Si je vous dis « travailler dans l’humanitaire », beaucoup penseront dans un premier temps aux soignants, qui sauvent des vies dans l’urgence. Au-delà de l’urgence, l’Humanitaire s’appuie sur un large panel de métiers, parfois moins visibles mais pourtant nécessaires. Parmi eux, on retrouve les ingénieurs en eau et habitat, aussi appelés « WatHab ».

Christian Lenz fait partie de ces « WatHab ». Il est coordinateur adjoint des projets eau et habitat au Comité international de la Croix-Rouge (CICR). Avec master en Génie mécanique en poche, quatre années d’expérience dans le secteur privé et une forte motivation, il a postulé au CICR en 2016 et a effectué depuis quatre missions : en Irak, au Yémen et au Liban. Pour tenter de mieux comprendre son métier d’ingénieur, dans un environnement humanitaire, nous lui avons posé 10 questions :

  1. Avant de partir dans ta première mission, est-ce que tu avais des doutes ?

J’avais du mal à imaginer la vie d’un délégué du CICR… Je me suis beaucoup renseigné avant de partir pour savoir à quoi cela pouvait s’apparenter. J’allais sur le site internet, j’allais à la rencontre d’anciens délégués. Mais, malgré tout, des doutes subsistaient…

Je savais que j’étais sur le point d’aller travailler dans une zone de conflit. Je me posais des centaines de questions : comment vont se passer ces longues périodes en proximité immédiate avec des collègues que je ne connais pas et qui patageront pourtant mon lieu de vie ? Comment vais-je réagir à une exposition prolongée à la souffrance humaine ? Comment vais-je faire face à des situations tendues, par exemple à un checkpoint ? Et puis, il y avait cette incertitude énorme et tenace : serais-je à la hauteur des défis d’ingénierie à relever ?

  1. Justement, est-ce que tu peux nous parler de ton métier d’ingénieur eau et habitat ?

Sur le terrain, les tâches d’un ingénieur du CICR sont extrêmement variées et diffèrent d’une mission à l’autre. Il n’y a pas de routine : un jour, vous visitez un chantier, le jour suivant, vous faites le suivi des questions financières au bureau, vous rencontrez les autorités pour discuter d’une proposition, le lendemain, vous organisez des sessions de formation dans une prison, puis vérifiez les conditions d’hygiène dans un centre de traitement du choléra et le jour suivant, vous allez soutenir les soignants dans l’évaluation des besoins d’un hôpital chirurgical… bref, c’est très varié.

Globalement, nos activités sont axées sur la prévention des risques pour la santé publique. Nous travaillons beaucoup sur les infrastructures de base, eau et assainissement notamment, afin de les restaurer ou de les améliorer. Nous soutenons également les collègues en charge de la protection en effectuant des visites conjointes dans les lieux de détention.

  1. Parmi toutes les missions accomplies, peux-tu nous parler d’une expérience qui t’a rendue fier ?

En 2017, je travaillais à Hodeidah, une ville du Yémen d’environ 600 000 habitants sur la côte de la mer Rouge. La situation sécuritaire, déjà fragile, s’est progressivement détériorée à mesure que la ligne de front sud se rapprochait. En prévision d’une crise prolongée, nous avons travaillé avec les autorités en charge de l’eau et de l’assainissement de la ville pour mieux comprendre l’état des infrastructures.

Dans ce contexte urbain, notre objectif était d’anticiper l’impact de potentiels futurs chocs, en rendant les systèmes d’eau plus résistants, en formant des équipes à même d’entretenir les systèmes et enfin, en mettant en place des marches à suivre pour que les consommables comme le carburant, essentiel au traitement de l’eau et aux générateurs, soient toujours disponibles.

Aujourd’hui, je suis fier de dire que ce soutien a permis une stabilisation des systèmes d’eau et d’assainissement à Hodeidah. Malheureusement, les systèmes d’autres villes du pays ont eux continué de se déteriorer. A Hodeidah, en partie grâce à ce soutien, 600 000 personnes ont pu avoir accès à l’eau potable et des dizaines de milliers de cas de choléra ont pu être évités.

Le CICR a installé un point d’eau potable près d’une école où des centaines de familles de Hodeida et alentours ont trouvé refuge lorsqu’elles ont fui les violences. CICR / Juillet 2018

  1. Quelles sont les principales différences entre ton ancien métier et ton métier actuel au CICR ?

Avec le CICR, je travaille dans des zones de conflits armés, ce qui pose un certain nombre de limites et de problèmes par rapport à un environnement de travail « normal ». Au-delà des défis techniques, nous devons comprendre le contexte dans lequel nous évoluons, identifier les besoins humanitaires, parfois urgents, prendre soin des collègues dans des conditions difficiles.

En situation d’urgence, nous devons aussi prendre des décisions sans avoir tous les éléments en main. Mais c’est pourtant nécessaire pour trouver des solutions sans perdre trop de temps. Puis, on les réadapte au fur et à mesure, mais ce n’est pas quelque chose de facile et ça peut être assez stressant.

Parfois aussi, on doit faire face à des contraintes logistiques considérables qui retardent nos travaux. C’est vrai que ça peut conduire à une certaine frustration.

  1. Qu’as-tu appris de tes collègues sur le terrain ?

Aujourd’hui, j’apprécie beaucoup plus les choses simples que je considérais comme acquises avant d’être humanitaire. Grâce à cette expérience, je rencontre des personnes formidables, qui vivent dans des conditions difficiles mais qui placent toujours les intérêts des autres avant les leurs. Je pense notamment à un directeur général dont l’entreprise gère l’eau, qui essaie coûte que coûte d’assurer l’approvisionnement en eau dans des circonstances plus que défavorables, ou à un technicien qui risque sa vie pour faire une réparation urgente, ou à une femme déplacée qui a fui avec quasiment rien, mais qui partage le peu qu’elle a avec une personne encore plus vulnérable, ou encore à un collègue qui consacre sa vie à aider les gens qui en besoin dans son propre pays.

Je dirais que travailler au CICR m’a aussi appris à être très humble. J’ai suivi une bonne formation en ingénierie, mais pourtant force est de constater que parfois les solutions les plus innovantes et pragmatiques viennent des personnes dans le besoin elles-mêmes.

Lire aussi : Eau et habitat : des services de base en faveur des victimes de conflit

  1. Sur le plan « RH », comment le CICR te soutient-il dans ton travail ?

Le CICR est l’une des plus anciennes organisations humanitaires au monde. A ce titre, il a accumulé beaucoup de savoir-faire et d’expérience qui sont aujourd’hui une grande richesse pour nous. On peut aussi compter sur des soutiens tant dans notre « région » qu’au siège, où sont les chefs de secteurs expérimentés qui peuvent répondre à nos questions ou nous rediriger vers des experts thématiques lorsque c’est nécessaire.

Ce qui est également positif, c’est qu’il y a beaucoup de possibilités de formation individuelle. Cela nous permet de nous enrichir constamment en nouvelles connaissances. C’est une vraie valeur ajoutée dans notre travail sur le terrain.  Tous les employés peuvent en bénéficier après avoir travaillé au CICR pendant au moins deux ans. Cela permet d’étudier de manière indépendante un sujet d’intérêt avec le soutien financier de l’organisation.

  1. As-tu suivi des formations dispensées par le CICR ?

Oui plusieurs. Avant ma première mission, j’ai participé au programme d’intégration du personnel où se retrouvent des collègues du monde entier pour découvrir les fondements du CICR et de son action humanitaire. J’ai ensuite suivi plusieurs formations en gestion du personnel, ce qui m’a permis d’assurer de nouvelles responsabilités en tant que coordinateur adjoint et de mieux adapter la gestion d’équipe à l’environnement humanitaire.

Sur le plan de l’ingénierie en eau et habitat, j’ai participé à plusieurs formations pour développer mes connaissances techniques en matière d’eau et d’assainissement et aussi de réhabilitation des stations d’épuration des eaux usées dans les situations d’urgence. Certains de ces cours sont organisés en collaboration avec des partenaires externes, comme l’Ecole Polytechnique Fédérale de Lausanne (EPFL) en Suisse.

  1. Selon toi, quelles sont les qualités à avoir pour être ingénieur au CICR ?

Pour commencer, il faut avoir suivi une solide formation d’ingénieur, consolidée par une expérience dans votre domaine de compétence. Cette expérience est nécessaire puisque l’essentiel de l’activité d’un ingénieur du CICR consiste à diriger la mise en œuvre de programmes parfois complexes et à gérer une équipe de plusieurs experts dans des domaines dont vous n’êtes pas forcément expert.

En parallèle, vous devez être en mesure d’effectuer un travail d’ingénierie de haute qualité en dehors de votre champ d’expertise principal et capable d’apprendre de nouvelles choses chaque jour.

Enfin, notre travail fait partie intégrante d’une opération humanitaire. Il est important de ne jamais perdre de vue les besoins et les souffrances humanitaires que nous essayons d’alléger et de toujours persévérer.

En tant qu’ingénieur du CICR, vous êtes en contact direct avec les victimes. Vous devez être capable de faire preuve d’empathie et de patience. En même temps, et en particulier dans les situations d’urgence, vous devez être capable de garder la tête froide, de penser de manière analytique et de prendre rapidement les bonnes décisions.

  1. Quels conseils souhaites-tu donner aux ingénieurs qui aimeraient de postuler au CICR ?

On est toujours la recherche de nouveaux collègues pour nous soutenir dans notre travail humanitaire sur le terrain.

Mon premier conseil serait de bien vous renseigner sur le travail d’humanitaire, avant de postuler, pour être sûr.e que c’est un environnement fait pour vous.

Ensuite, je dirais qu’il faut s’interroger sur sa véritable source de motivation à postuler pour cet emploi. Cette motivation, elle doit être claire, afin d’être comprise par vos amis, votre famille et aussi les recruteurs. Il faut aussi s’assurer d’avoir le soutien de votre famille et de vos amis car dans l’humanitaire, il arrive que l’on se retrouve dans une situation difficile et qu’on ait besoin de soutien.

  1. En « quelques mots », si vous deviez résumer votre métier ?

J’apprécie vraiment de pouvoir voir l’impact réel qu’à notre travail sur le quotidien des gens. C’est aussi important de pouvoir travailler main dans la main avec les personnes touchées directement par un conflit pour les aider à trouver des solutions à leurs problèmes. C’est pour moi un moyen très puissant d’exprimer ma solidarité.

Lorsque l’on travaille sur les systèmes d’eau urbains, nos activités impactent parfois le quotidien de centaines de milliers de personnes. D’autres projets, par exemple dans les prisons, sont beaucoup plus petits, mais ce qu’on y fait peut vraiment améliorer le quotidien de nombreuses personnes.

Adapté en français à partir de la version originale en anglais 

Pour en savoir plus : Travailler pour le CICR en tant que WatHab