Nombreuses sont les personnes qui, dans l’histoire, ont quitté leur pays d’origine ou ont été forcées de le quitter. Dans bien des cas, ces personnes affrontent de dures épreuves lors de leur périple vers un lieu sûr, un avenir économique meilleur, ou les deux. À leur arrivée dans un pays, l’une de leurs principales préoccupations est de savoir si elles seront autorisées à y rester. En vertu du droit international, les États ont le droit de réglementer le séjour des étrangers sur leur territoire et de les renvoyer dans leur pays d’origine. Toutefois, cette prérogative n’est pas absolue et ne peut être exercée qu’en respectant les autres règles du droit international.
Afin de protéger les droits de l’homme les plus fondamentaux de tout migrant ou réfugié, les États ont établi le principe de non-refoulement. Ce principe, inscrit dans différents corpus de droit international, protège toute personne contre le transfert (refoulement, expulsion, extradition ou quel que soit le terme utilisé) d’une autorité à une autre, lorsqu’il existe des motifs sérieux de croire que celle-ci risquerait d’être victime de violations de certains de ses droits fondamentaux.
Ce principe peut prendre plusieurs formes et sa portée, de même que son application, varient selon les contextes en fonction du droit applicable. Voici cinq aspects essentiels qui expliquent l’importance et le rôle du principe de non-refoulement dans le contexte migratoire au sens large.
1. Le principe de non-refoulement est inscrit dans différents corpus de droit international
C’est dans le contexte de la protection des réfugiés qu’il est le plus souvent fait référence au principe de non-refoulement, lequel est défini à l’article 33 de la Convention relative au statut des réfugiés (Convention sur les réfugiés) ainsi que dans des instruments régionaux relatifs au droit des réfugiés. Au cours des dernières décennies, ce principe a également été inscrit dans des traités relatifs aux droits de l’homme, tels que la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (article 3), la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées (article 16) ainsi que dans des instruments régionaux relatifs aux droits de l’homme. Par ailleurs, le Comité des droits de l’homme des Nations Unies a considéré que le principe de non-refoulement constituait un élément à part entière de la protection contre la torture ou toute autre forme de peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, ou encore contre la privation arbitraire de la vie. Des cours régionales des droits de l’homme sont parvenues à des conclusions analogues, notamment la Cour européenne des droits de l’homme dans l’affaire Soering c. Royaume-Uni (paragraphe 88). Toutefois, il est à noter que dès 1949, le principe de non-refoulement avait été inscrit dans les Conventions de Genève de 1949 [2], principalement eu égard au transfert des détenus, mais aussi en vue d’assurer la protection de la population civile. Le principe de non-refoulement est donc considéré comme faisant intrinsèquement partie du droit international coutumier.
En vertu du droit des réfugiés, le principe de non-refoulement s’applique aux réfugiés ainsi qu’aux demandeurs d’asile. Outre la protection dont ils bénéficient contre le refoulement, les réfugiés disposent aussi d’un certain nombre d’autres droits prévus par ce corpus juridique. En revanche, la protection contre le refoulement, en vertu du droit relatif aux droits de l’homme, signifie qu’une personne ne peut pas être refoulée, ce qui ne veut pas dire pour autant que cette personne se verra attribuer automatiquement le statut de réfugié et bénéficiera de tous les droits qui en découlent. Cependant, en toutes circonstances, un État doit respecter, protéger et garantir les droits de l’homme de toutes les personnes relevant de sa juridiction.
La principale différence entre les diverses codifications du principe de non-refoulement porte sur les personnes susceptibles d’en relever et les motifs justifiant sa mise en œuvre. En vertu du droit des réfugiés, la protection est accordée aux réfugiés contre leur refoulement vers des lieux de persécutions, tandis qu’en vertu du DIH, la protection ne s’applique qu’à certaines catégories de personnes victimes de conflits armés. En vertu du droit relatif aux droits de l’homme, le principe de non-refoulement peut protéger toute personne relevant de la juridiction d’un État, sous réserve qu’un réel danger existe dans l’État vers lequel la personne doit être transférée. En fonction des traités relatifs aux droits de l’homme applicables, ce principe protège les individus contre différents dangers qui ne seraient pas prévus par d’autres corpus juridiques, notamment le risque d’être condamné à la peine de mort, de subir des peines cruelles ou encore, pour des enfants, d’être enrôlés dans des combats et d’y participer, indépendamment du fait que le danger pour la personne soit fondé ou non sur un motif discriminatoire. Si le droit des réfugiés reconnait certaines exceptions strictement définies au principe de non-refoulement, le principe est absolu en vertu d’autres corpus juridiques.
2. Le principe de non-refoulement s’applique dès qu’une personne relève de la juridiction d’un État
En vertu du droit des réfugiés et du droit relatif aux droits de l’homme, il est entendu que le principe de non-refoulement protège les personnes relevant de la juridiction d’un État. Tel est le cas de toute personne présente sur le territoire d’un État, dans ses eaux territoriales, ou lorsqu’un État exerce un contrôle effectif sur cette personne. En droit des réfugiés, le point de vue selon lequel ce principe s’applique également si une personne se voit refuser l’entrée à la frontière d’un État fait également l’objet d’un large consensus. De plus, ces dernières années, des organes et des tribunaux des droits de l’homme ont explicitement affirmé que ce principe s’appliquait aussi lorsque les États mènent des opérations extraterritoriales, y compris lors d’interceptions de navires et d’opérations de sauvetage en haute mer. Il faut toutefois reconnaître qu’il existe des divergences de point de vue sur le moment précis où une personne relève de la juridiction d’un État. S’il a été soutenu qu’en cas de fermeture des frontières ou d’ « opérations extraterritoriales visant à refouler les migrants », le principe de non-refoulement s’applique car l’État cherche à « exercer un contrôle effectif sur les mouvements physiques des migrants, ne serait-ce qu’en empêchant directement de tels mouvements dans une certaine direction », on considère en général que l’État doit exercer un contrôle effectif, c’est-à-dire physique, sur une personne, afin que le droit relatif aux droits de l’homme puisse s’appliquer[3].
3. Le principe de non-refoulement peut protéger les personnes fuyant un conflit armé
Le principe de non-refoulement s’applique indépendamment du fait qu’une personne fuie un pays ou règne la paix ou un pays impliqué dans un conflit armé : s’il existe des motifs sérieux de croire que cette personne risquerait d’être victime de violations de certains de ses droits fondamentaux, elle ne peut pas être refoulée. Tel pourrait être le cas, par exemple, pour le chef d’un groupe d’opposition qui, s’il était refoulé, serait probablement torturé ou sommairement exécuté.
Bien que le principe de non-refoulement soit généralement interprété comme offrant une protection contre une menace sur l’individu, il peut également protéger contre des menaces davantage liées à des contextes spécifiques. Étant donné que de nombreux conflits sont menés pour des motifs religieux, ethniques ou politiques, le HCR des Nations Unies a démontré avec pertinence que les civils fuyant des conflits armés subissaient souvent des persécutions fondées sur l’un de ces motifs et pouvaient donc être considérés comme des réfugiés. Des instruments régionaux, juridiquement contraignants pour la plupart des États africains et non contraignants en Amérique latine et en Asie, reconnaissent également le statut de réfugié aux personnes fuyant un conflit armé ou des situations de graves troubles à l’ordre public, ainsi que la nécessité de les protéger. Un certain nombre d’États ont intégré ces définitions étendues du principe de non-refoulement dans leurs législations nationales. De plus, la Cour européenne des droits de l’homme a estimé que le principe de non-refoulement s’applique si une personne n’est pas personnellement visée, mais si la menace provient « des cas de violence générale les plus extrêmes, où l’intéressé court un risque réel de subir des mauvais traitement [ou de violation du droit à la vie] du seul fait que son retour dans le pays en question l’exposerait à cette violence [traduction CICR] » (voir par exemple N.A c. Royaume-Uni, par. 115)
4. Le principe de non-refoulement protège contre les mesures directes et indirectes de retour forcé
Le principe de non-refoulement interdit non seulement le retour forcé direct des personnes dans les situations décrites ci-dessus, mais aussi les mesures indirectes produisant le même effet.
Il est généralement reconnu que ce principe protège toute personne contre un transfert vers un État qui, même s’il ne représente pas en lui-même une menace pour cette personne, ne la protègerait pas non plus de manière efficace contre des transferts ultérieurs en violation du principe de non-refoulement (aussi appelé refoulement indirect, en chaîne ou secondaire).
La jurisprudence et les avis d’experts (voir la Commission du droit international (article 10, y compris les sources citées en commentaire) et le Comité contre la torture (par. 14)) soutiennent également le point de vue selon lequel le principe de non-refoulement interdit non seulement aux États de transférer directement une personne vers un lieu l’exposant à un risque (décision de retour exécutée par l’État), mais leur interdit aussi de prendre certaines mesures dissimulées ou indirectes qui créent des circonstances ne laissant pas d’autre alternative réelle à la personne en question que de retourner vers un tel lieu. Certains contestent le fait qu’il s’agisse d’une interdiction légale. Il est vrai qu’il est nécessaire de clarifier la portée d’une telle règle. Cependant, la logique voudrait que si légalement, un État ne peut pas contraindre une personne au retour, le principe de non-refoulement devrait également être compris comme interdisant les mesures indirectes conçues afin de contourner cette interdiction.
5. Le principe de non-refoulement exige des garanties procédurales
Afin de garantir qu’une personne n’est pas refoulée vers un lieu où elle risquerait d’être victime de violations de certains de ses droits fondamentaux, des garanties procédurales essentielles sont nécessaires. En vertu du droit international et régional relatif aux droits de l’homme, les personnes qui présentent des arguments défendables permettant de montrer que leur retour impliquerait une violation du principe de non-refoulement, ont droit à un recours effectif. Pour ce faire, l’individu doit au moins pouvoir être informé de la décision de transfert ou de retour dans un délai suffisant lui permettant de la contester au moyen de la saisine d’un organe indépendant et impartial. Compte tenu de la gravité du danger encouru, les retours doivent être suspendus dans l’attente de la décision. Il est important de souligner que ces garanties doivent s’appliquer dans tous les cas, y compris lorsqu’un État envisage de renvoyer des personnes vers un pays censé être sans danger, ou qu’il a obtenu des garanties diplomatiques concernant le traitement de cette personne.
Cet article a été initialement publié en anglais le 30 mars 2018. Il a été traduit par Sarah Glaser, en Master 1 de Traduction spécialisée multilingue de l’Université de Grenoble Alpes, en France.
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Pour aller plus loin
- Voir la Note sur la migration et le principe de non-refoulement de 2018 publiée dans la Revue internationale de la Croix-Rouge.
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Notes
[1] Comme les autres composantes du Mouvement international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge, le CICR a une interprétation délibérément large du terme « migrants » qui englobe toutes les personnes qui quittent ou fuient leur foyer en quête de sécurité ou d’un meilleur avenir, et qui peuvent être en situation de détresse et avoir besoin de protection ou d’assistance humanitaire. Cette approche ne doit cependant pas être interprétée comme remettant en question le fait que le droit international des réfugiés prévoit un statut et des protections spécifiques pour les personnes définies comme réfugiées.
[2] Voir la Convention (III) relative au traitement des prisonniers de guerre, 1949, art.12 ; la Convention (IV) relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre, 1949, art. 45 (3,4). Du point de vue du CICR, en cas de conflit armé non international, les protections fondamentales énoncées à l’article 3 commun doivent être entendues comme interdisant aux parties au conflit de transférer des personnes placées sous leur pouvoir à une autre autorité lorsqu’il y a un risque que leurs droits fondamentaux soient violés lors du transfert.
[3] Pour une analyse de la jurisprudence et des avis d’expert en la matière, voir Rodenhäuser, « Another Brick in the Wall : Carrier Sanctions and the Privatization of Immigration Control », International Journal of Refugee Law, volume 26, numéro 2, 2014, pp. 242-45.



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