Rien ne prédestinait Fridtjof, élève moyen à l’école, surtout passionné par le sport et la vie dans la forêt à devenir un humanitaire, prix Nobel de la Paix en 1922. Né près de la capitale norvégienne Christiania, aujourd’hui Oslo, Fridtjof décide de se lancer dans des études de zoologie, expliquant ce choix par le souhait de vivre une vie au grand air.

Auteur : Henry van der Weyde (George Grantham Bain Collection – Library of Congress) – 1915

Du grand air, il en aura durant les premières années de sa vie. A seulement 18 ans, il bat le record du monde de patinage sur la distance d’un mile (1,6 kilomètre) et, l’année suivante, il gagne le championnat national de ski de fond, un exploit qu’il répétera à onze reprises. En 1882, il débute ses premières explorations de la faune arctique au bord du navire phoquier, le Viking. C’est à son bord qu’il démontre que, contrairement à l’hypothèse en vigueur, la glace de mer se forme sur la surface de l’eau plutôt qu’en dessous. C’est aussi au bord du Viking qu’il devient un très bon tireur et qu’en un jour abat avec son équipe pas moins de 200 phoques. Heureusement, ce n’est pas ce que l’Histoire retiendra de lui. Il poursuivra ses aventures polaires jusqu’aux débuts des années 1900, avec notamment une très remarquée traversée du Groenland à ski en 1888 qu’il met à profit pour étudier le mode de vie de la population inuit. Mike Horn n’a qu’à bien se tenir.

De retour sur la terre ferme norvégienne, Fridtjof Nansen est accueilli en héros populaire par la population. Scientifique reconnu et considéré comme l’un des plus éminents citoyens de son pays, sa renommée lui ouvre les portes de la diplomatie et des relations internationales dès 1905. C’est toutefois au sortir de de la Première guerre mondiale qu’il deviendra un humaniste conséquent, sans doute marqué par l’horreur de plus de quatre années de guerre.

Evacuer les anciens soldats bloqués en Sibérie

En 1919, les négociations diplomatiques sont enrayées à cause de l’isolement de la Russie. En conséquence, des centaines de milliers de prisonniers de guerre sont bloqués au fin fond de la Sibérie. Théoriquement libres, ces anciens soldats ne disposent ni des transports, ni des ressources pour rentrer chez eux. Le CICR entame les négociations et organise le rapatriement d’une partie de ces hommes, exclus des accords internationaux.

Très vite, face à l’ampleur de la tâche, le CICR interpelle la naissante Société des Nations, l’ancêtre de l’Organisation des Nations Unies (ONU). En 1920, celle-ci crée l’office du Haut-commissaire aux prisonniers de guerre dont l’écrasante responsabilité revient à Nansen, qui connaît bien les régions polaires et qui possède une neutralité très appréciée dans un contexte de rupture des relations entre la Russie et le reste du monde.

Dès le mois de mai 1920, Nansen et le CICR mettent leurs forces en commun. Le premier négocie avec les gouvernements l’ouverture des routes de la Baltique. Le second, avec le concours des Croix-Rouge américaine et scandinave, organise les voyages.

En moins de deux ans, cette action conjointe permettra à près de 300 000 anciens prisonniers de guerre de regagner leur patrie et leur famille, échappant ainsi à une mort certaine.

Renée-Marguerite Frick-Cramer, « rapatriement des prisonniers de guerres centraux en Russie et en Sibérie et des prisonniers de guerre russes en Allemagne » Revue internationale de la Croix-Rouge, vol 2, n17, mai 1920, p544

Le premier instrument juridique qui protège les réfugiés

Loin de se satisfaire du rapatriement de ces prisonniers de guerre, il alerte la Société des Nations sur le sort des civils : « je ne peux taire ma conviction qu’il existe des populations nombreuses qui, en dehors des prisonniers, vivent en réfugiés dans des pays qui leur sont étrangers, et qu’on pourrait, au grand bénéfice de l’équilibre de l’Europe, aider à modifier leur sort. » Deux jours plus tard, il devient Haut-commissaire aux Réfugiés (HCR).

Entre 1919 et 1922, suite à la révolution d’Octobre en Russie, près d’un million et demi de civils sont poussés à l’exil par les persécutions, la famine et les épidémies. Comme si cela n’était pas suffisant, un décret soviétique du 15 décembre 1922 révoque la nationalité de tous les émigrés qui deviennent donc apatrides. Le statut de réfugiés n’étant pas reconnu, ils font face à des obstacles infranchissables pour s’établir dans un pays d’accueil, y exercer leur profession et y faire valoir leurs droits.

Couverture d’un passeport Nansen, émis par le gouvernement français (UNHCR, bibliothèque nationale de Norvège)

En réponse à la situation des apatrides, Nansen créera un passeport éponyme « passeport Nansen », premier instrument juridique de protection internationale des réfugiés. Rédigé en français et dans la langue du pays d’accueil, il est reconnu dès 1924 par 38 États, permettant aux réfugiés apatrides de passer les frontières. Parmi les détenteurs du passeport Nansen, Marc Chagall ou encore Robert Capa.

Durant l’entre-deux-guerres, près de 450 000 passeports Nansen ont été distribués.

Nansen obtient le prix Nobel de la paix en 1922, et utilisera l’argent du Prix pour financer une aide humanitaire à l’Ukraine. Huit années plus tard, il succombe à une crise cardiaque. Parmi les nombreux hommages qui lui sont rendus, celui de Robert Cecil, un ancien délégué de la Société des Nations, qui témoigne : « Chaque cause juste avait son soutien, il était un [fervent pacifiste], un ami de la justice, toujours un avocat pour les faibles et les souffrants ».

Voir aussi en libre accès 2 films datant de 1921 qui documente essentiellement la famine et la misère des enfants en Russie. Dans ce film apparait le Dr Nansen.

Lire aussi le portrait de Fridtjof Nansen, rédigé par le blog des archives du CICR, Cross-files