Cette contribution est la traduction en français d’un article publié en mars 2022.

Introduction

Les 15 et 16 octobre 2020, onze vols au départ et à destination de cinq aéroports du Yémen et d’Arabie saoudite ont rapatrié plus de 1 000 détenus du conflit yéménite. Après des mois de négociations et un accord durement obtenu entre les parties au conflit, le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) a agi en tant qu’intermédiaire neutre et a organisé ces rapatriements, de la phase initiale de planification, aux vols proprement dits et à leur suivi.

Au cours des dernières décennies, le CICR a facilité la libération de plus de 1 800 personnes détenues par des groupes armés non étatiques en Colombie. Ces dernières années, en Afghanistan, le CICR a joué un rôle essentiel entre les parties au conflit dans la remise des dépouilles des combattants et des civils tombés au combat. En 2016, par exemple, les familles de 1 355 civils et combattants décédés ont pu enterrer leurs proches après que le CICR leur a remis les corps.

En 2016, le CICR a facilité le retour de 21 jeunes femmes enlevées en 2014 à Chibok, au Nigeria. En 2017, il a transporté et remis aux autorités de 82 autres filles. Il a également fourni aux autorités des conseils sur les efforts qu’elles déploient pour réintégrer ces jeunes femmes dans la société. En Azerbaïdjan, entre janvier et juin 2021, grâce à l’engagement de ses collaborateurs à Bakou et à Barda, le CICR a joué un rôle d’intermédiaire neutre dans 182 opérations de recherche et de récupération de dépouilles mortelles.

Yémen. Des personnes précédemment détenues dans le cadre du conflit au Yémen sont rapatriées dans leur région d’origine ou dans leur pays d’origine par le CICR.  15/10/2020. ©ICRC/SAEED, Mubarak. V-P-YE-E-02054

Le CICR est actif dans ce rôle d’intermédiaire neutre depuis plus de 150 ans et ces exemples n’en sont que quelques-uns parmi tant d’autres.

Quand, où et pourquoi le CICR joue-t-il un tel rôle ? Quels sont les types d’activités qui bénéficient de ces initiatives ? À qui est-ce bénéfique ?

Cet article répond à ces questions et met en lumière le rôle du CICR dans une perspective historique et contemporaine. S’appuyant sur la littérature interne et externe existante, la première partie propose un survol de cette riche histoire par le biais de plusieurs exemples pertinents du passé et montre comment le CICR s’est acquitté de son mandat à travers le temps et l’espace. Il met en évidence la variété des situations, des conflits et des questions dans lesquels le CICR a agi en tant qu’intermédiaire neutre à travers ces quelques exemples historiques emblématiques.

Cette contribution porte ensuite sur les dix dernières années (2010-2019). Cet article ne contient donc pas d’informations sur l’action du CICR après 2019. Sur la base des rapports annuels du CICR et d’un examen systématique des contextes dans lesquels le CICR a été actif, une approche thématique permet d’analyser les principales catégories d’activités qui caractérisent l’action du CICR en tant qu’intermédiaire neutre. Nous avons rassemblé toutes les informations pertinentes dans un ensemble de données que le personnel du CICR peut utiliser en interne. Cette deuxième partie se concentre uniquement sur les exemples où le CICR a communiqué publiquement sur son action. Par conséquent, il n’analyse pas de manière exhaustive toutes les activités en tant qu’intermédiaire neutre. Les exemples présentés dans cette section reproduisent parfois textuellement les éléments présents dans les rapports annuels du CICR.

Les deux parties illustrent les activités et l’engagement du CICR au-delà des chiffres et ne proposent pas une vue complète de ce phénomène riche et complexe.

Nigéria. Quelques-unes des 82 « Chibok Girls » relâchées montent à bord d’un avion. 07/05/2017. ©ICRC. https://twitter.com/icrc_africa/status/861162989017329664

Le rôle du CICR en tant qu’intermédiaire neutre est garanti par l’article 5.3 des Statuts du Mouvement international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge : « Le Comité international peut prendre toute initiative humanitaire qui relève de son rôle d’institution et d’intermédiaire spécifiquement neutre et indépendant et peut examiner toute question nécessitant un examen par une telle institution »[1]. Le CICR devient temporairement un intermédiaire spécifiquement neutre et indépendant lorsqu’il agit en tant que partie tierce entre deux ou plusieurs parties en litige, avec leur accord et afin de faciliter la résolution de tout ou partie des aspects du différend et/ou la mise en œuvre d’un accord transactionnel. Il n’a pas toujours été défini comme tel, et cette contribution interrogera rétrospectivement le passé à partir de la définition contemporaine de ce rôle.

De la création du Mouvement à la fin de la Seconde Guerre mondiale

Le rôle d’intermédiaire neutre du CICR est presque aussi ancien que l’organisation elle-même. À sa création, le Comité et ses cinq membres fondateurs ont servi d’intermédiaire entre les États pour ratifier la Convention de Genève de 1864 ou entre les sociétés nationales de la Croix-Rouge pour développer le Mouvement.

Pendant la guerre franco-prussienne de 1870-1871, le CICR crée l’agence de Bâle en vue d’échanger des informations sur les prisonniers de guerre entre les belligérants. Cette agence ne constitue pas seulement la toute première activité de rétablissement du lien familial ; C’est aussi probablement la première fois que le CICR est directement employé comme intermédiaire dans des situations de conflit. Quelques années après cette guerre, Gustave Moynier, deuxième président du CICR, écrit que l’agence de Bâle a rempli son mandat et sert d’intermédiaire entre les belligérants et les pays neutres, assurant une répartition équitable des secours aux soldats blessés des deux camps[2].

Guerre Franco-Prussien de 1870-1871. Peinture de Paul-Emile Boutigny. 1870. ©ICRC. V-P-HIST-E-00403

À cette époque, Henry Dunant a déjà été poussé à la sortie par le CICR et a quitté Genève. Pendant son séjour à Paris, il fait néanmoins la promotion de la Convention de Genève auprès du gouvernement français pendant le siège de Paris. Il reste très actif après la défaite française et pendant la fameuse Commune de Paris, lorsqu’un gouvernement révolutionnaire dirigea la ville du 18 mars au 28 mai 1871. Dunant sert d’intermédiaire entre le gouvernement de Versailles et les généraux des insurgés[3].

Pendant la Première Guerre mondiale, le CICR mène plusieurs activités en tant qu’intermédiaire neutre. Par exemple, il transmet de nombreuses plaintes de belligérants à d’autres personnes concernant des violations présumées de la loi : bombardement d’installations médicales, torpillages de navires-hôpitaux, internement illégal de personnel sanitaire, etc.[4] Il fait usage de son droit d’initiative. Si la proposition du Comité de mettre en œuvre des trêves pour récupérer les corps sur le champ de bataille n’aboutit pas, le CICR et la Suisse convainquent les belligérants de rapatrier les prisonniers gravement malades et blessés et de les interner temporairement en Suisse. Fruit de mois d’âpres négociations entre les Français et les Allemands, avec les Suisses et le CICR comme intermédiaires neutres, les accords de Berne de 1918 constituent l’aboutissement de ces initiatives novatrices[5].

Pendant la guerre italo-éthiopienne, les délégués du CICR jouent le rôle d’interlocuteurs neutres entre les nombreuses Sociétés nationales de la Croix-Rouge opérant en Éthiopie[6]. Le CICR favorise aussi l’évacuation et le rapatriement de civils, dont des milliers d’enfants, pendant la guerre civile espagnole[7]. Il établit même une zone neutralisée à Madrid.

Lorsque la Seconde Guerre mondiale éclate, le CICR mène ou propose de nombreuses activités en tant qu’intermédiaire neutre. Par exemple, Il use de droit d’initiative et propose ses services à tous les belligérants pour rapatrier les prisonniers de guerre blessés et malades ou leur internement dans des pays neutres. En 1941, malgré l’accord entre l’Allemagne et la Grande-Bretagne, les rapatriements de prisonniers par la Manche échouent. À partir de 1942, le rôle du CICR entre la Grande-Bretagne et l’Italie est plus fructueux. Le CICR est actif à la fin du conflit, alors que les « soldats ennemis qui se sont rendus » aux mains des forces américaines attendent leur rapatriement. Le CICR participe également à l’évacuation de civils dans plusieurs contextes, par exemple lors de la famine en Grèce[8]. Finalement, il convient de signaler son rôle d’intermédiaire neutre dans l’approvisionnement des îles anglo-normandes occupées par l’armée allemande[9].

Guerre civile espagnole 1936-1939. Evacuation. 1936-1939. ©ICRC. V-P-HIST-01859-15

La guerre froide

La guerre froide et la polarisation mondiale qu’elle suscite constituent un défi pour le CICR. Accusant l’organisation d’être pro-occidentale, le bloc communiste rejette le rôle du CICR en tant qu’intermédiaire organisation neutre[10]. Par exemple, pendant la guerre de Corée, le CICR ne parvient pas à accéder aux prisonniers de guerre sud-coréens et onusiens détenus par la Corée du Nord. Pendant les hostilités, il ne peut participer aux rapatriements de prisonniers des deux camps qu’en avril et mai 1953[11]. Le CICR échoue également pendant la guerre d’Indochine et la guerre du Vietnam, où il tente en vain d’être reconnu comme un intermédiaire neutre et avoir accès aux prisonniers américains détenus par les autorités nord-vietnamiennes[12]. Lors du conflit sino-indien de 1962-1963, ce rôle est demandé par l’une des parties au conflit, mais refusé par l’autre.

Guerre de Cor.e 1950-1953. Echange de prisonniers blessés et malades. 04/1953. ©ICRC. V-P-KPKR-N-00003-08L’une de des rares actions du CICR en Europe centrale et orientale, en Hongrie en 1956[13], n’implique pas vraiment d’activités d’intermédiaire neutre. Mais de 1960 à 1972, et à la demande de la République fédérale d’Allemagne, le CICR participe comme intermédiaire neutre entre la République fédérale d’Allemagne et les pays qui n’ont pas de relations diplomatiques avec ce pays, dont la Pologne et la Hongrie, pour l’indemnisation financière des victimes d’expériences pseudo-médicales menées par les nazis[14].

Malgré le contexte de la guerre froide, le CICR parvient à obtenir de nombreux succès en lien avec son rôle unique. Par exemple, le CICR est présent durant la guerre d’indépendance d’Indonésie dès 1945, à la demande des Néerlandais et avec le soutien des Indonésiens[15]. En 1946, il sert d’intermédiaire neutre pour l’évacuation de 38’000 civils, principalement des citoyens néerlandais[16]. En 1947, il œuvre de façon similaire dans l’évacuation de milliers de citoyens chinois[17]. Lors du premier conflit indo-pakistanais de 1947, le CICR peut rendre visite aux détenus des deux côtés et servir d’intermédiaire neutre pour les activités « agence » et l’évacuation d’environ 5 000 civils au Cachemire[18]. Ces activités reprennent lors des conflits de 1965 et 1971[19].

La crise des missiles de Cuba d’octobre et novembre 1962 constitue, sans mauvais jeu de mots, l’un des moments les plus chauds de la guerre froide. Beaucoup affirment que le monde n’a jamais été aussi proche d’un conflit nucléaire après que les États-Unis ont découvert que les Soviétiques installaient des bases de lancement de missiles à Cuba. Le président Kennedy impose une « quarantaine » (un blocus naval) pour empêcher d’autres missiles d’atteindre Cuba. Même s’il a prétendu par la suite que la demande émanait de l’ONU, le CICR propose discrètement ses services au secrétaire général de l’ONU, aux États-Unis et à l’URSS pour trouver une solution pacifique. Il propose ainsi que ses délégués inspectent les bateaux soviétiques naviguant depuis et vers les Caraïbes pour s’assurer qu’ils ne transportent pas d’armes[20].

Finalement, les États-Unis et l’URSS parviennent à un accord avant que le CICR ne puisse organiser une telle activité. Néanmoins, même si la crise a finalement été résolue sans l’intervention du CICR, « les superpuissances ont fini par trouver une issue pacifique, mais il n’en reste pas moins que lorsque le monde a cherché un organisme garantissant la neutralité et l’impartialité – en l’occurrence pour inspecter la cargaison des navires – c’est vers le CICR que le monde s’est tourné »[21].

Archive sonore: Organisation du CICR : Intervention durant la crise de Cuba. 07/11/1962. ©ICRC. V-S-10017-A-06

De plus, cette crise déclenche la création d’une nouvelle doctrine à utiliser dans des circonstances similaires. « Il a été convenu que le CICR ne serait prêt à l’avenir à offrir ses bons offices qu’à la condition :

  1. que la paix était menacée par le danger d’une guerre nucléaire ;
  2. que l’Organisation des Nations Unies s’est déclarée incapable d’intervenir ;
  3. que le CICR a été appelé à apporter son soutien à une mission efficace dans le cadre des principes de la Croix-Rouge,
  4. et que toutes les parties concernées ont donné leur accord à l’intervention dans les conditions du CICR »[22].

Yemen. Un délégué du CICR évacue un blessé. 1964. ©ICRC/ROCHAT, André. V-P-YE-N-00103-29

Au Yémen, en 1963-1964, le CICR sert d’intermédiaire neutre entre les différentes parties au conflit, y compris les pays qui les soutiennent, comme l’Égypte et l’Arabie saoudite. Les délégués rendent visite aux détenus des deux camps et contribuent au rapatriement de prisonniers, par exemple de soldats égyptiens détenus en Arabie saoudite[23]. En 1965, le CICR négocie une trêve pour évacuer les blessés entre les parties au conflit non international en République dominicaine. La trêve génère d’autres discussions qui mettront fin au conflit.

République dominicaine. Un délégué du CICR devant une voiture criblée de balles. 1965. ©ICRC. V-P-DO-N-00001-30

Au début de l’année 1979, le CICR joue le rôle d’intermédiaire neutre entre les parties au conflit sino-vietnamien. Il visite les prisonniers de guerre des deux camps et contribue à leur rapatriement[24]. En Irlande du Nord, en 1981, il se dit prêt à jouer le rôle d’intermédiaire humanitaire entre les détenus et les autorités détentrices. Pendant la guerre soviéto-afghane, le CICR et la Confédération suisse servent enfin d’intermédiaires neutres et rendent possible l’internement en Suisse de quelques soldats soviétiques détenus par l’opposition afghane[25].

Vietnam. Libération simultanée de prisonniers sous les auspices de la Croix-Rouge chinoise et vietnamienne, en présence des délégués du CICR.
21/05/1979. ©ICRC/Zenruffinen, F. V-P-VN-N-00099-05

Israel, les territoires occupés, et les pays voisins

Dès mars 1947, le CICR a pour objectif d’établir une délégation dans la région. Agissant en tant qu’intermédiaire neutre, il est essentiel lors de la première guerre israélo-arabe de 1948[26]. Par exemple, il permet le rapatriement de prisonniers blessés ou le transfert de civils tant pendant les hostilités que lors des rapatriements post-conflit en 1949. Le CICR met en outre sous la protection de l’emblème diverses infrastructures médicales et, grâce à son acceptation par les deux parties, protège les convois sanitaires ou l’évacuation des blessés à travers la ligne de front. Le CICR établit également des zones de sécurité, elles-aussi protégées par l’emblème, pour sauver la vie des non-combattants.

Jacques de Reynier, chef des opérations du CICR en Palestine, fait valoir que l’action du CICR a directement sauvé la vie de 15 000 personnes et a probablement indirectement sauvé deux fois plus de personnes[27] De Reynier a fait un récit émouvant de son expérience en tant qu’intermédiaire neutre sur la ligne de front:

« Il n’est pas aussi agréable qu’on le croit de sortir dans la rue, tout seul, à pied, avec un brassard Croix-Rouge, et souvent un drapeau à la main, quand les balles sifflent autour de vous, et que vous pourriez vous promener tranquillement en blindé. […] Après quelques passages de lignes réussis, en général aux mêmes heures et par les mêmes rues, on finit par être connu des soldats et il suffit d’un petit signe de tête, d’une apostrophe, d’un mot drôle pour se faire reconnaître et passer sans recevoir de balle. On peut alors se risquer à faire passer un camarade, puis un convoi, et ainsi on finit par circuler, un peu dangereusement, il est vrai, mais enfin on circule. Plus tard, nous avons eu une, puis plusieurs voitures, peintes entièrement en blanc, avec Croix-Rouge sur toutes les faces, y compris le toit. Un grand drapeau Croix-Rouge flottait à une hampe fixée juste devant la portière avant, dépassant entièrement la carrosserie de la voiture. Il était visible de loin, même à contre-jour. De nuit, il était éclairé par une lampe spéciale fixée sur le toit. […] On roule très lentement, on klaxonne souvent, pour attirer l’attention et ne pas donner l’impression d’un voyage clandestin ou de surprise »[28].

Durant les conflits qui marquent la région par après, le CICR continue à jouer un rôle d’intermédiaire récurrent, bien que difficile, entre Israël et les pays arabes. Lors de la crise de Suez (1956-1957), le CICR organise le rapatriement des soldats égyptiens blessés en novembre 1956 et, en 1957, le rapatriement des prisonniers aux mains des Israéliens et des Égyptiens. En 1967, à la suite de la guerre des Six Jours, le CICR rapatrie 5 500 prisonniers de guerre et 1 000 civils. À la fin de la guerre israélo-arabe de 1973, 9 000 prisonniers sont rapatriés sous ses auspices. Lors de l’intervention israélienne au Liban (1982-1985), le CICR rapatrie des groupes de prisonniers libérés. Il sert enfin d’intermédiaire neutre pour le retour des dépouilles mortelles en 1967 et 1973.

Golan. Échange et rapatriement de prisonniers de guerre entre la Syrie et Israël. ©ICRC/Benz, Jörg. V-P-ILAA-D-00020-14

Le CICR a joué et continue de jouer un rôle essentiel en tant qu’intermédiaire neutre pour rétablir les liens familiaux dans la région, par exemple en transférant des messages Croix-Rouge au-delà des lignes de démarcation, en transférant des personnes pour des raisons humanitaires, y compris pour le rétablissement du lien familial (les mariages dans le Golan occupé en sont les exemples les plus célèbres). La plupart de ces activités se poursuivent aujourd’hui.

Finalement, le CICR est intervenu à plusieurs reprises lors de prises d’otages et de détournements d’avions. Parmi plusieurs exemples, le CICR accepte d’agir en tant qu’intermédiaire neutre entre un commando palestinien et les autorités israéliennes à la suite du détournement d’un avion de la Sabena de Vienne à Tel-Aviv, jusqu’à l’intervention inattendue des forces spéciales israéliennes. Ces événements conduisent d’ailleurs à l’établissement d’une doctrine relative aux prises d’otages[29]. Le CICR a joué un rôle crucial en Israël et dans les territoires occupés au cours des dernières décennies. Malgré tous les défis auxquels ont été confrontées des générations de déléguées et délégués, comme le rappelle Jacques de Reynier :

« Au milieu de passions si diverses et si contradictoires, le Drapeau Croix-Rouge fut le seul qui ait pu unir tous les combattants dans une même pensée charitable. Ceci suffirait à prouver que tout idéal n’a pas abandonné l’homme, et que, dans les pires moments, on ne fait pas appel en vain à son cœur […] Un drapeau Croix-Rouge flottait sur la ligne de feu, en Terre sainte ! »[30]

Les guerres Iran-Irak et Irak-Koweït

Le rôle du CICR pendant la guerre Iran-Irak (1980-1988) est déjà relativement bien connu[31]. Parmi de nombreuses autres activités, il intervient comme intermédiaire neutre. À la fin du conflit, moins de 1 000 prisonniers iraniens et 1 343 prisonniers irakiens avaient été rapatriés. Les principaux rapatriements ont surtout lieu deux ans après la fin des hostilités. Ainsi, du 17 août au 17 septembre 1990, le CICR permet le rapatriement de plus de 75 000 prisonniers (37 861 Iraniens et 40 960 Irakiens). Plus de 4 000 autres sont rapatriés fin 1990 et en 1991. Les opérations de rapatriement se poursuivent ensuite jusqu’au début des années 2000. Des opérations similaires aussi lieu à la fin de la guerre Irak-Koweït, avec le rapatriement de 70 000 Irakiens et 6 000 Koweïtiens en moins de deux mois.

De plus, le travail sur les personnes disparues permet au CICR d’agir en tant qu’intermédiaire neutre entre ces différents États. Une première commission tripartite pour le conflit entre l’Irak et le Koweït est créée en 1993. En 2008, après des années de discussions, le CICR, l’Iran et l’Irak signent un accord pour la création d’une commission tripartite sur le conflit de 1980-1988[32]. Ces activités se poursuivent et sont toujours systématiquement mentionnées dans les rapports annuels du CICR.

Les années 90

La dernière décennie du vingtième siècle permet d’illustrer l’engagement global du CICR en sa qualité d’intermédiaire neutre. Cela commence en 1990, lorsque le CICR facilite la conclusion et la mise en œuvre d’un accord entre les parties au conflit au Sri Lanka pour neutraliser l’hôpital de Jaffna[33].

La région des Balkans a malheureusement dû surmonter plusieurs conflits armés tout au long des années quatre-vingt-dix. Le CICR y joue un rôle important, notamment en tant qu’intermédiaire neutre. Par exemple, en 1991, les parties au conflit en Croatie mandatent le CICR pour libérer les prisonniers et l’invitent à participer à la commission tripartite. Fin 1991, le CICR convainc les parties au conflit serbo-croate de neutraliser sous ses auspices l’hôpital d’Osijek. Cet accord est prolongé en avril 1992, même si des incidents émaillent sa mise en œuvre[34]. Le CICR est également mentionné dans l’accord de Dayton concernant le travail sur les personnes disparues.

Sri Lanka. Jaffna. Évacuation médicale vers l’hôpital de Jaffna. 01/1991. ©ICRC/PIZER, Thomas. V-P-LK-D-00014-02

Croatia. Osijek. Hôpital neutralisé par le CICR, mais non respecté. 03/1992. ©ICRC/PIZER, Thomas. V-P-HR-D-00005-18

En 1992, le CICR ouvre des délégations et des bureaux en Arménie, en Azerbaïdjan et en Géorgie. Dans les années qui suivent, alors qu’il est initialement difficile de faire comprendre la neutralité du CICR, l’institution peut rapidement mettre en place certaines activités en tant qu’intermédiaire, par exemple pour la récupération de dépouilles mortelles ou la libération simultanée de prisonniers et d’otages[35]. Certaines de ces activités sont toujours menées par le CICR dans ces pays.

En 1994, au Mexique, dans la région du Chiapas, le CICR joue le rôle d’intermédiaire neutre en facilitant le dialogue entre les autorités et l’Armée zapatiste de libération nationale (EZLN), par exemple en transportant les délégués de l’EZLN sur le lieu de négociation[36].

En 1996, le CICR a mené une importance action lors de la prise d’otages de l’ambassade du Japon à Lima (décembre 1996-avril 1997). Il assiste les otages, contribue au rétablissement des liens familiaux (9 000 messages Croix-Rouge sont échangés) et finit par jouer un rôle central dans les négociations entre les preneurs d’otages et les autorités[37].

Peru. Lima. Annonce de la libération des otages. 01/1997. ©ICRC/RUGGERI, Andrea. V-P-PE-D-00006-22

En 1996 toujours, au Timor oriental, à la suite d’affrontements, des délégués du CICR se rendent sur les lieux et agissent comme intermédiaires neutres entre les autorités et les civils[38]. À la demande du gouvernement sierra-léonais et du Front révolutionnaire uni, le CICR transporte sous la protection de l’emblème de la Croix-Rouge des représentants engagés dans les négociations de paix en cours en Côte d’Ivoire[39]. Les activités actuelles ou récentes du CICR en Colombie en tant qu’intermédiaire neutre ont commencé dans les années quatre-vingt-dix. L’organisation contribue à la libération de prisonniers ou d’otages et a facilité le dialogue et les négociations de paix[40].

En Afghanistan, en novembre 1996, à la demande des parties au conflit, le CICR agit comme intermédiaire neutre entre les Talibans et les forces du commandant Massoud en rapatriant les dépouilles mortelles de plusieurs dizaines de combattants tombés au combat[41]. En 1999, à la suite de pourparlers entre les parties au conflit et à leur demande, le CICR contribue à la libération simultanée de détenus des deux camps.

Le CICR, un intermédiaire neuter au 21e siècle

Données principales

Les rapports annuels du CICR de 2010 à 2019 contiennent 283 occurrences individuelles d’activités intermédiaires neutres. Il faut garder à l’esprit que ces chiffres ne reflètent pas la réalité. Premièrement, ils ne mentionnent que les activités reconnues publiquement. Deuxièmement, les choix éditoriaux ne sont pas toujours cohérents. Par exemple, le travail mené par le CICR pour les disparus de la guerre des Malouines n’est apparu qu’une seule fois au cours des dix dernières années. Cependant, il s’agit d’une activité prolongée et continue. Parallèlement, des travaux similaires liés au personnes disparues lors des guerres Iran-Irak et Irak-Koweït sont mentionnés chaque année. Par conséquent, les chiffres suivants ne sont pas exhaustifs. Néanmoins, bien qu’incomplets, les rapports annuels permettent de comprendre comment le CICR agit en tant qu’intermédiaire neutre dans les conflits armés et autres situations de violence contemporains.

Certains contextes apparaissent chaque année. Ces événements sont liés soit à des conflits et des crises prolongés, soit à des activités liées à des conflits armés passés. Par exemple, le rôle du CICR en tant qu’intermédiaire neutre entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan, en Géorgie, en Colombie, Israël et les territoires occupés ou en Irak est systématiquement mentionné dans les rapports annuels. Parallèlement, les données montrent que le CICR peut parfois jouer le rôle d’intermédiaire neutre peu de temps après le déclenchement d’un conflit. Cela s’est produit au début des conflits au Yémen, en Libye et, dans une certaine mesure, en Syrie en 2011, en Ukraine en 2014, etc. Ces cas illustrent la capacité du CICR à dialoguer rapidement avec les parties à un conflit armé.

République centrafricaine. Signature de certificats entre le CICR et la Séléka pour la libération de 7 membres de l’armée centrafricaine. 26/01/2013. ©ICRC/BEKOUROU, Romaric. V-P-CF-E-00712

Selon les rapports annuels, de 2010 à 2019, le CICR a agi en tant qu’intermédiaire neutre dans 35 contextes à travers le monde.

Au cours de ces dix années, le CICR a agi comme intermédiaire neutre entre deux États dans 133 cas. Ce chiffre est légèrement plus élevé lorsqu’il agit entre un acteur étatique et un acteur non-étatique, avec 144 occurrences. Nous n’avons trouvé que deux exemples où seuls des acteurs non-étatiques sont impliqués, tandis que 4 occurrences ne sont pas définies ou impliquent plusieurs types d’acteurs.

Alors que la plupart des conflits armés contemporains ne sont pas internationaux, de nombreuses activités entre États peuvent sembler surprenantes. Certaines activités à long terme, telles que le travail sur les personnes disparues, s’inscrivent dans la continuité des conflits armés passés. Elles illustrent la pertinence du CICR dans des contextes hautement politisés, des territoires contestés et autres conflits gelés. Le CICR peut agir comme intermédiaire neutre entre des États, des autorités de facto ou des acteurs non-étatiques dans des territoires occupés.

Les rapports annuels n’indiquent pas toujours l’origine de l’engagement du CICR, en particulier lorsque les activités ont lieu chaque année, et nous n’avons pas vérifié systématiquement a posteriori les informations contenues dans les archives du CICR. Néanmoins, il est certain que dans 44 cas, le CICR a fait usage de son droit d’initiative et proposé ses services aux parties à un conflit. Dans 37 cas, les demandes émanent directement des parties au conflit. Nous avons finalement trouvé un exemple où la demande provenait de tiers.

Morocco. Agadir. Rapatriement de 243 prisonniers marocains libérés par le Front Polisario. 01/09/2003. ©ICRC/GASSMANN, Thierry. V-P-DZ-E-00047

 

Types d’activités

Les activités pourraient être divisées entre celles à long terme, le travail sur les disparus en constituant un excellent exemple, et celles plus ponctuelles, par exemple les rapatriements de civils ou d’otages. Les catégories suivantes se chevauchent parfois et leur démarcation peut être floue. Nous les utilisons dans un souci de simplicité tout en étant pleinement conscients qu’ils sont trop rigides et artificiels.

Activités pour lesquelles le CICR agit le plus en tant qu’intermédiaire neutre. Source : Rapports annuels du CICR.

Rétablissement des liens familiaux

Bon nombre de ces événements s’inscrivent dans le cadre général des activités menées par l’Agence centrale de recherches. En 2016, au niveau global, le CICR facilite le transfert ou le rapatriement de 1 525 personnes, dont 63 détenus après leur libération, et les dépouilles de 2 059 personnes. En 2018, Il facilite le transfert ou le rapatriement de 1 098 personnes, dont 219 détenus après leur libération, et les dépouilles de 2 249 personnes. En 2019, en tant qu’intermédiaire neutre, le CICR facil9ite le transfert ou le rapatriement de 1 185 personnes, dont 244 détenus après leur libération, et des dépouilles de 3 032 personnes.

En 2018, le CICR propose de servir comme intermédiaire neutre entre l’Érythrée et l’Éthiopie pour aider ces pays à résoudre les problèmes humanitaires liés au conflit passé. Après la réouverture de la frontière entre l’Érythrée et l’Éthiopie en septembre, le CICR intensifie ses activités pour retrouver et reconnecter les personnes séparées par le conflit, car beaucoup d’entre elles n’avaient pas la capacité et/ou les informations nécessaires pour rétablir le contact avec leurs proches.

L’accompagnement peut également être administratif. Le CICR délivre des documents officiels tels que des procurations, des certificats de naissance, des certificats de décès, des certificats de mariage et d’autres types de documents à travers les lignes de front. En 2018, Il délivre des documents administratifs à 1 136 personnes et des documents de voyage à 1 372 personnes, leur permettant de retourner dans leur pays d’origine ou de s’installer dans un pays d’accueil.

En 2016, le CICR transmet 927 documents officiels de différents types entre des membres de familles au-delà des lignes de démarcation et des lignes de front, par exemple en Géorgie ou en Israël et dans les territoires occupés. En raison des frontières, des lignes de front et des restrictions de mouvement, les gens utilisent le CICR comme intermédiaire neutre pour échanger des nouvelles par messages Croix-Rouge, retrouver des membres de leur famille, transférer des documents et voyager entre le Golan occupé et la République arabe syrienne, ou entre le Liban et Israël.

Ethiopia. Bus utilisés par le CICR et la Croix-Rouge éthiopienne facilitent le transport des rapatriés vers leurs familles en Éthiopie. 24/05/2014. ©ICRC. V-P-ET-E-00209

Prisonniers de guerre et détenus

Les libérations et les échanges de détenus ou d’otages constituent un phénomène global où le CICR est actif avec beaucoup d’engagement. Par exemple, en 2012, il facilite le transfert en toute sécurité vers les autorités compétentes de personnes libérées par des groupes armés, comme au Mali, au Sénégal et au Soudan. Au cours des dernières années, à la demande de toutes les parties concernées, le CICR a facilité le transfert des internés civils de l’autre côté de la ligne de contact entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan. Avec l’accord de toutes les parties, il a également facilité la libération et la remise aux autorités compétentes des personnes détenues par des groupes armés en République démocratique du Congo.

En 2017, le CICR a participé à la libération et au transfert de personnes détenues par les parties au conflit en Ukraine. Il a servi d’intermédiaire neutre dans la libération et le transfert simultanés de quelque 300 personnes détenues dans le cadre du conflit : 223 personnes ont été transférées dans des zones non contrôlées par le gouvernement et 73 dans des zones contrôlées par le gouvernement. Enfin, le CICR intervient régulièrement au Yémen, les vastes rapatriements de 2020 en étant l’exemple le plus emblématique.

Les versions intégrales de ces films sont disponibles sur le portail des archives audiovisuelles du CICRs: V-F-CR-F-00026V-F-CR-H-00188; V-F-CR-F-00650-A; V-F-CR-F-03038-B.

Prises d’otages

Même si nous n’avons trouvé que peu d’exemples concrets où des otages ont été libérés avec la participation du CICR, le chiffre réel est probablement beaucoup plus élevé. La plupart du temps, les rapports annuels ne font pas la distinction entre cette activité spécifique et d’autres activités liées plus largement à la détention. Tous les exemples n’ont par ailleurs pas nécessairement été mentionné publiquement.

Par exemple, en septembre 2011, 4 ingénieurs turcs enlevés ont été libérés sous les auspices du CICR en Afghanistan. Le CICR a également souvent contribué à la libération d’otages en Colombie.

Personnes disparues et dépouilles mortelles

Historiquement, la Croix-Rouge et le Mouvement de la Croix-Rouge ont aidé à récupérer les soldats morts sur le champ de bataille depuis des décennies. Au cours des dernières décennies, le CICR a joué un rôle de plus en plus important dans l’élucidation du sort des personnes disparues et dans la prise en charge des besoins de leurs proches.

Aujourd’hui, le CICR mène des programmes, agit et a récemment agi en tant qu’intermédiaire neutre dans et entre de nombreux pays : Érythrée-Éthiopie, Arménie-Azerbaïdjan, Iran-Irak, Irak-Koweït, Géorgie, Colombie, Kosovo-Serbie, Sahara occidental, Ukraine, Soudan, Argentine-Royaume-Uni, etc. En sa qualité d’intermédiaire neutre, le CICR a encouragé à plusieurs reprises les autorités marocaines et le Front Polisario à faire la lumière sur le sort des personnes portées disparues à la suite du conflit du Sahara occidental de 1975-1991.

En tant qu’intermédiaire neutre entre le Kosovo et la Serbie, le CICR préside le Groupe de travail sur les personnes disparues et son sous-groupe de travail sur les questions médico-légales. Il a une respponsabilité similaire dans les comités tripartites mis en place à la suite des guerres Iran-Irak et Irak-Koweït. En 2018, des fouilles menées conjointement par des experts iraniens et irakiens, avec le soutien du CICR, ont permis de récupérer et de rapatrier les dépouilles de 461 personnes : 383 aux autorités iraniennes et 78 aux autorités irakiennes.

Il arrive aussi que le CICR remette aux familles les dépouilles mortelles de combattants et de civils qui n’ont pas disparu. En 2017, les autorités israéliennes, à la suite des représentations du CICR, ont restitué à leurs familles les dépouilles de certains Palestiniens qui auraient été tués lors d’attaques contre des Israéliens. Le CICR a régulièrement participé à la récupération de dépouilles mortelles entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan, en Afghanistan ou en Colombie.

Evacuations et rapatriements de civils

Les évacuations de civils ou de blessés constituent une autre catégorie essentielle pour laquelle le CICR a été actif en tant qu’intermédiaire neutre. Le CICR a aidé à évacuer les personnes blessées lors d’affrontements vers des structures médicales en Colombie. Au cours des dix dernières années, le CICR a permis à de nombreuses personnes de franchir les frontières administratives entre la Géorgie proprement dite et l’Abkhazie et l’Ossétie du Sud, principalement pour se faire soigner.

En 2010, le CICR a également facilité l’évacuation de huit cas médicaux d’urgence du Golan occupé vers Damas et de neuf cas humanitaires de Damas vers le Golan occupé. Ces dernières années, le CICR a aidé des personnes à faire face aux restrictions de circulation entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan. Des centaines de personnes ont reçu des soins médicaux ou ont retrouvé des proches de l’autre côté des frontières administratives.

Zones de sécurité

En tant qu’intermédiaire neutre, le CICR contribue parfois à la protection des personnes qui ne participent pas ou plus aux combats. En 2013, lors des violences à Jebel Amir, au Soudan, quelque 600 personnes ont trouvé refuge dans une zone de sécurité délimitée par des drapeaux portant le logo du CICR, que les porteurs d’armes respectaient.

Immunité de la mission médicale

En Colombie, à plusieurs reprises au cours de la dernière décennie, des zones rurales reculées ont eu accès à des services de santé après que le CICR, en tant qu’intermédiaire neutre, a obtenu un passage sécurisé pour les unités de santé mobiles gérées par le ministère de la Santé (si nécessaire accompagné par le CICR), ou par le personnel du CICR lorsque la sécurité des agents de santé nationaux ne pouvait être garantie. Au Sénégal, en 2011, où l’insécurité a restreint les déplacements, le ministère de la Santé a demandé au CICR, en tant qu’intermédiaire neutre, d’escorter les agents de santé, leur permettant d’administrer les vaccins nécessaires (17 133 doses), principalement aux enfants.

Lorsque cela s’avérait nécessaire, le CICR jouait le rôle d’intermédiaire neutre entre les parties au conflit en Israël et dans les territoires occupés, principalement pour faciliter la circulation des agents de santé. En Libye, en 2012, le CICR a facilité le passage en toute sécurité du personnel médical qui soignait les blessés. Les patients et le personnel de l’hôpital se sont vu offrir un passage sûr hors de Bani Walid. À terme, le CICR s’efforce de faire en sorte que les porteurs d’armes n’occupent pas les établissements de santé en Afghanistan.

Assistance et autres services

Les activités d’assistance sont en quelque sorte liées à la section précédente sur les questions de santé. En 2019, en Ukraine, et en coordination avec ses partenaires et les parties concernées, le CICR a acheminé des médicaments et d’autres fournitures pour le traitement de la tuberculose et du VIH/sida vers des établissements de santé dans certaines régions ; Environ 16 600 personnes en ont bénéficié. En Colombie, il a facilité l’accès aux services de soins de santé et leur prestation à plusieurs reprises. En 2012, le CICR a facilité l’entrée dans la bande de Gaza de huit camions remplis de médicaments et de produits jetables du ministère de la Santé de Ramallah et de plus de 300 000 litres de carburant pour la centrale électrique de Gaza, ce qui a permis d’assurer la continuité des services hospitaliers.

Le CICR intervient également en tant qu’intermédiaire neutre pour fournir d’autres services ou assistances. En 2011, elle a livré en première ligne des produits de traitement des usines qui ont permis d’éviter l’interruption de l’approvisionnement en eau de 3 millions de personnes à Bouaké et Khorogo, en Côte d’Ivoire.

Ukraine. Sur la route entre Severodonetsk et Lougansk. Un convoi du CICR apporte de la nourriture et de l’aide médicale. 19/09/2014. ©ICRC/ELMAZI, Herbi. V-P-UA-E-00119

Facilitation de négociations générales et soutien à des processus de paix

Finalement, il arrive que, grâce à son statut et à son acceptation par les parties à un conflit, le CICR puisse apporter son soutien aux négociations entre les belligérants ou même aux processus de paix. En Ouganda, en 2013, avec l’intermédiaire du CICR, des représentants de communautés auparavant en conflit se sont engagés dans un dialogue et ont cultivé ensemble des terres agricoles, ce qui a permis d’apaiser les tensions et de permettre aux personnes de circuler en toute sécurité. En Afghanistan, elle a également utilisé ses contacts et sa crédibilité pour faciliter le travail d’autres organisations à des fins purement humanitaires, telles que les ONG médicales, à plusieurs reprises.

Ces négociations visent parfois à parvenir à la paix entre les parties à un conflit. La Colombie en est un excellent exemple. Au cours des dernières années, le CICR a contribué aux pourparlers de paix entre le gouvernement et l’Armée de libération nationale (ELN), ou entre le gouvernement et la Fuerza Alternativa Revolucionaria del Común (FARC). Par exemple, en 2017, il a assuré un passage sûr pour les représentants de l’ELN à destination et en provenance de l’Équateur, où des négociations étaient en cours.

En menant d’autres activités, par exemple celles liées à la recherche de personnes disparues, le CICR a soutenu la mise en œuvre de l’accord de paix de 2016 entre le gouvernement et le successeur politique des FARC, la Fuerza Alternativa Revolucionaria del Común.

Conclusion

Depuis plus de 150 ans, le CICR joue le rôle d’intermédiaire neutre dans le monde entier dans la plupart des conflits où il a été ou est toujours actif. Cette longue et riche histoire confère à l’organisation une expérience et une légitimité uniques.

Ces activités couvrent l’ensemble du mandat et de l’énoncé de mission du CICR. Ils constituent l’un des résultats tangibles de sa diplomatie humanitaire. Ils contribuent à la protection et à la dignité des personnes touchées par les conflits armés et autres situations de violence. Ils contribuent également à les assister.

Le CICR peut agir en tant qu’intermédiaire neutre grâce au mandat que lui confère le droit international humanitaire et à ses principes fondamentaux, notamment l’impartialité, la neutralité et l’indépendance.

Bien que son rôle entre les États ait toujours été prépondérant, le CICR s’entretient avec de nombreuses parties prenantes et peut servir d’intermédiaire neutre entre différents types d’acteurs.

Il n’y a pas de « bonnes » ou de « mauvaises » parties prenantes et le CICR parle à tout le monde ; Mais il ne peut agir qu’avec l’accord de toutes les parties concernées.

Surtout, ces activités sont bénéfiques pour de nombreuses catégories de personnes et d’acteurs : les civils, y compris les familles de personnes disparues, les familles séparées ou les otages ; les prisonniers de guerre et les détenus ; le personnel sanitaire ; par conséquent, tous ceux qui ont besoin de soins de santé, y compris les civils blessés, les soldats et les combattants ; etc.

En d’autres termes, demander au CICR d’agir en tant qu’intermédiaire neutre ou d’accepter les services qu’il offre de manière proactive est un accord gagnant-gagnant pour toutes les parties concernées.

Une réflexion et des débats sur l’origine, l’évolution et l’interprétation des principes fondamentaux, y compris la neutralité et l’impartialité, sont nécessaires. Les nombreux exemples cités dans cette contribution montrent qu’au-delà du débat académique et de la critique, neutralité et impartialité ne sont pas des mots vides ou purement conceptuels déconnectés de la réalité du terrain.

Ils donnent au CICR une légitimité et permettent à l’organisation de s’engager dans des activités concrètes en tant qu’intermédiaire neutre sur le terrain, qui sont significatives et bénéfiques.

Finalement, il ne s’agit pas seulement du passé et du présent. La nécessité d’un intermédiaire neutre et de confiance ne disparaîtra pas dans un avenir proche ou lointain, et le CICR continuera d’assumer ce rôle dans les situations de conflit et d’après-conflit.

 

[1] STATUTS DU MOUVEMENT INTERNATIONAL DE LA CROIX-ROUGE ET DU CROISSANT-ROUGE (adoptés par la XXVe Conférence internationale de la Croix-Rouge à Genève en 1986 et amendés en 1995 et 2006), article 5.3 https://www.icrc.org/fr/doc/assets/files/other/statutes-fr-a5.pdf

[2] Gustave Moynier, « Les dix premières années de la Croix-Rouge », Bulletin international des sociétés de secours aux militaires blessés, n°16, 1873, p. 228-229.

[3] Henry Dunant, Mémoires, Lausanne, 1971, chapitres 26 à 32 ; Bernard Gagnebin, « Le Rôle d’Henry Dunant pendant la guerre de 1870 et le siège de Paris », Revue internationale de la Croix-Rouge, n°412, 1953, https://international-review.icrc.org/sites/default/files/S102688120015860Xa.pdf ; Henri Guillemin, « Henri Dunant, la guerre et la Commun », La Nef : revue mensuelle illustrée, n°8, 1957, p. 68-74. Voir également : Frédéric Joli, « La Croix-Rouge présente dans le premier photo-reportage de l’histoire ? », L’humanitaire dans tous ses Etats, 31 août 2020, https://blogs.icrc.org/hdtse/2020/08/31/la-croix-rouge-presente-dans-le-premier-photo-reportage-de-l-histoire/

[4] Cédric Cotter, (s’)Aider pour survivre. Action humanitaire et neutralité suisse pendant la Première Guerre mondiale, Genève, 2017, p. 47 sq.

[5] Cédric Cotter, “The 1918 Bern Agreements: repatriating prisoners in a total war”, International Law & Policy Blog, 29 March 2018, https://blogs.icrc.org/law-and-policy/2018/03/29/1918-bern-agreements-repatriating-prisoners-of-war/

[6] Aline Zuber, “The cross in the crosshairs. A photographic record of the bombing of Red Cross field hospitals during the Second Italo-Ethiopian war” Cross-Files, 4 janvier 2020, https://blogs.icrc.org/cross-files/the-cross-in-the-crosshairs-a-photographic-record-of-the-bombing-of-red-cross-field-hospitals-during-the-second-italo-ethiopian-war/

[7] Damian Gonzalez, « Le CICR et les évacuations d’enfants pendant la guerre d’Espagne », Cross-Files, 11 décembre 2020, https://blogs.icrc.org/cross-files/fr/le-cicr-et-les-evacuations-d-enfants-pendant-la-guerre-d-espagne/ Damian Gonzalez, « La Guerre d’Espagne (1936-1939): déploiement et action du CICR en images », Cross-Files, 1 avril 2019, https://blogs.icrc.org/cross-files/fr/la-guerre-d-espagne-1936-1939-deploiement-et-action-du-cicr-en-images/ 

[8] CICR, Rapport du Comité international de la Croix-Rouge sur son activité pendant la Seconde Guerre mondiale (1er septembre 1939 – 30 juin 1947, vol. 1, Genève, 1948, p. 385 sq.

[9] Frédéric Joli, « Hiver 1944 : l’étonnante histoire du navire Vega et du ravitaillement des îles de Jersey et Guernesey », L’humanitaire dans tous ses Etats, 14 janvier 2022, https://blogs.icrc.org/hdtse/2022/01/14/hiver-1944-la-noria-du-vega-vapeur-humanitaire-du-cicr/

[10] François Bugnion, « De la fin de la Seconde Guerre mondiale à l’aube du troisième millénaire : L’action du Comité international de la Croix-Rouge sous l’empire de la guerre froide et de ses suites : 1945-1955 », Revue internationale de la Croix-Rouge, n°812, 1995, https://international-review.icrc.org/sites/default/files/S0035336100092790a.pdf

[11] Catherine Rey-Schyrr, De Yalta à Dien Bien Phu. Histoire du Comité international de la Croix-Rouge 1945-1955, Genève, 2007, p. 560-567.

[12] Audrey Gros, Cormac Shine, ICRC negotiations with North Vietnamese authorities regarding access to American POWs during the Vietnam War, 1965-1970, 2016.

[13] Isabelle Vonèche Cardia, L’octobre hongrois : entre croix rouge et drapeau rouge : l’action du Comité international de la Croix-Rouge en 1956, Bruxelles, 1996.

[14] Françoise Perret, François Bugnion, De Budapest à Saigon. Histoire du Comité international de la Croix-Rouge 1956-1965, p. 161-170.

[15] Boyd van Dijk, “Internationalizing colonial war: on the unintended consequences of the interventions of the International Committee of the Red Cross in South-East Asia, 1945-1949”, Past & Present, vol. 250, n°1, p. 243-283.

[16] Catherine Rey-Schyrr, De Yalta à Dien Bien Phu, p. 343.

[17] Ibid., p. 348-349.

[18] Catherine Rey-Schyrr, « Les activités du Comité international de la Croix-Rouge dans le sous-continent indien à la suite de la partition (1947-1949) », Revue internationale de la Croix-Rouge, n°830, 1998, https://international-review.icrc.org/sites/default/files/S0035336100056975a.pdf ; Catherine Rey-Schyrr, De Yalta à Dien Bien Phu, p. 405 sq.

[19] François Bugnion, « De la fin de la Seconde Guerre mondiale à l’aube du troisième millénaire », op. cit.

[20] Thomas Fischer, Die guten Dienste des IKRK und der Schweiz in der Kuba-Krise 1962, Zurich, 2000 ;  Thomas Fischer, “The ICRC and the 1962 Cuban missile crisis”, International Review of the Red Cross, n°842, 2001, https://www.icrc.org/en/doc/assets/files/other/287-310_fischer.pdfFrançoise Perret, François Bugnion, De Budapest à Saigon, p. 473-502.

[21] Françoise Perret, François Bugnion De Budapest à Saigon, p. 441.

[22] Thomas Fischer, “The ICRC and the 1962 Cuban missile crisis”, op. cit.

[23] Françoise Perret, « L’action du CICR au Yémen (1962-1970) », Relations internationales, n°105, 2001, p. 77-90.

[24] François Bugnion, « De la fin de la Seconde Guerre mondiale à l’aube du troisième millénaire », op. cit.

[25] Liliane Stadler, Between neutrality and solidarity: Swiss good offices in Afghanistan from 1979 to 1992, Oxford, 2021, https://ora.ox.ac.uk/objects/uuid:2b749f6c-13ff-48bc-8c39-1d16f4041335

[26] Les informations de cette section viennent des sources suivantes: Jacques de Reynier, 1948 à Jérusalem, Genève, 2002 (1950), p. 142: Catherine Rey-Schyrr, De Yalta à Dien Bien Phu,  p. 429-515 ; Françoise Perret, François Bugnion, De Budapest à Saigon, p. 85-104 ; Jean-Luc Blondel, De Saigon à Hô Chi Minh-Ville. Action et transformations du CICR 1966-1975, Genève, 2015, https://www.icrc.org/fr/publication/de-saigon-ho-chi-minh-ville ; Daniel Palmieri, « Le doigt dans l’engrenage : le CICR, Israël et les Territoires occupés, 1967-1975 », Revue suisse d’histoire, vol. 67, n°3, 2017, https://www.e-periodica.ch/digbib/view?pid=szg-006%3A2017%3A67%3A%3A333#475

[27] Jacques de Reynier, 1948 à Jérusalem, p. 142.

[28] Ibid., p. 41-42.

[29] Jean-Luc Blondel, De Saigon à Hô Chi Minh-Ville, p. 62-63.

[30] Jacques de Reynier, 1948 à Jérusalem, p. 144-145.

[31] Les informations dans cette sections viennent des sources suivantes : Daniel Palmieri, , “Crossing the desert : the ICRC in Iraq : analysis of a humanitarian operation”, International Review of the Red Cross, n°869, 2008, https://library.icrc.org/library/docs/DOC/irrc-869-palmieri.pdf; Angelo Gnaedinger, « Le rôle du CICR dans le conflit du Golfe: potentiel et limites de la médiation humanitaire », Moyen-Orient : migrations, démocratisations, médiations, Paris, 1994 ; Christophe Girod, Tempête sur le désert : le Comité international de la Croix-Rouge et la guerre du Golfe 1990-1991, Bruxelles, 1994.

[32] Pour plus d’informations, voir : https://ihl-in-action.icrc.org/case-study/iraniraq-cooperation-search-and-repatriation-mortal-remains-after-iran-iraq-war-1980

[33] Pour plus d’informations, voir : https://casebook.icrc.org/case-study/sri-lanka-jaffna-hospital-zone

[34] Pour plus d’informations, voir : https://ihl-databases.icrc.org/customary-ihl/eng/docs/v2_rul_rule35

[35] ICRC, Frontline : the ICRC in Eastern Europe and Central Asia, Geneva, 1994 ; Jean-Marc Bornet, « Le CICR et les conflits du Caucase », Le Caucase postsoviétique : la transition dans le conflict, Bruxelles, 1995 ; Marion Haroff-Tavel, « Les défis de l’action humanitaire du CICR dans les conflits du Caucase et d’Asie centrale (1993-1996) », Relations Internationales, n° 105, 2001, p. 91-108.

[36] Jean-Philippe Lavoyer, « Les bons offices du CICR: le rôle du CICR comme intermédiaire neutre », Fostering compliance in international law, Ottawa, 1996, p. 133-139 ; Béatrice Mégevand, « Entre insurrection et gouvernement. L’action du CICR au Mexique (janvier-août 1994) », Revue internationale de la Croix-Rouge, n°811, 1995, p. 107-121, https://international-review.icrc.org/sites/default/files/S0035336100010340a.pdf

[37] Michel Minning, « Crise des otages de Lima : quelques remarques sur le rôle d’intermédiaire neutre du CICR », Revue internationale de la Croix-Rouge, n° 830, 1998, https://international-review.icrc.org/sites/default/files/S0035336100056987a.pdf

[38] Rapport annuel du CICR 1996, p. 155.

[39] Rapport annuel du CICR 1996, p. 44.

[40] Thomas Jenatsch, “Le CICR, médiateur humanitaire dans le conflit colombien : possibilités et limites”, Revue Internationale de la Croix-Rouge, n°830, 1998, https://international-review.icrc.org/sites/default/files/S0035336100056999a.pdf ; Sandra Borda, “Providing relief in times of war : the role of the ICRC in the Colombian conflict during the Uribe administration (2002-2010)Humanitarian action: global, regional and domestic legal responses, Cambridge, 2015, p. 400-422.

[41] Rapport annuel du CICR 1996, p. 131.