« La communauté internationale doit se mobiliser au plus vite pour stopper le glissement rapide du pays vers un effondrement complet et une catastrophe humanitaire totale. »

Cet appel a été lancé par des dirigeants de la Croix-Rouge internationale au terme d’une visite de cinq jours fin février en Afghanistan. Six mois après la prise de contrôle du pays par l’Émirat islamique d’Afghanistan – qui a entraîné des sanctions internationales et un gel de l’aide –, la réticence persistante de nombreux donateurs internationaux à traiter avec les dirigeants actuels du pays ne fait qu’aggraver le sort tragique de millions d’Afghans, déjà épuisés par plus de quarante ans de guerre, des sécheresses à répétition et, plus récemment, par la pandémie de Covid-19.

« En 25 ans de travail humanitaire, je n’avais jamais rien vu de tel. La crise qui accable la population afghane est vraiment alarmante, du fait de son ampleur et de la rapidité avec laquelle elle s’est aggravée », a déclaré le directeur général du Comité international de la Croix-Rouge (CICR), Robert Mardini, qui s’est rendu en Afghanistan avec les dirigeants des Sociétés de la Croix-Rouge danoise et finlandaise. « La vie des Afghans ne doit pas être l’otage de manœuvres politiques. Il est vital que les donateurs fassent la distinction entre l’aide au développement, qui est susceptible d’être utilisée comme instrument politique, et l’assistance qui aidera la population afghane à survivre, en faisant en sorte que les institutions gouvernementales soient en mesure de fournir des services de base et d’éviter l’effondrement économique du pays. Il n’y a pas de temps à perdre. »

Les services de santé sont parmi ceux qui ont le plus urgemment besoin d’un soutien. L’hôpital régional Mirwaïs de Kandahar, dans le sud du pays, en est peut-être l’exemple le plus frappant. Soutenu par le CICR, cet établissement dessert quelque 9 millions de personnes vivant dans la région et au-delà. La demande dépasse de loin la capacité d’accueil – 650 lits – de l’hôpital, vers lequel affluent chaque jour quelque 4000 malades ou blessés. Cet afflux est en partie dû au fait que la crise actuelle a provoqué la fermeture de certaines petites structures de soins et poussé de nombreux praticiens à quitter le pays.

Tous les services de l’hôpital sont surchargés. L’occupation des lits dans le service de pédiatrie, par exemple, atteint presque 300%. On y voit souvent deux ou trois enfants par lit. Beaucoup de patients souffrent de malnutrition sévère ; de fait, le nombre de cas ne cesse d’augmenter, non seulement chez les enfants mais aussi chez les jeunes adultes. Il y a parmi eux des victimes d’engins explosifs improvisés, comme ce garçon qui a eu les mains arrachées en ramassant ce qu’il croyait être un jouet. Une salle est remplie d’enfants souffrant de la rougeole, maladie endémique en Afghanistan.

« Le niveau de souffrance que l’on voit ici est vraiment désolant », a déclaré la secrétaire générale de la Croix-Rouge finlandaise, Kristiina Kumpula. « La situation est aujourd’hui plus difficile que jamais en Afghanistan, qui comptait déjà parmi les pires endroits au monde pour une mère ou un nourrisson. Néanmoins, les patients que nous voyons ici pourraient être considérés comme chanceux : de nombreuses structures de santé ne fonctionnent plus du tout, des personnes malades et vulnérables doivent accomplir des trajets longs et coûteux, que peu d’entre elles peuvent se permettre. De fait, beaucoup de gens ne reçoivent tout simplement pas les soins dont ils ont besoin. »

« L’accès aux soins de santé constitue clairement l’une des préoccupations humanitaires les plus pressantes dans le pays », a déclaré le secrétaire général de la Croix-Rouge danoise, Anders Ladekarl. « Soutenir les hôpitaux universitaires et les écoles de soins infirmiers est l’un des moyens les plus efficaces et les plus durables de sauver de l’effondrement un système de santé déjà fragilisé, et de contribuer à en assurer l’avenir. L’urgence de mettre en place le soutien nécessaire ne saurait être surestimée. »

Certes, de réels progrès réalisés en ce qui concerne certaines mesures restrictives contribuent à faciliter la réponse humanitaire ; en particulier, une résolution adoptée par le Conseil de sécurité des Nations Unies en décembre 2021 a accordé certaines dérogations au régime des sanctions. Robert Mardini relève cependant que les États doivent aller beaucoup plus loin. « La réponse humanitaire, bien que vitale, ne peut tout simplement pas remplacer un secteur public qui fonctionne, ni assurer la fourniture de services à 40 millions de personnes », souligne-t-il. « Les prochaines étapes les plus urgentes consistent à verser leur salaire à quelque 500 000 agents du secteur public, à assurer le fonctionnement des services essentiels et à apporter à nouveau un appui technique à la Banque centrale pour atténuer la crise bancaire et monétaire ».

Pour sa part, le CICR soutient 28 hôpitaux dans le pays, à travers le projet de « résilience hospitalière » (HRP). Ce soutien, qui inclut le versement direct de leur salaire à environ 10 000 agents de santé, permet à quelque 20 millions de personnes d’avoir accès aux soins de santé. En collaboration avec le Croissant-Rouge afghan et d’autres partenaires clés – au sein et au-delà du Mouvement international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge –, le CICR est prêt à dupliquer ce modèle et à le développer à plus large échelle, y compris dans d’autres secteurs clés. Les travaux ont commencé pour assurer un approvisionnement ininterrompu en eau potable dans les centres urbains, en soutenant les services publics d’eau et d’électricité.

À cette fin, le CICR lancera en mars un appel pour une rallonge budgétaire de près de 50 millions de francs suisses (environ 49 millions d’euros), la majorité de ces fonds étant destinés à fournir une assistance aux hôpitaux et au personnel médical du pays.

« Ce qu’il faut maintenant, c’est une action déterminée de la part des donateurs pour placer la vie et les moyens de subsistance de la population afghane au-dessus de la politique », déclare Robert Mardini. « L’inaction aura un coût bien plus élevé et il sera difficile, voire impossible, d’inverser la catastrophe qui en résultera. »