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Le DIH et les territoires occupés

Brcko. Soldats de la SFOR dans une rue. Brcko. SFOR soldiers on patrol. Ces soldats américains de la SFOR sont en charge de la sécurité dans la région.

Alors que le conflit armé en Ukraine s’installe, les civils pris au piège de ce conflit subissent de plein fouet les effets des événements qui s’enchaînent et qui, entre autres, provoquent des morts et des blessés, les poussent à se déplacer en abandonnant leurs domiciles et les arrachent à leur vie normale. Dans certaines régions d’Ukraine, les personnes qui sont restées chez elles se sont réveillées un matin, découvrant que l’endroit où elles vivent n’était plus sous le contrôle du gouvernement ukrainien, mais sous celui des forces russes.

Dans cet article, Mikhail Orkin, conseiller juridique du CICR et Tristan Ferraro, conseiller juridique principal du CICR, examinent attentivement la manière dont le DIH réglemente les situations d’occupation et protège les populations civiles d’un territoire occupé.

Les nombreuses dispositions du droit international humanitaire (DIH) qui visent à protéger les civils et qui, pour la plupart, figurent dans la Quatrième Convention de Genève de 1949, expriment le respect fondamental de la personne humaine et le caractère inaliénable de ses droits fondamentaux . Le DIH contient des règles qui ont été élaborées spécifiquement pour s’appliquer dans les territoires occupés. Celles-ci ont pour but principal de remédier à la particulière vulnérabilité des civils qui vivent dans un territoire occupé.

Au regard du DIH, l’occupation est une forme de conflit armé international. On trouve les dispositions applicables à l’occupation principalement dans le Règlement de La Haye de 1907, la Quatrième Convention de Genève de 1949 et son Protocole additionnel I, ainsi que dans le DIH coutumier.

L’occupation, une question de contrôle effectif sur un territoire

Les règles du DIH spécifiquement applicables aux territoires occupés entrent en vigueur une fois que le territoire est considéré comme occupé. L’existence d’une occupation ne peut être déterminée qu’en se fondant uniquement sur les faits. Une appréciation fondée sur les faits est conforme à la stricte distinction entre le jus in bello et le jus ad bellum.

Les éléments constitutifs d’une occupation découlent exclusivement de l’article 42 du Règlement de La Haye de 1907. Bien que la formulation de cette disposition soit peu précise, les traités de DIH, leurs travaux préparatoires, la doctrine, les manuels militaires et les décisions judiciaires démontrent la primauté accordée à trois éléments constitutifs de l’occupation, à savoir : la présence non consentie des forces étrangères, la capacité de ces forces étrangères à exercer leur autorité sur le territoire concerné en lieu et place du souverain local et, de ce fait l’incapacité de celui-ci d’exercer son autorité sur le territoire. Conjugués, ces éléments constituent ce que l’on appelle « le test du contrôle effectif », qui est utilisé pour déterminer si une situation doit être qualifiée d’occupation aux fins du DIH. Le concept de contrôle effectif d’un territoire étranger est au cœur de la notion d’occupation et c’est bien le contrôle effectif qui permettra aux troupes étrangères d’exercer les devoirs qui leur incombent en vertu du droit de l’occupation.

Principes généraux

Bien que l’on trouve les dispositions du droit de l’occupation dans divers instruments et autres sources de DIH, celles-ci suivent, en principe, le même raisonnement, lequel est fondé sur quatre principes généraux de base [1].

Premièrement, le droit de l’occupation est fondé sur le principe selon lequel une Puissance occupante n’acquiert pas de droits souverains sur le territoire occupé. Par conséquent, il ne lui est pas possible de procéder à un changement dans le statut ou les caractéristiques intrinsèques du territoire occupé.

Deuxièmement, le droit de l’occupation part du principe selon lequel l’occupation est une situation temporaire. À cet égard, la Puissance occupante doit maintenir le statu quo ante et ne doit pas adopter de décisions ou prendre des mesures qui introduiraient ou induiraient des changements durables, en particulier sur le plan social, économique ou démographique. Aussi, les droits et les devoirs de la Puissance occupante établis par le droit de l’occupation sont également temporaires : ils sont limités à la durée de l’occupation. Ces règles exigent, pour l’essentiel, que la Puissance occupante, pendant la durée temporaire de l’occupation, maintienne une vie aussi normale que possible dans le territoire occupé et administre celui-ci dans l’intérêt de la population locale, tout en prenant en compte ses propres besoins en matière de sécurité.

Troisièmement, le droit de l’occupation qui réglemente la manière dont la Puissance occupante exerce ses pouvoirs, exige toujours que cette Puissance prenne en considération et trouve un juste équilibre entre d’une part ses propres besoins militaires et, d’autre part, les besoins de la population locale. Cet équilibre devrait se manifester dans la façon dont la Puissance occupante administre un territoire occupé et, plus généralement, dans toutes les actions qu’elle met en place et les mesures qu’elle met en œuvre sur ce territoire. Mais surtout, si cet équilibre peut parfois pencher en faveur des besoins de la Puissance occupante en matière de sécurité, le droit de l’occupation n’autorise jamais la Puissance occupante à complètement ignorer les besoins de la population locale dans les actions qu’elle entreprend.

Quatrièmement, on peut affirmer, de manière générale, que le droit de l’occupation ne permet pas à la Puissance occupante d’exercer son autorité dans le but de poursuivre ses propres intérêts (autres que militaires), ou dans l’objectif d’utiliser les habitants, les ressources et les autres richesses du territoire qu’elle occupe, au profit de son propre territoire ou de sa population.

Ces quatre principes généraux devraient être examinés en lien avec toutes les questions relatives au droit de l’occupation et sont au cœur des principales dispositions de ce corpus juridique.

L’obligation fondamentale de la Puissance occupante

La Puissance occupante a l’obligation établir et d’assurer l’ordre et la vie publics sur le territoire qu’elle occupe. Il se peut que la Puissance occupante ne soit pas en mesure d’y parvenir, mais elle doit faire tout ce qui est en son pouvoir dans ce sens. C’est pourquoi cette obligation fondamentale est considérée comme une obligation de moyens et non de résultat. En vertu de cette obligation, la Puissance occupante doit assurer l’administration du territoire occupé, ce qui comprend la responsabilité d’assurer le bien-être de la population sur le territoire occupé.

De plus, la Puissance occupante doit respecter l’ordre et la vie publics du territoire occupé, ses lois et ses institutions, à moins que cela ne soit absolument nécessaire à des fins licites. Par exemple, la Puissance occupante a la possibilité, dans des cas limités, d’abroger, suspendre ou adopter une législation dans le territoire occupé lorsque celle-ci est indispensable pour lui permettre i) de remplir ses obligations découlant du DIH ; ii) d’assurer l’administration régulière du territoire ; ou iii) d’assurer la sécurité.

Selon cette obligation fondamentale, les mesures prises par la Puissance occupante pour administrer le territoire occupé doivent être conformes au droit de l’occupation qui renferme de nombreuses règles spécifiquement élaborées pour réglementer tous les aspects de ce type d’administration. Certaines de ces règles s’adressent aux autorités de la Puissance occupante, afin de faciliter le respect de leur obligation fondamentale et des devoirs qui en découlent. Pourtant, d’autres règles du droit de l’occupation fixent des limites à ces pouvoirs et restreignent ce que la Puissance occupante peut entreprendre pour remplir ses devoirs. Par conséquent, le droit de l’occupation est à la fois permissif (autorisant la Puissance occupante à exercer certains pouvoirs significatifs) et restrictif (mettant des limites à ce qu’elle peut faire sur un territoire occupé).

Les pouvoirs accordés à la Puissance occupante afin de lui permettre de remplir son obligation fondamentale lui donnent également autorité pour prendre des mesures de sécurité. Néanmoins, ce pouvoir est strictement limité. Le DIH circonscrit également la sévérité des mesures de sécurité qui peuvent être prises contre des personnes protégées. Il dispose que la Puissance occupante peut – tout au plus – leur imposer une résidence forcée ou procéder à leur internement et seulement sous réserve que ces mesures soient conformes aux motifs et aux procédures prévus par la Quatrième Convention de Genève.

Quelques règles du droit de l’occupation particulièrement importantes

Dans cet article, nous mettons l’accent sur quelques règles particulièrement importantes visant à répondre aux besoins essentiels de la population, au traitement des personnes protégées et à la garantie d’accès du Comité international de la Croix-Rouge (CICR). Ces quelques règles montrent notamment que les principes généraux et les obligations fondamentales du droit de l’occupation sont conçus de manière très détaillée afin de réglementer et d’améliorer la situation qui prévaut dans le territoire occupé. Toutefois, il convient de garder à l’esprit que le droit de l’occupation contient de nombreuses dispositions spécifiques et détaillées, qui réglementent une multitude d’autres aspects importants, comme la protection des biens publics, privés et culturels, des mesures propres à assurer le bon fonctionnement des services médicaux et des établissements scolaires, qu’il serait trop long de traiter dans cet article.

Répondre aux besoins essentiels de la population

Pour commencer, la Puissance occupante doit répondre aux besoins essentiels de la population d’un territoire occupé dès le début de l’occupation et jusqu’à ce qu’elle prenne fin. Cela est conforme à son obligation fondamentale de rétablir et d’assurer l’ordre et la vie publics. Le droit de l’occupation contient une foule d’autres règles spécifiques relatives aux besoins essentiels. Il va sans dire que les dispositions conventionnelles du DIH relatives à ces besoins essentiels sont plus détaillées s’agissant des territoires occupés.

Par exemple, dans toute la mesure de ses moyens, la Puissance occupante a l’obligation d’assurer l’approvisionnement de la population en vivres et en produits médicaux. Lorsque ces ressources du territoire occupé sont insuffisantes, elle doit les importer. En plus de ces obligations, la Puissance occupante doit aussi assurer, dans toute la mesure de ses moyens et sans aucune distinction de caractère défavorable, la fourniture de vêtements, de matériel de couchage, de logement d’urgence, des autres approvisionnements essentiels à la survie de la population civile du territoire occupé et des objets nécessaires au culte.

Lorsque la population d’un territoire occupé ou une partie de celle-ci est insuffisamment approvisionnée, la Puissance occupante acceptera les actions de secours faites en faveur de cette population et les facilitera dans la mesure de ses moyens. Bien qu’il incombe en premier lieu à la Puissance occupante la responsabilité de répondre aux besoins essentiels de la population, ces actions de secours peuvent être entreprises par le CICR ou par tout autre organisme humanitaire impartial. Lorsque la Puissance n’est pas en mesure de remplir son obligation première de répondre aux besoins essentiels de la population du territoire occupé, elle doit – sans aucune dérogation – garantir l’accès, faciliter les actions de secours, respecter et protéger le personnel qui y participe. Toutefois, la Puissance occupante a un droit de contrôle afin de veiller à ce que les actions entreprises aient un caractère exclusivement humanitaire. Ce droit de contrôle doit être mis en œuvre de bonne foi et ne doit pas retarder indûment ou rendre impossible la délivrance des secours humanitaires dans le territoire occupé. En effet, contrairement à de nombreuses autres obligations prévues par le droit de l’occupation, l’obligation d’autoriser et de faciliter les actions de secours lorsque la population du territoire occupé est insuffisamment approvisionnée constitue une stricte obligation de résultat.

Traitement des personnes protégées

La Quatrième Convention de Genève prévoit des protections spécifiques pour les personnes protégées. Dans les territoires occupés, les personnes protégées sont pour la plupart des ressortissants de la Puissance occupée qui se trouvent sur ce territoire.

Dans les conflits armés internationaux, les dispositions relatives aux personnes protégées s’appliquent également dans les territoires qui ne sont pas occupés. Lorsqu’elles s’appliquent à un territoire occupé, ces dispositions fixent des règles très précises sur la manière dont la Puissance occupante traite les personnes protégées sur le territoire. Dès l’instant où l’occupation commence, la Puissance occupante est responsable du traitement réservé aux personnes protégées dans le territoire occupé par quiconque en est le représentant officiel.

Parmi les principales obligations qui incombent à la Puissance occupante, le droit de l’occupation exige que les personnes protégées soient traitées avec humanité et protégées contre tout acte de violence ou d’intimidation, contre les insultes et la curiosité publique. Les personnes protégées ont droit, en toutes circonstances et en tout temps, au respect par la Puissance occupante, de leur personne, de leur honneur, de leurs droits familiaux, de leurs convictions et pratiques religieuses, de leurs habitudes et de leurs coutumes.

Le droit de l’occupation contient aussi de nombreuses interdictions absolues. L’une d’entre elles dispose qu’il est expressément interdit de torturer des personnes protégées. La Puissance occupante ne doit exercer aucune contrainte sur les personnes protégées, ni les soumettre à des peines collectives, ni les prendre en otage.

L’accès du CICR aux personnes protégées et les visites

La Puissance occupante doit autoriser le CICR à se rendre dans tous les lieux où se trouvent des personnes protégées, notamment dans les lieux d’internement, de détention et de travail, et à s’entretenir avec elles sans témoin. La durée et la fréquence de ces visites ne peuvent pas être limitées, sauf à titre exceptionnel et temporaire, en raison d’impérieuses nécessités militaires. De plus, la Puissance occupante, à l’instar de toutes les parties au conflit accordera au CICR toutes les facilités en leur pouvoir pour lui permettre d’assumer les tâches humanitaires qui lui sont attribuées en vertu du DIH afin d’assurer protection et assistance aux victimes du conflit armé.

S’acquitter sans délai de ses obligations en vertu du droit de l’occupation ou au fur et à mesure

Le cadre juridique de l’occupation est vaste et on ne saurait attendre d’une Puissance occupante qu’elle remplisse tous les devoirs qui lui incombent en vertu du droit de l’occupation, dès le début de l’occupation. Les obligations du droit de l’occupation qui sont des obligations négatives (c’est-à-dire, celles qui exigent de la Puissance occupante qu’elle s’abstienne de certains actes, comme l’interdiction de la torture), ou celles qui prévoient une protection des droits fondamentaux des personnes protégées, doivent être remplies et respectées sans délai. Toutefois, certaines autres dispositions du droit de l’occupation qui exigent de la Puissance occupante qu’elle prenne des mesures plus étendues dans le territoire occupé peuvent être remplies au fur et à mesure. C’est une question de moyens : même les obligations les plus étendues, comme le maintien de l’ordre public et de la sécurité, ou la réponse aux besoins essentiels de la population, peuvent exiger de la Puissance occupante qu’elle prenne des mesures immédiates dans la limite des moyens qui sont à sa disposition, mais les exigences et les attentes par rapport à ce que la Puissance occupante sera capable de faire, deviendront plus importantes au fil du temps. La mesure dans laquelle la Puissance occupante peut remplir ses obligations positives conformément au droit de l’occupation, repose sur divers éléments comme la nature et la durée de l’occupation, la poursuite des hostilités, les moyens à disposition de l’occupant, les besoins de la population locale et la sécurité de la Puissance occupante [2].

Faire la différence : le droit de l’occupation comme boussole pour naviguer dans la complexité de l’occupation, sauver des vies et atténuer les souffrances sur le terrain

Le droit de l’occupation vise à sortir le droit des livres pour produire des effets concrets. C’est pourquoi ses règles sont si détaillées, concrètes et éminemment pratiques : elles constituent un recueil de règles qui doit servir à améliorer concrètement la situation des civils dans un territoire occupé. Elles fournissent également une feuille de route pour faire face aux intérêts complexes et aux dangers qui naissent de la situation lorsque les vies et le destin des populations locales se trouvent au pouvoir d’une Puissance occupante. Pour les humanitaires, l’action humanitaire neutre et impartiale est fondée sur le DIH et cela est aussi vrai dans une situation d’occupation. Il reste à espérer qu’en ces temps difficiles, ce corpus juridique puisse être véritablement mis en œuvre afin de produire des effets.

[1] Dans cet article, le passage sur les « principes généraux » est inspiré de Spoerri, Philip, « The Law of Occupation », in Andrew Clapham et Paola Gaeta (dir.), The Oxford Handbook of International Law in Armed Conflict, Oxford University Press, 2014, pp. 185-186.

[2] Benvenisti Eyal, « The International Law of Occupation », 2e édition, Oxford University Press, 2012, p. 76.

 

Cet article a été initialement publié en anglais le 26 juillet 2022.

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