Panagiotis Ioannidis est délégué aux gestes de premiers secours et aux soins d’urgence préhospitaliers pour le CICR en Somalie depuis 17 mois. Dans cet entretien, il revient sur son parcours au sein du CICR débuté dans un tout autre domaine en Grèce.

D’où te vient cet engagement pour la Croix-Rouge ?

A l’origine, mon rêve était de devenir diplomate. Je me suis d’ailleurs formé aux relations internationales et au droit international avant de réaliser que les valeurs relatives à la politique étatique et à la géopolitique n’étaient pas compatibles avec les miennes. Je me sentais un peu perdu.  Par chance dans ce cursus, j’ai suivi les cours d’un professeur qui était un ancien délégué du CICR… Il m’a fait découvrir le travail du CICR et du Mouvement international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge. J’ai tout de suite su que c’était fait pour moi. Depuis cette découverte, mon objectif était clair. Je voulais travailler pour la Croix-Rouge. Pas-à-pas, je me suis familiarisé avec l’univers Croix-Rouge, en commençant comme volontaire secouriste à la Croix-Rouge hellénique.

La Croix-Rouge hellénique prenait le volontariat, l’identité, les valeurs et les Principes fondamentaux de la Croix-Rouge au sens large, très au sérieux. Ça a renforcé ma motivation à vouloir évoluer dans cet univers.

En plus de cela, je suis tombé amoureux de l’univers médical. J’ai décidé de reprendre des études pour obtenir un diplôme de technicien médical d’urgence et d’infirmier. Une fois ce diplôme en poche, je suis allé travailler pour Médecins sans Frontières et Médecins du Monde. Après cela, je me suis senti prêt à postuler au CICR. J’ai commencé dans mon pays d’origine, la Grèce. En faisant appel aux compétences acquises lors de ma première formation, je suis devenu conseiller politique, plus précisément responsable de la construction et du maintien des liens entre le CICR et la Croix-Rouge hellénique. Cela impliquait également la promotion du droit international humanitaire dans les milieux universitaires et dans les forces armées grecques. A la fin de cette expérience, j’ai été affecté en Syrie, puis en Somalie mais cette fois en me basant sur ma seconde série de compétences puisque je suis devenu délégué aux premiers secours et aux soins d’urgence préhospitaliers. Aujourd’hui, cela fait trois ans que je travaille à l’international pour le CICR.

Comment décrirais-tu les soins d’urgence préhospitaliers ?

Travailler dans un hôpital et dans une ambulance (avant l’arrivée à l’hôpital donc) sont deux choses très différentes. Les hôpitaux sont généralement des environnements stériles et relativement confortables. Les soignants sont en mesure de recevoir à n’importe quel moment des patients, ce qui signifie que, la plupart du temps, ils disposent de l’équipement nécessaire, du soutien, de l’aide et de l’éclairage. C’est un environnement sûr. En tant qu’ambulancier, vous travaillez « de façon ambulante » comme on dit, il vous manque la plupart de ces conditions de travail. Il faut donc s’adapter. Il peut faire nuit noire ou pleuvoir. Vous pouvez vous retrouver au milieu d’une émeute ou à côté d’un bâtiment en feu, entouré de sirènes de police, de foules en colère, de gens qui crient et de gaz lacrymogènes dans l’air. Cela peut arriver dans les pays occidentaux mais c’est beaucoup plus probable dans les endroits où le CICR travaille. Ca les rend les conditions de travail moins simples. Vous devez alors improviser, car vous et vos patients êtes dans une situation précaire. Cela rend le travail préhospitalier plus difficile, mais aussi, à mon sens, plus intéressant et plus gratifiant.

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Comment expliquerais-tu ton travail sur le terrain ?

Déjà, il faut savoir qu’il y un fossé important entre ce que l’on apprend dans les études pour devenir ambulancier ou médecin et la réalité du terrain. Je peux vous dire que le travail n’a rien à voir quand votre ambulance est en fait un bateau ou un âne et que vous n’avez qu’un brancard de fortune pour secourir les blessés.

Dans mon cas, mon travail est moins opérationnel désormais. Je me concentre sur les systèmes et sur les actions moins concrètes en apparence mais hautement utiles et durables. Je vous l’accorde, ça peut être frustrant parfois. Mais au final, c’est extrêmement important car les résultats se font sentir à une échelle plus importante et sur le long terme.

Concrètement, explique-nous ta mission en Somalie ?

Lorsque je suis arrivé en Somalie, le Croissant-Rouge somalien comptait déjà dans ses rangs des ambulanciers, mais le processus d’intervention d’urgence n’était pas vraiment bien établi. En cas d’incident de masse, ce qui est fréquent à Mogadiscio, les ambulanciers se fiaient au bruit de la bombe pour se diriger vers le lieu de l’incident.

Au cours des 17 mois que j’ai passés ici, mon objectif était de participer – en étroite collaboration avec le Croissant-Rouge somalien – à mettre en place un centre qui permet de mieux répartir les départs en interventions et également de renforcer le rôle des ambulanciers. Ils ont tous reçu un équipement et une formation supplémentaire pour développer leurs compétences cliniques et fournir les premiers gestes de secours. On a également mis en place un numéro de téléphone d’urgence gratuit à trois chiffres pour que les gens puissent signaler les incidents. On a fait la promotion de ce numéro dans tout le pays à la radio, la télévision, via des panneaux d’affichage et même dans des défilés.

Lorsqu’on travaille dans la médecine d’urgence, qu’importe la place que l’on occupe, on ne s’ennuie jamais, encore moins au CICR ! Il n’y a pas de routine. Même si je suis en lien constant avec les équipes du siège à Genève ou avec mes collègues de la coordination locale, je dispose d’une grande autonomie. C’est très plaisant.

Comment s’est passé ton arrivée en Somalie ?

Pour des raisons de sécurité, je passe beaucoup de temps à travailler sur des projets somaliens depuis Nairobi (capitale du Kenya). Bien entendu, on se rend régulièrement en Somalie, mais ces voyages se font après une préparation approfondie par l’équipe de sécurité. Je sais que toutes les conditions de sécurité sont réunies quand je me rends sur place.

Lorsque l’on est sur place, nous travaillons beaucoup et j’essaie d’apprécier chaque moment passé avec mes collègues. Les collègues somaliens, qui travaillent depuis la Somalie, font le même travail que nous mais dans un contexte plus volatile. Cela rend leur travail encore plus difficile. J’ai énormément de respect pour eux et j’ai beaucoup de chance de pouvoir travailler à leurs côtés.

Une fois la journée de travail terminée, j’essaie de prendre le temps de découvrir les incroyables richesses de la culture somalienne : la musique, la nourriture, le délicieux thé au lait de chamelle. C’est également un pays avec des paysages étonnants, peuplés de chèvres et de chameaux.

Quels conseils donnerais-tu à ceux qui souhaitent intégrer le CICR ?

Tout d’abord, il faut accepter de laisser son ancienne vie derrière soi et de vivre loin des siens pendant de longues périodes. S’engager dans une carrière d’humanitaire, c’est merveilleux mais le revers de la médaille est pour votre vie personnelle. Chacun réagit différemment à cela. Pour moi, ça a toujours été la dimension la plus difficile à gérer.

Ensuite, avant d’envisager une carrière au CICR, je pense que c’est important de prendre connaissance des Principes fondamentaux du Mouvement international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge. Après les avoir lus attentivement, il faut se demander : suis-je prêt à les respecter ? Si vous devenez délégué, vous serez plus qu’un simple expert technique : vous représenterez une organisation qui a plus de 150 ans et dont le mandat est unique au monde.

Enfin, il faut garder en tête que vos connaissances et compétences guideront vos décisions mais le plus important reste votre capacité de gestion, d’analyse et d’adaptation… Le savoir-être professionnel est également très important car au bout du compte, tout est une question de diplomatie.

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