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Israël et les territoires occupés : comment s’applique le droit international humanitaire

Depuis le 7 octobre, le monde a été témoin d’événements tragiques d’une gravité sans précédent en Israël et dans les territoires occupés. Alors que les combats sont de plus en plus intenses après plus de deux mois de conflit armé, à chaque instant, la violence armée continue d’affecter les populations civiles.

Nos collègues sur le terrain sont confrontés à une situation humanitaire extrêmement difficile et font face à de nombreux défis et obstacles. Dans ce contexte, Elizabeth Rushing, animatrice de ce podcast et Cordula Droege, cheffe de la Division juridique du CICR, se sont réunies pour déterminer comment le droit international humanitaire (DIH) réglemente ce conflit armé dans sa récente évolution.

Nous avons reçu de nombreuses questions sur l’application du DIH de la part de nos lecteurs et auditeurs, en particulier en ligne. Pourrions-nous démarrer l’entretien d’aujourd’hui en présentant les contours des principales dispositions du DIH applicables dans la situation actuelle ?

Le droit international humanitaire (DIH), parfois qualifié de « lois de la guerre », est un ensemble de règles internationales régissant le comportement des parties à des conflits armés. Je soulignerai peut-être deux remarques importantes en guise d’introduction.

La première, c’est que le DIH est distinct et indépendant des règles du droit international qui déterminent si le recours à la force entre les États est licite ou non. Cela est réglementé par la Charte des Nations Unies (ONU) et par d’autres branches du droit. La distinction s’explique par le fait que le DIH vise à protéger toutes les victimes des conflits armés, indépendamment du camp auquel elles appartiennent.  En vertu du DIH, dans un conflit, la fin ne justifie pas tous les moyens et les moyens employés pour conduire des opérations militaires sont limités par le DIH. Par ailleurs, pour introduire cette question, il faut rappeler que le DIH s’applique à toutes les parties à un conflit armé, aux États comme aux groupes armés non étatiques.

Ainsi, globalement, le DIH comporte deux volets. Il fixe des limites à la façon dont les opérations militaires peuvent être conduites. C’est ce que l’on appelle les règles de la conduite des hostilités, qui sont ces principes fondamentaux de distinction, de proportionnalité et de précaution, dont certainement de nombreux auditeurs et lecteurs ont entendu parler. Le DIH restreint aussi le type d’armes qui peuvent être utilisées.

Deuxièmement, le DIH règlemente le traitement des personnes qui se trouvent aux mains et au contrôle de l’adversaire. Par exemple, si elles vivent dans un territoire occupé ou si elles sont détenues par une partie adverse. En toutes circonstances, la règle fondamentale est que les personnes doivent être traitées avec humanité. Au sein de ces deux dimensions plus générales, deux aspects sont traités par le DIH et ont une importance particulière dans de nombreux conflits, y compris dans cette guerre entre Israël et les territoires occupés. Le premier aspect, c’est qu’il existe un ensemble de règles très complet qui protège les blessés et les malades en matière de soins de santé. Et le deuxième, c’est l’existence de diverses règles très importantes régissant les opérations de secours humanitaires.

Nous avons reçu de nombreuses questions sur ce premier volet que sont les règles de la conduite des hostilités. Vous avez rapidement mentionné le principe de distinction. Pouvez-vous en rappeler la définition ?

Le principe de distinction signifie qu’un belligérant doit toujours faire la distinction entre les combattants et les civils et entre les objectifs militaires et les biens de caractère civil : des habitations, des infrastructures civiles et l’environnement. Ses attaques doivent être uniquement dirigées contre des combattants et des fighters [1] et non contre des civils et il ne peut prendre pour cible que des objectifs militaires et non des biens de caractère civil.

Ainsi, en vertu du principe de distinction et en toutes circonstances, les parties doivent veiller constamment à épargner la population civile et les biens de caractère civil et à les protéger des conséquences des opérations militaires. De ce principe découle l’interdiction de ce que l’on appelle les « attaques sans discrimination ». Les attaques sans discrimination sont des attaques qui ne sont pas ou qui ne peuvent pas être dirigées contre un objectif militaire déterminé ou dont les effets ne peuvent pas être limités comme le prescrit le droit international humanitaire.

Poursuivons l’analyse progressivement. Donc, en premier lieu, qui est considéré comme un combattant et qui est qualifié de fighter ? Quelles sont les différences entre ces deux termes ?

Les combattants sont des membres des forces armées d’une partie au conflit, à l’exception du personnel médical et religieux. Il peut y avoir un personnel médical au sein des forces armées, mais les membres de ce personnel médical ne sont pas des combattants et bénéficient d’une protection.

Les forces armées d’un État partie à un conflit peuvent désigner les forces armées régulières de cette partie, mais peuvent également être des forces armées organisées ou des unités sous un commandement qui rend des comptes à cette partie. S’agissant des groupes armés non étatiques, les combattants désignent ceux dont la fonction de combat continue consiste à prendre part aux hostilités. Autrement dit, ils sont la branche armée d’une partie non étatique à un conflit.

Enfin, je pense qu’il convient également d’ajouter que, parfois, des civils peuvent participer directement aux hostilités et en conséquence, ils perdent leur protection contre les attaques mais seulement pendant la durée de leur participation.

Qu’est-ce qui est considéré comme un objectif militaire, par opposition à des biens de caractère civil ? Et pour approfondir, pouvez-vous expliquer ce qu’il se passe lorsque des biens de caractère civil, tels que des hôpitaux, sont utilisés à des fins militaires ?

La définition des objectifs militaires est un peu complexe. Selon cette dernière, les objectifs militaires sont limités aux biens qui, par leur nature, leur emplacement, leur destination ou leur utilisation apportent une contribution effective à l’action militaire et dont la destruction totale ou partielle, la capture ou la neutralisation offrent en l’occurrence un avantage militaire précis. Pour le dire plus simplement, généralement, les objectifs militaires seront essentiellement des éléments tels que des armes ou des chars d’assaut, par exemple. Mais les biens de caractère civil peuvent également devenir des objectifs militaires à titre exceptionnel s’ils sont employés pour des activités militaires.

Prenons l’exemple d’un bâtiment civil qui est utilisé pour y entreposer des armes. Ce bâtiment deviendra un objectif militaire, car il est employé à des fins militaires. Lorsqu’une partie d’un bien est utilisée, par exemple une partie d’un bâtiment plus large ou d’un ensemble de bâtiments, cela ne signifie pas que toute la structure peut être prise pour cible, car il faut toujours prendre toutes les précautions pratiquement possibles en vue d’éviter et, en tout cas, de réduire au minimum les pertes en vies humaines dans la population civile et les dommages aux habitations. Cette règle s’applique même sans la présence de civils dans le bâtiment, car la destruction totale de ce dernier aurait malgré tout pour conséquence de détruire des habitations et les moyens de subsistance des populations.

Pouvons-nous nous attarder sur la définition des autres principes fondamentaux qui s’ajoutent au principe de distinction, à savoir le principe de proportionnalité et le principe de précaution ?

En vertu du principe de proportionnalité, il est interdit de lancer des attaques dont on peut attendre qu’elles causent incidemment des pertes en vies humaines dans la population civile, des blessures aux personnes civiles ou des dommages aux biens de caractère civils, tels que mentionnés précédemment, qui seraient excessifs par rapport à l’avantage militaire concret et direct attendu.

Examinons cette définition. Cela signifie que les atteintes portées à la population civile devant être prises en compte conformément au principe de proportionnalité incluent des pertes en vies humaines, des blessures à des personnes et des dommages ou des destructions causés à des habitations ou des infrastructures civiles. Il faut prendre en compte toutes les atteintes portées aux civils qui sont attendues, c’est-à-dire celles qui peuvent être prévisibles. Les dommages qui peuvent être prévisibles à la suite une opération militaire ne comprennent pas seulement ses effets immédiats – les personnes qui perdront la vie ou seront blessées directement à cause d’une attaque, mais également ses effets à moyen et à long-terme.

Par exemple, il est tout à fait possible de prévoir que si des lignes à haute tension sont détruites ou endommagées, ce n’est pas juste un réseau d’électricité qui est perturbé. On peut s’attendre à ce que cela ait également des conséquences sur les hôpitaux et sur les systèmes de pompage ou d’assainissement de l’eau, ce qui peut entrainer d’autres pertes en vies humaines et d’autres blessés. Ainsi, ces atteintes portées aux civils, lorsqu’elles sont prévisibles, doivent également être prises en compte.

Il va de soi que plus il y a d’informations disponibles sur la population civile dans les espaces urbains, plus il est possible de prévoir les effets attendus et cumulés de dommages causés incidemment, en particulier aux infrastructures civiles et aux services essentiels, car la plupart de ces derniers seront endommagés, tels que l’électricité, l’eau, etc. Dans le bâti, il existe généralement une redondance qui fait que l’endommagement de la première ligne à haute tension portera atteinte à la population civile, mais l’endommagement de la dernière ligne à haute tension aura des conséquences bien plus sévères, en l’absence de redondance pour pérenniser le système.

Nous pouvons également examiner la notion d’avantage militaire qui découle du principe de proportionnalité. On entend encore trop souvent que tel ou tel dommage causé à la population civile pourrait être légitime pour vaincre l’ennemi ou pour gagner la guerre. Ce n’est en aucun cas une raison légitime, car s’il s’agit uniquement de gagner la guerre, alors bien entendu, le principe de proportionnalité est totalement remis en cause. Il convient donc de rester prudent lorsqu’on examine l’avantage militaire concret et direct attendu conformément au droit humanitaire.

Par ailleurs, s’agissant des précautions à prendre, elles comprennent toutes les mesures pratiquement possibles qui doivent être prises par une partie en vue d’éviter ou en tout cas de réduire au minimum les atteintes portées à la population civile et aux biens de caractère civils. Ainsi, ce principe a une application très concrète. Il définit dans quelle mesure les États et les autres parties peuvent respecter l’obligation de distinction et de proportionnalité.

Par exemple, prendre des précautions peut consister à avertir la population civile en cas d’attaque imminente dès que possible, à choisir certaines armes ou munitions de manière à réduire le préjudice causé à la population civile ou dans le même objectif, à choisir le moment opportun pour attaquer. Les parties sont également tenues de veiller constamment à prendre pour cible un objectif légitime et à considérer la possibilité d’interrompre l’attaque si ce n’est plus le cas ou si elles voient que les dommages causés incidemment seraient excessifs.

Cela peut aussi impliquer, par exemple, de prendre en considération les déplacements de population et la zone vers laquelle les personnes fuient, pour veiller constamment à savoir dans quelle direction se déplacent ces personnes et où elles se trouvent afin d’ajuster l’attaque. C’est aussi la question du choix des objectifs attaqués. Ainsi, s’il faut choisir parmi plusieurs objectifs militaires, il faudra prendre pour cible celui qui représente le risque le moins élevé pour les populations civiles et les biens de caractère civil. Et si l’objectif pris pour cible est plus large, la partie doit avoir pour but d’attaquer une partie beaucoup moins grande de cet objectif, dans la mesure du possible, afin d’éviter ou en tout cas de réduire les dommages causés aux civils. Ces mesures concrètes doivent être prises en compte par les parties afin d’éviter ou de réduire les dommages causés.

Dans les zones urbaines densément peuplées, telles que Gaza, mais également en Ukraine ou au Soudan, comment les règles que vous avez rappelées peuvent-elles être respectées, alors que les civils et les combattants vivent côte à côte et que les objectifs militaires sont situés à proximité de biens de caractère civil ?

Oui, je pense qu’il faut en premier lieu rappeler que les villes sont des zones civiles par excellence. Elles concentrent une population civile importante ; un grand nombre d’habitations, d’hôpitaux, d’écoles, de bâtiments publics et de restaurants. En cas de doute pour déterminer si une habitation ou un bâtiment public sont utilisés à des fins militaires, on devrait présupposer qu’ils sont utilisés en tant que biens de caractère civil.

Nous savons d’emblée, en constatant purement et simplement les faits, que l’utilisation d’armes explosives à large rayon d’impact en zones peuplées continue de porter gravement atteinte à la population civile, causant de nombreux blessés, des morts, mais aussi des dommages aux infrastructures. Même lorsque des services indispensables à la survie de la population civile, tels que ceux que nous avons mentionnés (hôpitaux, système d’assainissement de l’eau et d’approvisionnement) ne sont pas directement pris pour cibles, ces attaques avec des armes explosives à large rayon d’impact ont pour conséquence indirecte d’altérer leur fonctionnement et ils sont de plus en plus dégradés au fil du temps.

Les effets des armes explosives à large rayon d’impact peuvent se poursuivre après l’arrêt des combats : les munitions non explosées sont nombreuses et la contamination par les armes est importante, les services essentiels sont endommagés ou parfois totalement absents et ces conséquences empêchent de nombreuses personnes qui ont été déplacées par les combats de revenir chez elles.

Par conséquent, bien que le DIH ne prévoit pas d’interdiction absolue relative à l’utilisation de ce type d’armes explosives lourdes, leur emploi doit malgré tout être conforme aux principes interdisant les attaques sans discrimination et les attaques disproportionnées tels que mentionnés précédemment et également au principe de précaution. Mais en raison du manque de justesse et de précision de ces armes et de la largeur de leur rayon d’impact, il existe un réel questionnement sur la capacité à respecter ces principes en les employant en milieu urbain.

Ces dernières années, le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) mais également le Mouvement de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge, ont appelé les États et les parties à des conflits armés à éviter d’utiliser ces armes explosives lourdes en zone urbaine, en raison de la forte probabilité que cela s’accompagne d’attaques sans discrimination et en dépit de l’absence d’une interdiction juridique explicite sur l’emploi de ce type d’armes.

Toutefois, il y a eu récemment, en 2022, l’adoption d’une Déclaration politique reconnaissant que l’utilisation de ces armes explosives en zones peuplées portait gravement atteinte aux populations civiles. Quatre-vingt-trois États ont adopté cette déclaration politique et nous espérons que d’autres États se joindront à cette initiative pour envoyer un signal politique clair, soulignant que le coût humain de ces armes, telles qu’elles sont employées actuellement et comme nous pouvons l’observer, est inacceptable et que cela doit changer.

Dans cette perspective, penchons-nous maintenant sur la question que nous adressent souvent nos lecteurs, qui constatent des violations maintes fois répétées de ces règles : pourquoi continuons-nous à nous appuyer sur le DIH, alors que nous sommes témoins de violations qui sont commises dans de nombreux conflits ?

Nous nous appuyons en premier lieu sur le DIH parce que, en dépit ce que l’on voit sur nos écrans de télévisions quotidiennement et qui est inacceptable, le DIH a en réalité sauvé d’innombrables vies ces 150 dernières années.

Chaque fois qu’un blessé, y compris un soldat ou un fighter ennemi, est pris en charge et soigné, ou chaque fois qu’une ambulance passe un checkpoint ou que les secours humanitaires accèdent aux populations civiles, chaque fois que des détenus sont traités avec humanité et se voient offrir de la nourriture, de l’eau et des soins médicaux ; ces situations se produisent également pendant des conflits armés, c’est grâce aux règles du DIH qui n’ont pas toujours existé et qui ne sont pas systématiquement violées. Au fil des ans, les traités relatifs au DIH ont également interdit certaines armes, telles que les armes chimiques et biologiques, mais aussi les mines antipersonnel et les armes à sous-munitions et cela a également permis de sauver de nombreuses vies.

Ensuite, si vous le voulez bien, je m’appuierai davantage sur une réflexion fondée sur des principes, même si nous sommes confrontés à ce combat acharné pour faire en sorte que le DIH soit respecté, c’est simplement la bonne chose à faire. Je pense que ces règles déterminent comment les parties devraient se comporter et quel est notre rôle pour veiller à leur application. Cela étant dit, bien entendu, nous devons nous indigner face aux violations répétées du droit dont nous sommes témoins dans le monde entier. Et nous devons également être indignés par l’impunité qui règne pour ces violations.

Mon point de vue sur cette question est le suivant : faut-il considérer qu’interdire les mauvais traitements est inutile car les personnes continuent de les subir ? Faut-il considérer que l’interdiction des attaques sans discrimination est inutile car les parties aux conflits continuent de lancer de telles attaques ? Faut-il considérer que les blessés et les malades devraient simplement être livrés à eux-mêmes, sans soins médicaux ? Si ce n’est pas notre avis, si nous considérons que ces règles sont utiles, je pense que la seule option qui s’offre à nous est de transformer notre indignation en action et faire en sorte que ces règles soient davantage mises en œuvre et respectées.

Quelles obligations incombent aux États en matière de secours humanitaires apportés aux populations civiles qui en ont besoin ? Et en quoi peuvent consister ces obligations ?

Cela ne commence pas avec les secours humanitaires, car c’est en premier lieu et avant tout aux parties au conflit de répondre aux besoins essentiels des populations sous leur contrôle.

Si les populations ne bénéficient pas des biens essentiels et indispensables à leur survie (de l’eau, de la nourriture, des soins médicaux, etc.), alors les parties au conflit et tous les États doivent autoriser et faciliter les secours humanitaires de caractère impartial et dont le seul objectif est d’accéder aux populations civiles qui en ont besoin. L’aide humanitaire est bien entendu soumise au consentement des États, les dispositions du DIH sont explicites à ce propos. Mais il va de soi que, si des personnes sont privées des biens essentiels à leur survie, alors les États ne peuvent pas refuser l’aide humanitaire sans contrevenir à leurs obligations, car les conséquences de ce refus seraient illicites.

Une fois que les États ont donné leur consentement et que l’aide humanitaire a été planifiée, cette aide reste soumise à ce que l’on nomme « le droit de contrôle » des parties au conflit. Cela signifie que les parties à des conflits peuvent imposer ces contrôles pour s’assurer que l’aide atteint réellement les populations civiles et n’est pas détournée à des fins militaires. Les parties peuvent donc imposer certaines routes, contrôler les cargaisons, etc., elles peuvent imposer ces mesures de contrôle. Mais encore une fois, les parties doivent appliquer ces mesures de bonne foi. Et les mesures de contrôle ne peuvent pas être de nature à empêcher totalement ou à retarder indéfiniment l’aide humanitaire qui ne pourrait pas, alors, atteindre les populations civiles qui en ont besoin.

Comment la mésinformation, la désinformation et les discours de haine (MDH) impactent-ils nos opérations humanitaires et les populations qui sont déjà affectées par un conflit armé ?

Il s’agit en effet d’un phénomène que nous observons et qui prend une ampleur considérable dans le monde entier, avec des propos très incendiaires qui revêtent une dimension informative dans les conflits armés et auxquels beaucoup d’entre nous sont confrontés.

Par exemple, nous voyons se propager des informations erronées à propos des comportements licites ou non pendant un conflit armé. Nous sommes témoins de discours déshumanisants et assistons à la propagation de discours qui alimentent la haine et glorifient la violence. Nous entendons des propos malveillants qui propagent la désinformation et qui portent également sur le rejet de l’action humanitaire et de la délivrance d’activités humanitaires. Cela peut avoir de lourdes conséquences sur la sécurité et la dignité des populations affectées, mais également sur des organisations humanitaires telles que le CICR.

Toutefois, j’ajouterai une brève remarque en rappelant que le DIH fixe aussi des limites à ce que les personnes sont autorisées à faire dans des situations de conflit armé. Et il prévoit des obligations pour les États, afin de fixer des limites à leurs juridictions. Par exemple, il est interdit d’inciter à commettre des violations du DIH. Sont également interdits les menaces de violence ou le fait de répandre la terreur parmi la population civile.

À cet égard, les États ont des obligations et des responsabilités. Premièrement, ils peuvent avoir une responsabilité juridique en matière de mésinformation, de désinformation et de discours de haine, si ces propos sont diffusés conformément à leurs instructions, sous leur direction ou sous leur contrôle. De plus, ils ne doivent pas inciter des civils ou des groupes à agir de façon contraire au DIH. Ils doivent également faire preuve d’une diligence raisonnable pour prévenir les violations du droit international humanitaire commises sur leur territoire ou depuis celui-ci. Et donc, ils ont cette obligation de faire appliquer le DIH en adoptant des mesures nationales afin de prévenir les violations, mais également de poursuivre les auteurs de violations graves.

Quelle est l’importance, selon vous, de la neutralité du CICR dans cette situation et pourquoi est-ce essentiel que les acteurs reconnaissent, comprennent et respectent ce principe ?

Le Mouvement international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge et le CICR conduisent leurs activités humanitaires conformément aux principes du Mouvement et en particulier, bien sûr, au principe d’humanité, mais aussi des principes de neutralité, d’impartialité et d’indépendance. Et la neutralité est ici un principe opérationnel, qui signifie que nous ne prenons pas parti dans les conflits et que nous prêtons assistance en nous fondant uniquement sur les besoins humanitaires. Cela implique d’instaurer un dialogue avec toutes les parties pour souligner l’importance de respecter le DIH, ce qui nous permet de fournir une aide humanitaire.

Pour nous, la neutralité est un moyen et une méthode permettant de dialoguer avec les parties, pour instaurer la confiance, tant avec des groupes armés qu’avec des États. Sans cette confiance, nous ne pouvons pas poursuivre ces opérations qui sauvent des vies et nous ne pouvons plus répondre aux besoins des populations affectées, des détenus, des familles, des personnes disparues, des blessés ou des malades. Cela nous permet d’avoir un rôle « d’intermédiaire neutre », qui permet d’accéder aussi bien aux victimes de la violence qu’aux acteurs qui y participent. Cela nous permet aussi de garantir la sécurité de notre personnel et ainsi, de mener ces activités dans des situations parfois très difficiles.

Par exemple, dans ce conflit entre Israël et les territoires occupés, cela nous a permis de jouer un rôle d’intermédiaire neutre qui s’est avéré utile pour les parties et en particulier pour les familles, afin de libérer des otages et des détenus des deux côtés.

Ainsi, la neutralité est tout à fait essentielle pour nous, pour effectuer notre travail. Cela ne veut pas dire que tout le monde devrait être neutre dans les conflits, mais il y a un espace pour chaque type d’action dans un conflit armé. Divers acteurs ont des rôles différents et il y a certainement, de notre point de vue, un rôle pour l’action d’une organisation neutre qui souhaite mener des activités spécifiques, comme que nous le faisons.

[1] En français et dans un certain nombre de langues, l’expression fighter (« guerrier » au sens littéral du terme) peut être traduite par « combattant », sans que cette traduction ne soit entièrement satisfaisante. Pour plus de détails sur ce que signifie ce terme, voir la règle 3 de l’Étude du CICR sur le droit international humanitaire coutumier, sous le titre « Conflits armés non internationaux ».

Ce texte a initialement été publié en anglais le 19 décembre 2023.

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