Un travail de longue haleine sur des héroïnes anonymes illustrant les besoins particuliers des femmes dans les conflits armés : femmes cheffe de famille, femmes combattantes, femmes victimes de violences sexuelles, femmes dans l’attente de nouvelles de proches disparus, femmes détenues. En 2000, Nick Danziger effectua un premier travail sur ces 11 femmes photographiées en Afghanistan, en Bosnie-Herzégovine, en Sierra Leone ou encore en Cisjordanie.
Dix ans plus tard, Nick et moi nous sommes posés la question de savoir ce qu’elles étaient devenues. Une deuxième campagne photographique fut initiée après de gros efforts de recherches sur le terrain. Ainsi naquit le livre « 11 femmes » et aussi une exposition qui tourna dans le monde.
Voici la singulière histoire d’Amanda :
« Chez Amanda, la lutte était une histoire de famille et se transmettait de père en filles. Lutte politique et armée, acharnée, entretenue des décennies durant sur le lit de la misère, de la violence sociale et de la réciprocité de vengeance. Luttes politiques terribles, complexes, sans pitié. Quatre décennies de conflit en Colombie. Centaines de milliers de morts, millions de déplacés enflant les barrios des grandes cités, dizaines de milliers de séquestrés et de détenus.
Prix lourd pour les civils. Le père d’Amanda avait épousé la lutte, confiant à sa femme le soin d’élever le fils et les trois filles. La misère les fit grandir. A 7 ans, Amanda était déjà au travail. A 10, elle dormait dans les rues animant le jour une « troupe de théâtre ». Un an plus tard, en âge de combattre et guère plus haute qu’un fusil d’assaut, elle fut enrôlée dans la guérilla marxiste, de gré et non de force. Elle pratiquait la colère avec d’autres gamins, conduisait l’attaque et le détournement de camions alimentant les supermarchés. Elle se voyait en Robin des Bois redistribuant aux plus pauvres biens et nourriture.
D’enfant soldat, elle devint femme combattante, enchaînant les missions, toujours pour la cause. Ni enfant, ni même adolescente, juste une garçonne d’un petit mètre cinquante, le rire perché, malin, avec au bout la colère à défaut d’espoir. Juste de la lutte armée, toujours armée. Amanda et ses trois sœurs étaient de bons petits soldats. Un jour de 1995, elle et l’une de ses sœurs sont arrêtées alors qu’elles séquestraient une femme en promesse de rançon. A 27 ans, elle tâtait de la prison. Elle en prit pour 25 ans. En 2001, dans le quartier des femmes d’un immense centre carcéral, Nick croisa Amanda, la remarqua, effleura son quotidien. Sept ans qu’elle vivait ici, membre active du Comité pour les droits de l’homme de la prison.
Elle animait aussi un groupe d’activités, soutenait ses codétenues surtout celles élevant leur bébé en détention, géraient leurs questions administratives, les permis de visite. Bref, Amanda était partout, la générosité polyvalente, amie de la plupart, toujours disponible et entourée, toujours en action, en lutte. En revanche, à la nuit venue elle aimait la solitude de sa cellule, pour y lire ou y écrire des poèmes. Certes elle reconnaissait ne pas être très romantique mais aimait tellement les histoires que la sienne méritait bien d’être transposée en dizaines d’aventures.
Régulièrement, à la demande d’amies codétenues, elle s’essayait aux histoires d’amour. Mais, inévitablement, elle achevait la bluette par des considérations politiques quelque peu hors sujet. Amanda réglait son temps, précise, méticuleuse, le jour aux autres, la nuit à elle et regardait grandir les bébés de ses « sœurs » de prison. Elle n’avait pas eu d’enfance et n’aurait pas d’enfant. Nick fit quelques derniers clichés d’Amanda fourmillant dans la prison surpeuplée puis quitta la Colombie. Parmi les 11 femmes de ce livre, la retrouver, 10 ans plus tard, s’annonçait facile, la prison et ses gros murs n’ayant certainement pas bougé. C’était sans compter sur Amanda. Elle n’y était plus. Des mois durant, recoupant informations sur informations, Nick finit, avec l’aide du CICR, par la retrouver.
Elle vivait libre dans un barrio, un faubourg surpeuplé où la violence tient lieu de paravent à la misère. Des dix années écoulées, Amanda retient son fils, né quelques temps après la liberté recouvrée. Le père du gamin, aujourd’hui âgé de 8 ans, est porté disparu, mort vraisemblablement. Elevé par sa grand-mère maternelle, femme digne à laquelle vie n’épargna rien, enfant voit sa mère de temps en temps, chez des cousins, jamais dans le barrio. Ecolier fou de foot, il connaît l’enfance, fut-elle désargentée, grandit en toute normalité, comme ses cousines, les fillettes de la sœur de sang et de lutte d’Amanda. L’oncle, lui, est toujours en prison.
Extrait du livre « 11 femmes face à la guerre, 10 ans après »
Une des sœurs a été abattue, par hasard, il y a quelques années, dans le bus la conduisait à la prison pour visiter son frère. Embuscade tendue par un groupe armé, violence aveugle et terreur. Amanda a retrouvé Nick dans la maisonnette de l’une de ses cousines dans l’un des quartiers tranquilles de la grande ville. Retrouvailles émouvantes rythmées aux rires d’un perroquet tout vert et bien bavard. Séance photo. La quarantaine atteinte, l’ancienne combattante semblait ne pas avoir changé. Elle était comme il y a dix ans ; peut-être même comme il y a vingt, voire trente ans.
Amanda n’avait pas changé et Julia riait. »
Extrait du livre « 11 femmes face à la guerre, 10 ans après »
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