Durant cinq mois, du 15 mai au 15 octobre 1914, Berne est en folie ! L’ « Exposition nationale suisse » bat son plein dans la capitale confédérale. Le génie helvète, des alpages aux sanatoriums, de l’industrie à l’entrée de plain pied dans la modernité, s’offre à plus de trois millions de visiteurs. Il est parmi les réalisations dont la Suisse n’est pas peu fière, la Croix-Rouge. Elle a été créée à Genève, un demi-siècle plus tôt – 51 ans, soyons précis.

La généalogie de l’action et du droit international humanitaires

Cet arbre, allégorie signée Breitenbücher, se structure en une trinité branchue coiffant un tronc court et massif . On y lit en rouge la devise du CICR, « Inter Arma Caritas », la charité entre les armes.

Au-dessous, le blason de la ville de Genève qui offrit son nom à la convention éponyme (*). Plus haut encore, au fil des ans, foisonnent les drapeaux d’un monde qui s’apprête à se jeter dans la guerre totale. L' »Exposition nationale Suisse » de Berne s’achève le jour des premiers combats. N’y voyons pas de mauvais augure. Certes la Suisse fit le même mauvais coup avec son l’exposition suivante tenue à Zurich en 1939 !

Accrobranche

Mais, revenons à la généalogie de l’action et du droit international humanitaires. L’arbre est flanqué de deux chronologies. Sur la branche gauche « l’adhésion des gouvernements à la Convention de Genève », 55 au total en 1914 (le premier Etat à adhérer est la France).

Sur celle de droite, « la formation des sociétés nationales de la Croix-Rouge » à partir de 1864. En cinquante ans, 41 sociétés nationales de Croix-Rouge se sont créées (la première, Bade en 1863). La branche centrale quant à elle raconte « la chronologie du Comité international et de ses principaux faits » et semble séparer ou relier, c’est selon, le droit et l’action.

Que de chemin parcouru en un demi-siècle… Mais que reste-t-il de l’équipe héroïque des débuts du CICR ? Personne. Henri Dunant et Gustave Moynier, frères ennemis d’une même cause, sont tous deux morts en 1910. Quant aux trois autres, les bons docteurs Louis Appia et Théodore Maunoir ainsi que le brave général Guillaume-Henri Dufour, aucun ne connut le XXème siècle.

Dans la famille Moynier, je voudrais….

Mais il y a la descendance. Pas celle de Dunant, il n’en eût pas. A la triple chronologie de l’exposition nationale suisse devrait figurer celle de Moynier… N’a-t-il pas offert au CICR, son fils, Adolphe et son neveu par alliance, Gustave Ador ? En 1914, les deux siègent au Comité, le premier comme membre, le second comme président !

A eux seuls, les deux Gustave totalisent soixante-quatre ans de présidence du CICR, quarante-six ans pour Moynier et dix-huit pour Ador ! Mais peine perdue, ingrate éternité, malgré ces efforts de longévité, la postérité colle à Henry Dunant. L’auteur du « Souvenir de Solférino » règne sans partage depuis plus de 150 ans dans les cœurs des volontaires « Croix-Rouge et Croissant-Rouge » du monde entier.

Pour autant, Moynier et Ador demeurent de grandes figures en Suisse. Savamment entretenue par eux, la neutralité confédérale se confondra longtemps avec la neutralité humanitaire imaginée par Dunant et si différente.

Neutralité helvético-humanitaire…

En 1910, Gustave Ador succède à son tonton Moynier à la présidence du CICR. Pour autant, il ne met pas entre parenthèses ses mandats politiques. Ainsi, en 1919, le président du CICR est aussi président de la Confédération. Un mélange des genres difficilement concevable aujourd’hui mais qui à l’époque permet à la Suisse de rénover sa diplomatie et au CICR de se distinguer tout au long de la première guerre mondiale. Dès octobre 1914 par exemple, la Suisse et le CICR créent l’Agence internationale des prisonniers de guerre.

Un dernier clin d’oeil, de retour sur l’arbre… Il est amusant de remarquer que parmi tous les drapeaux pavoisant les 50 premières années de l’action et du droit international humanitaires ne figure, ne fusse qu’une seule fois, le drapeau de la Croix-Rouge. Curieux oubli. En revanche le drapeau Suisse, lui, est à la meilleure place au centre du quart supérieur de l’arbre de l’Humanité.

(*) première convention de Genève, de 1864, portant sur le sort du soldat blessé en campagne. Ce traité demeure le ferment du droit international humanitaire.