A chaque guerre son cortège de disparus. Mort ou vivant ? Emprisonné ? Tombé sur le champ de bataille ? Ces questions hantent les familles et l’Agence centrale de recherches du CICR cherche à y répondre. Son action est ancrée dans le droit international humanitaire, qui consacre un droit de savoir des familles et des obligations aux parties de les informer.

Cet article s’inscrit dans une série consacrée au 75e anniversaire des Conventions de Genève de 1949

Guerre franco-prussienne, 1870-1871. Copyright CICR

L’histoire de cette agence remonte au tout début de celle de l’institution. Lors de la guerre franco-prussienne en 1870 naît l’Agence de Bâle. Des soldats blessés des deux camps sont alors soignés dans cette ville frontalière suisse. Un médecin y constate que de nombreux soldats souffrent que leur famille ignore tout d’eux. Et c’était à raison – à défaut de nouvelles, une famille plonge dans l’angoisse et ne sait pas toujours comment s’informer du sort de leur proche. A sa propre initiative, le CICR organise alors la transmission d’informations aux familles ainsi que l’échange de courriers.

Ce modus operandi se poursuivra au gré des conflits où se créent des agences similaires à celle de Bâle, mais prendra une dimension impressionnante lors de la Première guerre mondiale et ses millions de prisonniers de guerre. Entre 1914 et 1918, des millions de messages parviennent à l’Agence et 7 millions de dossiers sont ouverts. L’agence organise également l’envoi de colis familiaux aux prisonniers de guerre.

1929 : L’agence centrale de recherches du CICR devient droit

La 3ème Convention de Genève de 1929, qui traite spécifiquement de la protection des prisonniers de guerre, va ancrer dans le droit l’action de l’Agence centrale de recherches du CICR.

3ème Convention de Genève de 1929
Article 79 – Agence centrale

Une agence centrale de renseignements sur les prisonniers de guerre sera créée en pays neutre. Le Comité international de la Croix-Rouge proposera aux Puissances intéressées, s’il le juge nécessaire, l’organisation d’une telle agence.

Cette agence sera chargée de concentrer tous les renseignements, intéressant les prisonniers, qu’elle pourra obtenir par les voies officielles ou privées ; elle les transmettra le plus rapidement possible au pays d’origine des prisonniers ou à la Puissance qu’ils auront servie.

L’action de cette agence permet ainsi tout d’abord de renseigner les familles sur le sort de leur proche capturé par l’ennemi. Mais elle permet également d’échanger des nouvelles – les fameux messages Croix-Rouge – comme des colis.

Guerre 1939-1945. Agence centrale des prisonniers de guerre, service français. Demande de renseignements sur un soldat s’appelant Jean Martin.

Elle agit étroitement avec les bureaux nationaux de renseignement que les Etats doivent mettre en place dès le début d’un conflit, et ce depuis le Règlement de la Haye en 1899, étendu et complété par la Convention de 1929. Leur rôle ? Centraliser tous les renseignements sur les prisonniers retenus dans leur pays et répondre aux demandes les concernant. L’Agence centrale de recherches du CICR peut jouer le rôle d’intermédiaire neutre entre ces bureaux nationaux et transmettre les informations d’une partie à l’autre.

1949 : les obligations des Etats élargies aux civils

La guerre civile espagnole, mais surtout les horreurs et les persécutions de la Deuxième guerre mondiale, exposeront avec brutalité les oubliés des Conventions de Genève : la population civile. Les Etats prennent alors enfin conscience de la nécessité d’ériger une Convention spécifique pour la protéger. Ce sera chose faite en 1949, avec la création de la 4ème Convention.

4ème Convention de Genève de 1949
Article 137 – Transmissions des informations

Le Bureau national de renseignements fera parvenir d’urgence, par les moyens les plus rapides, et par l’entremise, d’une part, des Puissances protectrices et, d’autre part, de l’Agence centrale prévue à l’article 140 , les informations concernant les personnes protégées à la Puissance dont les personnes visées ci-dessus sont ressortissantes ou à la Puissance sur le territoire de laquelle elles avaient leur résidence. Les Bureaux répondront également à toutes les demandes qui leur sont adressées au sujet des personnes protégées.

Les Conventions de Genève prévoient désormais, en cas de conflit armé international, que les bureaux nationaux de renseignement s’attachent tant aux prisonniers de guerre qu’aux personnes dites « protégées », soit les civils sous leur contrôle.

Récemment, dans le cadre du conflit armé international entre la Russie et l’Ukraine, des milliers de personnes ont pu recevoir des informations sur leur proche détenu ou porté disparu grâce à l’échange entre les Bureaux nationaux et l’Agence centrale de recherches. Un travail qui se poursuit pour éclairer le sort des personnes encore portées disparues.

La reconnaissance du droit des familles de savoir

Mais les Conventions de Genève s’imposent uniquement en cas de conflit armé international. Quid des conflits internes ? Ceux-ci dominent de surcroit largement dans le monde depuis la fin de la Deuxième guerre mondiale. Des familles y pleurent aussi leurs nombreux disparus.

Région d’Ayacucho, Pérou. Cette femme a perdu un de ses proches lors d’un conflit armé qui a eu lieu entre 1980 et 2000. Aujourd’hui, comme près de 20 000 familles, elle est toujours à la recherche de proches. Copyright CICR

Là encore, le droit fait bien les choses et cette lacune a été comblée par la règle 117 du droit international humanitaire coutumier qui élargit les obligations des parties aux conflits armés non-internationaux.

Règle 117
L’obligation de rendre compte du sort des personnes disparues

Chaque partie au conflit doit prendre toutes les mesures pratiquement possibles pour élucider le sort des personnes portées disparues par suite d’un conflit armé, et doit transmettre aux membres de leur famille toutes les informations dont elle dispose à leur sujet.

Aujourd’hui, l’Agence centrale de recherches du CICR base son action sur le droit des familles de savoir ce qu’il est advenu de leurs proches portés disparus. Avec les sociétés nationales de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge, le CICR élargit ses recherches au-delà des conflits armés en faveur des disparus liés aux catastrophes naturelles et la migration.
A la fin de 2022, l’Agence centrale de recherches enregistrait plus de 195 000 personnes portées disparues en tout. Cette année-là, 13 000 personnes furent localisées, et près de 5 000 personnes réunies.

Pour aller plus loin :

L’Agence centrale de recherches sur le blog Cross-files des archives du CICR

La transmission des renseignements par l’Agence centrale de recherches du CICR dans les conflits armés internationaux (icrc.org) sur le blog Droit & politiques humanitaires du CICR