Les 15 et 16 octobre 2020, onze vols au départ et à destination de cinq aéroports du Yémen et d’Arabie saoudite ont rapatrié plus de 1 000 détenus du conflit yéménite. Après des mois de négociations, le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) a agi en tant qu’intermédiaire neutre et a organisé ces rapatriements.

Au cours des dernières décennies, le CICR a facilité la libération de plus de 1 800 personnes détenues par des groupes armés non étatiques en Colombie. En Afghanistan, le CICR a joué un rôle essentiel entre les parties au conflit dans la remise des dépouilles des combattants et des civils tombés au combat.

En 2016, le CICR a facilité le retour de 21 jeunes filles enlevées en 2014 à Chibok, au Nigeria. En 2017, il a aidé à la remise aux autorités de 82 autres filles. Il a également fourni aux autorités des conseils sur les efforts qu’elles déploient pour réintégrer les filles dans la société.

En novembre 2023, le CICR a facilité la libération d’otages détenus à Gaza. Il travaille toujours d’arrache-pied pour avoir accès à tous les otages restants.

Ces exemples ne sont que quelques-uns parmi tant d’autres.

Quand, où et pourquoi le CICR joue-t-il un tel rôle ? Quels sont les types d’activités qui bénéficient de ce rôle ? À qui est-ce bénéfique ?

Cet article est une version abrégée d’une contribution publiée par les archives du CICR et répond à certaines de ces questions.

De la création du Mouvement à la fin de la Seconde Guerre mondiale

Le rôle d’intermédiaire neutre du CICR est presque aussi ancien que l’organisation elle-même. À ses débuts, le Comité a servi d’intermédiaire entre les États pour ratifier la Convention de Genève de 1864.

Pendant la guerre franco-prussienne de 1870-1871, le CICR crée l’agence de Bâle pour échanger des informations sur les prisonniers. C’était la première fois que le CICR était directement employé en tant qu’intermédiaire dans des situations de conflit.

Guerre franco-prussienne 1870-1871. Peinture de Paul-Emile Boutigny. ©CICR

Au cours de la Première Guerre mondiale, il a transmis de nombreuses plaintes de belligérants à d’autres personnes concernant des violations présumées de la loi. Le CICR et la Suisse convainquent ainsi les belligérants de rapatrier les prisonniers gravement malades et blessés et de les interner en Suisse.

Pendant la guerre italo-éthiopienne, les délégués du CICR ont servi d’interlocuteurs neutres entre les nombreuses Sociétés nationales de la Croix-Rouge qui y étaient actives. Le CICR a joué un rôle dans l’évacuation et le rapatriement de civils, y compris d’enfants, pendant la guerre civile espagnole. Il a également établi une zone neutralisée à Madrid.

Pendant la Seconde Guerre mondiale, le CICR fait usage de son droit d’initiative et propose ses services à tous les belligérants pour rapatrier les prisonniers de guerre blessés et malades ou leur internement dans des pays neutres.

La guerre froide

La guerre froide a constitué un défi. Accusant l’organisation d’être occidentale, le bloc communiste a rejeté le rôle du CICR en tant qu’intermédiaire et organisation neutre. Par exemple, pendant la guerre de Corée, le CICR n’a pas pu accéder aux prisonniers détenus par la Corée du Nord. Elle ne peut participer aux rapatriements de prisonniers des deux camps qu’en avril et mai 1953, pendant les hostilités. Le CICR a échoué pendant la guerre d’Indochine et pendant la guerre du Vietnam. Lors du conflit sino-indien de 1962-1963, ce rôle a été demandé par l’une des parties au conflit, mais refusé par l’autre.

En 1947, le CICR participe à l’évacuation de milliers de citoyens chinois. Lors du premier conflit indo-pakistanais de 1947, le CICR a pu rendre visite aux détenus des deux côtés et servir d’intermédiaire neutre pour les activités de recherche et l’évacuation d’environ 5 000 civils au Cachemire.

La crise des missiles de Cuba d’octobre et novembre 1962 a été l’un des moments les plus chauds de la guerre froide. Le CICR a discrètement offert ses services au secrétaire général de l’ONU, aux États-Unis et à l’URSS pour trouver une solution pacifique. Il proposait que les délégués puissent inspecter les bateaux soviétiques pour s’assurer qu’ils ne transportaient pas d’armes. Finalement, les États-Unis et l’URSS sont parvenus à un accord avant que le CICR puisse organiser une telle activité.

Au Yémen, en 1963-1964, le CICR a servi d’intermédiaire neutre entre les différentes parties au conflit, y compris les pays parrains tels que l’Égypte et l’Arabie saoudite. Au début de l’année 1979, le CICR a joué un rôle d’intermédiaire neutre entre les parties à la guerre sino-vietnamienne. Pendant la guerre soviéto-afghane, le CICR et la Confédération suisse ont servi d’intermédiaires neutres pour l’internement en Suisse de quelques soldats soviétiques détenus par l’opposition afghane.

Yemen, 1964. Un délégué du CICR évacue un blessé. ©CICR/ROCHAT

Agissant en tant qu’intermédiaire neutre, il a joué un rôle essentiel lors de la première guerre israélo-arabe de 1948. Lors de la crise de Suez (1956-1957), le CICR organise le rapatriement des soldats égyptiens blessés et le rapatriement des prisonniers aux mains des Israéliens et des Égyptiens. En 1967, à la suite de la guerre des Six Jours, le CICR a rapatrié 5’500 prisonniers de guerre et 1’000 civils. À la fin de la guerre israélo-arabe de 1973, 9’000 prisonniers ont été rapatriés sous ses auspices. Lors de l’intervention israélienne au Liban (1982-1985), le CICR a rapatrié des groupes de prisonniers libérés. Le CICR a joué un rôle crucial en Israël et dans les territoires occupés au cours des dernières décennies :

« Au milieu de passions si diverses et contradictoires, le drapeau de la Croix-Rouge était le seul qui pût unir tous les combattants dans une même pensée charitable. Il suffirait de prouver que l’humanité n’a pas abandonné tout idéal et que, dans les pires moments, on n’appelle pas vainement le cœur de l’Homme […] Un drapeau de la Croix-Rouge flottait au-dessus de la ligne de feu, en Terre Sainte ! »

Les années 1990

En 1990, le CICR a largement facilité la conclusion d’un accord entre les parties au conflit au Sri Lanka pour neutraliser l’hôpital de Jaffna. Le CICR a aussi joué un rôle important dans les Balkans. Par exemple, en 1991, les parties au conflit en Croatie ont mandaté le CICR pour libérer des prisonniers et l’ont invité à faire partie d’une commission tripartite.

En 1992, le CICR a ouvert des délégations et des bureaux en Arménie, en Azerbaïdjan et en Géorgie. L’organisation a pu rapidement mettre en place certaines activités comme la récupération de dépouilles mortelles ou la libération simultanée de prisonniers et d’otages.

En 1994, au Mexique, dans la région du Chiapas, le CICR a joué le rôle d’intermédiaire neutre et a facilité le dialogue entre les autorités et l’Armée zapatiste de libération nationale (EZLN).

En 1996-1997, le CICR a joué un rôle important lors de la prise d’otages de l’ambassade du Japon à Lima en apportant son aide et en rétablissant les liens familiaux (9’000 messages Croix-Rouge ont été échangés).

Le CICR, un intermédiaire neutre au XXIe siècle

Sur la base d’informations publiques, de 2010 à 2019, le CICR a agi en tant qu’intermédiaire neutre plusieurs centaines de fois dans 35 contextes à travers le monde. Les exemples qui suivent illustrent la pertinence du CICR dans des contextes hautement politisés, des territoires contestés et d’autres conflits gelés. Il peut agir comme intermédiaire neutre entre des États, des autorités de facto ou des acteurs non étatiques.

Les activités pourraient être divisées entre des celles à long terme, le travail sur les disparus en étant un excellent exemple, et des activités ponctuelles, telles que les rapatriements de civils ou d’otages.

Liens familiaux

De nombreuses activités sont liées à l’Agence centrale de recherches. En 2019, en tant qu’intermédiaire neutre, le CICR a facilité le transfert ou le rapatriement de 1 185 personnes, dont 244 détenus après leur libération, et des dépouilles de 3 032 personnes.

En 2018, le CICR a proposé de servir d’intermédiaire neutre entre l’Érythrée et l’Éthiopie pour les aider à résoudre certains problèmes humanitaires, y compris reconnecter les personnes séparées par le conflit.

Ethiopie. Bus utilisés par le CICR et la Croix-Roue éthiopienne pour faciliter le transport des rapatriés vers leurs familles en Ethiopie. 24/05/2014. ©CICR

Le CICR délivre également des documents officiels tels que des procurations, des certificats de décès, des certificats de naissance, des certificats de mariage et d’autres types de documents sur les lignes de front.

Prisonniers de guerre, détenus et otages

En 2012, le CICR a facilité le transfert en toute sécurité vers les autorités compétentes de personnes libérées par des groupes armés, comme au Mali, au Sénégal et au Soudan. Au cours des dernières années, à la demande de toutes les parties concernées, le CICR a facilité le transfert d’internés civils de l’autre côté de la ligne de contact entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan.

En 2017, le CICR a participé à la libération et au transfert de personnes détenues par les parties au conflit en Ukraine. Il a servi d’intermédiaire neutre dans la libération et le transfert simultanés de quelque 300 personnes détenues dans le cadre du conflit : 223 personnes ont été transférées dans des zones non contrôlées par le gouvernement et 73 dans des zones contrôlées par le gouvernement.

En septembre 2011, 4 ingénieurs turcs enlevés ont été libérés sous les auspices du CICR en Afghanistan.

Personnes disparues et dépouilles mortelles

Le CICR mène des programmes, agit et a récemment agi en tant qu’intermédiaire neutre dans et entre de nombreux pays : Érythrée-Éthiopie, Arménie-Azerbaïdjan, Iran-Irak, Irak-Koweït, Géorgie, Colombie, Kosovo-Serbie, Sahara occidental, Ukraine, Soudan, Argentine-Royaume-Uni, etc.

Il arrive que le CICR remette aux familles les dépouilles mortelles de combattants et de civils. Le CICR a régulièrement participé à la récupération de dépouilles mortelles entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan, en Colombie ou en Afghanistan.

Le CICR joue également le rôle d’intermédiaire neutre entre la Russie et l’Ukraine pour rapatrier régulièrement les dépouilles mortelles des soldats. Cet important travail humanitaire permet aux familles de faire leur deuil et de rendre hommage à leurs proches morts au combat.

Le CICR a aidé à évacuer les personnes blessées lors d’affrontements vers des structures médicales en Colombie. Au cours des dix dernières années, le CICR jouant le rôle d’intermédiaire neutre a permis à de nombreuses personnes de franchir les frontières administratives entre la Géorgie proprement dite et l’Abkhazie et l’Ossétie du Sud, principalement pour se faire soigner.

Zones de sécurité

Le CICR aide parfois à protéger des personnes qui ne participent pas ou plus aux combats. En 2013, lors des violences dans le Djebel Amir, au Soudan, quelque 600 personnes ont trouvé refuge dans une zone de sécurité délimitée par des drapeaux portant l’emblème du CICR, que les porteurs d’armes ont respecté.

Immunité de la mission médicale

En Colombie, les zones rurales reculées ont eu accès aux services de santé après que le CICR a obtenu un passage sûr pour des unités de santé mobiles. Au Sénégal, en 2011, le ministère de la Santé a demandé au CICR d’escorter des agents de santé pour leur permettre d’administrer les vaccins nécessaires (17 133 doses), principalement aux enfants.

En Libye, en 2012, le CICR a facilité le passage en toute sécurité du personnel médical qui soignait des blessés. Les patients et le personnel de l’hôpital se sont vu offrir un passage sûr hors de Bani Walid.

Assistance et autres services

En 2019, en Ukraine, le CICR a acheminé des médicaments et d’autres fournitures pour le traitement de la tuberculose et du VIH/sida vers des établissements de santé dans certaines régions. En 2012, le CICR a facilité l’entrée dans la bande de Gaza de huit camions remplis de médicaments et de produits jetables du ministère de la Santé de Ramallah et de plus de 300 000 litres de carburant pour la centrale électrique de Gaza, ce qui a permis d’assurer la continuité des services hospitaliers.

En 2011, il a livré en première ligne des produits pour traiter les usines qui ont permis d’éviter l’interruption de l’approvisionnement en eau de 3 millions de personnes à Bouaké et Khorogo, en Côte d’Ivoire.

Ukraine, région de Lugansk, en route entre Severodonetsk et Lugansk. Un convoi du CICR apporte des vivres et de l’assistance médicale. ©CICR/ELMAZI

Facilitation des négociations et du processus de paix

En Ouganda, en 2013, avec l’intermédiaire du CICR, des représentants de communautés auparavant en conflit se sont engagés dans un dialogue et ont cultivé ensemble des terres agricoles, ce qui a permis d’apaiser les tensions et de permettre la circulation des personnes en toute sécurité.

Au cours des dernières années, le CICR a contribué aux pourparlers de paix entre le gouvernement, l’Armée de libération nationale (ELN) et la « Fuerza Alternativa Revolucionaria del Común » (FARC). Par exemple, en 2017, il a assuré un passage sûr pour les représentants de l’ELN à destination et en provenance de l’Équateur, où se déroulaient des négociations.

Conclusion

Le CICR a joué le rôle d’intermédiaire neutre dans le monde entier pendant près de 160 ans dans la plupart des conflits armés où il fut ou reste toujours actif. Cette longue et riche histoire confère à l’organisation une expérience et une légitimité uniques.

Ces activités couvrent l’ensemble du mandat et de l’énoncé de mission du CICR. Elles constituent l’un des résultats de sa diplomatie humanitaire. Elles contribuent à la protection et à la dignité des personnes touchées par les conflits armés et autres situations de violence. Elles contribuent également à les assister.

Bien que son rôle entre les États ait toujours été prépondérant, le CICR s’entretient avec de nombreuses parties prenantes et peut servir d’intermédiaire neutre entre différents types d’acteurs.

Surtout, ces activités sont bénéfiques pour de nombreuses catégories de personnes et d’acteurs : les civils, y compris les familles de personnes disparues, les familles séparées ou les otages ; les prisonniers de guerre et les détenus ; le personnel sanitaire et toutes celles et ceux qui ont besoin de soins de santé, y compris les civils blessés, les soldats et les combattants ; etc.

En d’autres termes, demander au CICR d’agir en tant qu’intermédiaire neutre ou d’accepter les services qu’il offre de manière proactive est un accord bénéfique pour toutes les parties concernées.

Les principes humanitaires confèrent au CICR une légitimité et lui permettent de mener des activités concrètes en tant qu’intermédiaire neutre sur le terrain, qui sont significatives et bénéfiques.

Finalement, il ne s’agit pas seulement du passé mais aussi du présent. La nécessité de disposer d’un intermédiaire neutre et de confiance ne disparaîtra pas dans un avenir proche ou lointain, et le CICR continuera de jouer ce rôle singulier dans les situations de conflit et d’après-conflit.

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