Lorsque Faridun et sa famille ont dû fuir l’Afghanistan, ils n’auraient jamais cru se retrouver séparés pendant 4 ans. Jusqu’à ce qu’un beau jour en 2020, un des fils de Faridun pousse la porte d’un bureau de la Croix-Rouge britannique dédié à la recherche de personnes portées disparues. La famille est en fait dispersée à travers le Royaume-Uni et c’est grâce au site Trace the Face de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge qu’elle sera enfin réunie.

« Je n’ai besoin ni de ma maison, ni de mon commerce. J’ai juste besoin que ma famille soit en sécurité »

En 2016, Faridun, âgé de 57 ans, est un commerçant prospère, père de deux grands garçons, Darwesh et Baryal. « Nous avions tout en Afghanistan » se souvient Faridun. « Une belle maison, un commerce. Nous ne manquions de rien. [Puis] nous avons tout perdu. »

Faridun voit sa famille devenir une cible alors qu’il est en campagne électorale. Il se retrouve face à un dilemme. Sa carrière politique ou la sécurité des siens. Son fils Darwesh avait déjà vu certains de ses amis attaqués pour leurs opinions. Il savait que leurs vies pouvaient être en danger.

“Nous avions trois options : nous convertir, partir ou être tués » résume Faridun, qui a vendu tous ses biens pour payer le passage de sa famille au Royaume-Uni. « Je n’ai besoin ni de ma maison, ni de mon commerce. J’ai juste besoin que ma famille soit en sécurité »

Cette quête pour la sécurité se fera sur près de 5000 kilomètres. Et pendant quatre ans, la famille se retrouve séparée.

Le fils, Baryal ainsi que son épouse alors enceinte et leur fille sont les premiers à partir. Direction le Royaume-Uni que Faridun estime le « pays le plus sûr au monde ».

En Afghanistan, le danger est là. Au printemps 2017, l’autre fils, Darwesh, est hospitalisé après avoir été pris à partie et roué de coups. Peu de temps après, sa femme fait une fausse couche.

En Afghanistan, le danger est là

La longue route vers la sécurité

Faridun savait alors que le reste de la famille devait partir. Après avoir vendu son magasin, il contacte la personne qui a aidé Baryal et son épouse à partir. Celle-ci lui indique ne pouvoir prendre que deux personnes. Cette fois-ci, c’est au tour de son fils Darwesh et de son épouse.

Malgré ses soucis de santé – Faridun a fait un malaise cardiaque peu après le départ de son fils et de sa belle-fille – Faridun a pour unique obsession, la sécurité de ses fils et de leur famille.

En chemin, Darwesh et sa femme ne savent que rarement où ils se trouvent, obligés de placer une confiance aveugle dans la personne qui les accompagne. Après plusieurs mois, ils arrivent au Royaume-Uni. Seuls, sans savoir parler un mot d’anglais – mais en sécurité.

« Ce n’est pas bien d’aller chez quelqu’un sans sa permission, sans frapper à la porte. Mais les personnes de la sécurité aux frontières britanniques ont été très gentilles » indique Darwesh.

Après avoir demandé l’asile à Londres, le second fils, Darwesh, sa femme ainsi que leur fille sont transférés à Birmingham. Ils peuvent commencer à reconstruire leur vie. En août 2018, l’épouse de Darwesh accouche d’un petit garçon en parfaite santé.

Autre bonne nouvelle : Darwesh obtient le statut de réfugié. Il se met rapidement à prendre des cours d’anglais avec la Croix-Rouge. Il ignore alors le rôle que cette organisation jouera pour l’aider à retrouver sa famille.

Faridun et son épouse (au centre) ne peuvent que mûrir l’espoir que leur fils et sa famille arrivent sains et saufs à destination.

En Afghanistan, Faridun et sa femme s’apprêtent eux-aussi à se lancer dans l’éprouvant parcours, long de trois mois, vers le Royaume-Uni. Faridun craint de ne pas y survivre.

Ils arrivent enfin à destination à la fin 2019. Ils ne pouvaient qu’espérer et prier que leurs fils et familles y étaient parvenus également, sains et saufs.

Comment retrouver mes enfants parmi des millions de personnes ?
Faridun, cherchant ses fils

Faridun se concentre sur la difficile tâche qui l’attend : « À mon âge, comment vais-je m’en sortir dans un nouveau pays ? Comment retrouver mes enfants parmi des millions de personnes ?” se souvient-il se demander.

Mais le hasard d’une rencontre avec un autre Afghan sera déterminant. Faridun lui explique sa situation, et l’homme le conduit à la Croix-Rouge.

Faridun et sa femme rencontrent Henry, un coordinateur Croix-Rouge de recherches

Henry coordonne dans le nord, l’ouest et l’est du Yorkshire le travail de recherches familiales internationales de la Croix-Rouge. Ce service œuvre à réunir les familles qui ont perdu contact avec leurs proches suite à un conflit armé, une catastrophe ou la migration. « C’était une journée comme d’habitude, bien chargée, au bureau de Leeds” raconte-t-il. « J’ai remarqué ce Monsieur avec son épouse. Ils étaient agités et essayaient de comprendre comment rechercher leur fils. »

Henry collecte toutes les informations possibles sur le premier fils Baryal puis les entre dans la base de données sécurisée du service des recherches. L’attente peut être longue avant d’obtenir un résultat positif, si jamais il advient.

« Nous devons veiller aux attentes des familles – nous faisons de notre mieux, mais nous ne pouvons pas promettre de retrouver quelqu’un » explique Henry.

Mais un soir, avant de partir, alors que Henry vérifie la base de données, surprise – un nom apparaît à l’écran ! Il y aurait une concordance potentielle.

Retrouver des proches grâce à Trace the Face

Faridun l’ignorait, mais Baryal avait déjà rencontré la Croix-Rouge britannique pour la même raison.
« Nous essayons d’agir vite lorsqu’une personne pense que son proche recherché est au Royaume-Uni, et qu’il y ait une bonne chance d’arriver à les réunir » indique Isabel, coordinatrice des recherches familiales pour le Grand Manchester, où Baryal habite. « Mais là, nous n’avions aucune indication tangible ou lieu pour commencer notre recherche. »

Baryal était donc le premier de sa famille à contacter la Croix-Rouge. Sans adresse connue, Isabel lui suggère de mettre sa photo sur Trace the Face, .Ce site du Mouvement international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge propose en ligne les photos de milliers de personnes à la recherche d’un proche. « C’est un outil plutôt récent, mais il a un fort potentiel de réussite », explique Isabel.

Contrairement aux réseaux sociaux, le système offre une protection des données personnelles. Elles demeurent confidentielles afin de protéger la personne à la recherche d’un proche.

Les défis des restrictions liées au Covid-19

À Leeds, là où se trouve Faridun, Henry est lui confronté à un dilemme. Le visage de Baryal est affiché sur son écran. Selon la procédure, il doit normalement inviter Faridun au bureau. Mais depuis son entretien dans son bureau avec Faridun, l’épidémie de Covid balaye la planète ; les écoles et bureaux au Royaume-Uni ont dû fermer. Les équipes de recherches familiales, ainsi que les personnes qu’elles aident, sont, elles aussi impactées. « Le confinement a bien sûr ajouté un défi supplémentaire » souligne Henry. « L’entretien de recherche avec quelqu’un peut être pénible. Mieux vaut être en face-à-face, pour sentir lorsque cela devient trop dur et qu’il faut faire une pause. »

Faridun, qui s’était récemment réjoui d’obtenir le statut de réfugié, reçoit un appel, lui indiquant que Baryal a été retrouvé moins d’une semaine après sa visite au bureau de Leeds.

« Je ne peux pas l’exprimer en mots » dit Faridun. « J’étais fou de joie de savoir que j’avais retrouvé mon fils aîné ».

L’équipe Croix-Rouge a organisé un appel entre Baryal et ses parents. Pour la première fois depuis des années, chacun entendait la voix de l’autre !

« Baryal était ravi dit Isabel.» «Il n’arrêtait pas de dire – je suis heureux d’être allé à la Croix-Rouge et de vous avoir rencontrée. Merci pour ce que vous avez fait pour moi ».

D’être ainsi réunis à des milliers de kilomètres de l’Afghanistan, au moment même d’une pandémie mondiale, tenait déjà du miracle. Mais il y en avait encore d’autres à venir…

Darwesh contacte la Croix-Rouge après avoir reconnu Baryal sur Trace the Face

La fin d’une quête de 4 ans

Reste encore le second fils, Darwesh. Il est lui à Londres. Il a trouvé un travail dans un commerce de proximité. Ville après ville, il a cherché sa famille, mais il garde l’espoir de les retrouver un jour.

En avril 2020, un ami lui parle de Trace the Face. C’est alors qu’il reconnait une photo de son frère. « Je n’étais pas sûr que c’était lui, tant il avait perdu de poids » explique Darwesh. « J’étais vraiment inquiet – était-il souffrant ? »

Ce lundi matin, Aida, coordinatrice des recherches familiales internationales de Londres, est informée que Darwesh a reconnu son frère. Elle avait déjà entendu la bonne nouvelle de la semaine précédente, des retrouvailles de Baryal avec ses parents.

« Je me souviens sourire pendant que Darwesh me donnait des informations sur ses parents, sur la séparation avec son frère. J’avais besoin de vérifier que l’histoire concordait… et c’était le cas » explique Aida. « Je me souviens qu’il disait « Non mais, c’est sûr ? c’est vraiment sûr ? ». Je lui ai indiqué que nous lui transmettrions rapidement les coordonnées de son frère, ce qu’il a accepté sans impatience. Il a dit : « j’attends ce moment depuis quatre ans, je peux bien patienter une demi-heure de plus. »

« J’attends ce moment depuis quatre ans, je peux bien patienter une demi-heure de plus. »

Tout est alors allé très vite. Aida a appelé Isabel, dont la tâche était d’informer Baryal de la bonne nouvelle. Le téléphone le réveille. « Je n’oublierai jamais ce coup de fil lui annonçant que sa famille était retrouvée » raconte Isabel. « Sa réaction fut comique et joyeuse. Il ne me croyait pas !! »

Baryal est réveillé par l’appel d’Isabel, qui lui annonce la bonne nouvelle

Réunis lors du confinement       

Une fois remis en contact, Baryal a pu dire à Darwesh qu’il avait également retrouvé leurs parents, qu’ils étaient bien arrivés au Royaume-Uni.

« Il y a eu un long silence » se souvient Darwesh. « C’est une blague ? Je cherchais mon frère, et vous trouvez aussi mon père ? »

Pour Faridun, le puzzle prenait forme, la famille se recomposait, à 5000 kilomètres de l’Afghanistan, après quatre ans…

 « Sur l’appel vidéo, je voyais mon fiston » raconte-t-il. « Pendant quelques minutes, il n’y avait que des pleurs. Lorsque j’ai vu mes petits-enfants, ils étaient métamorphosés »

Grâce aux bureaux de Manchester, Leeds et Londres, une famille a pu se retrouver malgré la pandémie. Ils ont passé des heures chaque jour à se parler par téléphone ou sur Zoom.

À cause de l’épidémie de coronavirus, la réunion familiale s’est déroulée dans un appel vidéo sur Zoom

La pandémie met les choses en perspective

Les deux frères ont aussi appris que leurs dernières filles étaient nées à deux jours d’écart. Avec l’allègement des restrictions sanitaires à l’été 2020, la famille a pu enfin se retrouver à Manchester et fêter comme il se doit les anniversaires des deux dernières !

Ces retrouvailles n’ont pour autant pas réglé tous les problèmes. Le premier fils, Baryal, est toujours en attente de son statut de réfugié et ne peut dans l’intervalle travailler.

« J’ai vécu cette situation » indique Darwesh. « Tu te réveilles le matin, avec 43 euros par semaine et par personne. Je suis reconnaissant pour l’aide apportée par le gouvernement britannique pour des gens comme moi. Mais ils devraient nous laisser travailler. »

Pour Henry, Isabel et Aida, la pandémie a simplement souligné combien les familles vivent mal d’être séparées.

« Les familles séparées au Royaume-Uni, elles, savent où sont leurs proches, c’est la différence »
Aida, coordinatrice des recherches familiales internationales

« [Avec le Covid-19], nous savons désormais ce que cela signifie de ne pas avoir de câlin en fin de journée, de ne pas pouvoir sortir faire un tour lorsqu’on n’a pas le moral » explique Isabel. « J’espère que cela va créer plus d’empathie pour les demandeurs d’asile et réfugiés séparés de leur famille. »

« Les familles séparées au Royaume-Uni, elles, savent où sont leurs proches, c’est la grande différence » souligne Aida. « Les personnes qui utilisent notre service n’ont pas d’information. Elles sont dans cette impasse de ne pas savoir où sont leurs proches, s’ils sont morts ou vivants. »

L’espoir dans l’avenir

Darwesh espère suivre les pas de son père et ouvrir un jour son propre magasin, mais cette fois à Londres. Il a grand espoir pour ses enfants.

« L’avenir leur appartient » dit-il. « S’il veulent être joueur de foot, ils peuvent y arriver ; s’ils veulent devenir médecin, ils le pourront aussi. Devenir ingénieurs, c’est également possible » s’enthousiasme Darwesh. « Lorsque je pense à tout [ce qui est arrivé à notre famille], c’est comme si quelqu’un l’avait écrit. Et on ne sait pas ce qui va suivre. »

Cet article et les illustrations ont été réalisés par la Croix-Rouge britannique. Vous pouvez lire la version originale ici.