opérations de passage sécurisé coordonnées par le Comité international de la Croix-Rouge (CICR), les parties au conflit et les Nations unies.

Les passages sécurisés sont-ils risqués pour les personnes concernées ? Malgré l’accord des parties, les couloirs humanitaires restent des opérations dangereuses. Elles comportent des risques importants tant pour les populations que le personnel humanitaire, voire les belligérants eux-mêmes.

Le CICR respecte-t-il les choix volontaires des civils quant à la destination qu’ils souhaitent atteindre lors de la mise en place des couloirs humanitaires ? Il est essentiel que la volonté des personnes soit respectée ; elles doivent être autorisées à se rendre là où elles pensent être en sécurité, quelle que soit la direction et/ou le côté. Bien que des évacuations temporaires puissent être nécessaires et même légalement requises, les civils ne peuvent être contraints de quitter une zone de manière permanente.

Les passages sécurisés sont-ils considérés comme illégaux si les personnes sont forcées de partir ? Selon le DIH, les parties à un conflit armé ne peuvent pas déporter ou transférer de force la population civile, en tout ou en partie, à moins que la sécurité des civils concernés ou des raisons militaires impératives ne l’exigent. En dehors de ces exceptions étroites, le transfert et l’évacuation des personnes à risque doivent être volontaires et effectués avec leur consentement. Le transfert et l’évacuation de personnes en danger ne doivent avoir lieu que si certaines conditions sont remplies : le consentement des personnes concernées doit être acquis et il doit être volontaire, l’unité familiale doit être préservée, toutes les autorisations et garanties nécessaires doivent être fournies par les parties concernées concernant, entre autres, les biens, la destination, les questions de sécurité et le retour ultérieur.