Nous sommes en 1960. Les enfants nés pendant la Seconde Guerre mondiale étaient devenus adultes, dix-sept États africains avaient acquis leur indépendance et un rédacteur du Comité international de la Croix-Rouge, Jean Pictet, travaillait, avec son équipe, à la finalisation de la traduction anglaise du Commentaire de la Troisième Convention de Genève relative au traitement des prisonniers de guerre.
Soixante ans après, en s’appuyant sur les nombreux cas d’application des Conventions de Genève et de leurs Protocoles, le CICR présentait cette semaine la version actualisée du Commentaire, article par article, de la Troisième Convention de Genève. Cette mise à jour, qui s’inscrit dans le cadre du vaste projet lancé en 2011 par le CICR pour actualiser les quatre « Commentaires Pictet », comme on les nomme souvent, tient compte des évolutions du droit et de la pratique qui ont été observées ces soixante dernières années, en s’appuyant sur les conflits armés qui se sont déroulés et sur les évolutions du droit international qu’ils ont engendrées.
Car le Commentaire se veut avant tout un outil pratique, il recense aussi les cas dans lesquels les technologies nouvelles, dont l’évolution depuis les années 60, a été phénoménale, nous éclairent sur la manière dont certaines dispositions sont interprétées. Par exemple, les moyens de communication modernes permettent aux prisonniers de guerre de rester en contact avec l’extérieur, grâce à la messagerie électronique, aux appels téléphoniques et vidéo, des outils qui sont bien loin des télégrammes, alors considérés par la Convention comme la méthode de communication la plus rapide.
Au CICR, nous dialoguons aussi bien avec les militaires qu’avec les universitaires, les conseillers juridiques, les tribunaux et les gouvernements qui, tous, soulignent l’intérêt qu’ils portent aux protections humanitaires qui sont au cœur de la Troisième Convention de Genève. Le Commentaire mis à jour aura une véritable valeur ajoutée tant pour les forces armées que pour les gouvernements du monde entier et, en ce sens, renforcera l’utilité pratique de la Convention, en apportant la garantie qu’elle restera pleinement adaptée à son but dans les décennies à venir.
Le 16 juin 2020, le CICR a annoncé la publication du Commentaire actualisé de la Troisième Convention de Genève relative au traitement des prisonniers de guerre (en anglais seulement pour l’instant) en organisant un événement en ligne réunissant un panel d’experts pour débattre des principales conclusions du Commentaire. Ce débat a permis d’une part d’analyser la manière dont le droit international humanitaire protège les prisonniers de guerre, en tenant compte de la pratique en vigueur et des difficultés opérationnelles que posent cette protection et, d’autre part, de mettre l’accent sur l’application et l’utilité du droit dans la pratique. La conférence en ligne et le débat entre les experts sont disponibles dans leur intégralité en cliquant ici.
Un principe essentiel : traiter les prisonniers de guerre avec humanité
On ne peut pas imaginer un conflit armé dans lequel il n’y aurait pas de détenus. Le droit international humanitaire protège plusieurs catégories de détenus, notamment ceux qui sont faits prisonniers de guerre lors d’un conflit armé international. Lorsqu’une personne est capturée par l’ennemi, les risques qu’elle subisse de mauvais traitements ou que sa santé soit mise en danger sont grands et, à cet égard, l’application des règles fixées par la Troisième Convention de Genève est alors cruciale. Ces règles ne se fondent pas uniquement sur un impératif humanitaire moral ou sur des obligations juridiques associées à la signature d’un traité. Elles s’expliquent aussi par des raisons très pratiques, comme éloigner les combattants ennemis du champ de bataille, éviter qu’ils ne s’évadent, ou encore maintenir la discipline et la sécurité dans le camp. En outre, la Convention exige des parties à un conflit armé qu’elles maintiennent les prisonniers en un bon état de santé et qu’elles préviennent les épidémies.
Ainsi, l’obligation de traiter en tout temps les prisonniers de guerre avec humanité, en respectant leur personne et leur honneur est le fil rouge des 143 articles de la Troisième Convention. De nombreux articles de la Convention partent de cette obligation fondamentale et la transposent en pratique, en traitant de tous les aspects de la vie quotidienne d’un prisonnier, de sa capture à sa libération, en disposant expressément qu’« aucune torture physique ou morale ni aucune contrainte ne pourra être exercée sur les prisonniers de guerre », pendant leur captivité. La Convention protège tous les prisonniers de guerre, sans aucune distinction, et exige des parties au conflit qu’elles prennent en compte la situation particulière de chaque prisonnier de guerre, notamment son genre, son état de santé, son âge ou encore ses infirmités.
Personnes disparues
La Convention jette aussi les bases du régime de protection applicable aux personnes disparues en temps de guerre, fixé par le droit international. Plusieurs dispositions visent à prévenir les disparitions de prisonniers de guerre, à élucider leur sort si besoin et à informer les familles. Parmi ces règles, on trouve :
- Les règles relatives aux renseignements à obtenir pour chaque prisonnier de guerre afin de permettre de tous les identifier ;
- La possibilité pour chaque prisonnier de guerre d’adresser une carte de capture à sa famille et à l’Agence centrale de recherches du CICR ;
- L’obligation d’identifier précisément les prisonniers décédés et de marquer leurs tombes ;
- L’obligation de libérer et de rapatrier les prisonniers de guerre après la fin des hostilités actives et de rapatrier directement les prisonniers de guerre blessés et malades.
Afin de respecter ces règles, les États doivent créer un Bureau national de renseignements, au plus tard dès le début d’un conflit armé, afin de recueillir, centraliser et transmettre à l’Agence centrale de recherches, placée sous l’autorité du CICR, toutes les informations relatives à chacun des prisonniers. Ces bureaux ne sont pas uniquement destinés aux prisonniers de guerre : ils sont également compétents pour les internés civils et les personnes disparues ; en outre, ils ne sont pas uniquement réservés aux conflits armés internationaux : ils fonctionnent aussi dans le cadre d’un conflit armé non international et, le cas échéant, d’autres situations d’urgence. C’est toutefois la Troisième Convention qui en pose les fondements et qui propose le modèle de fonctionnement à suivre.
Il est également important de souligner que les nouvelles règles relatives à la protection des données et les principes d’éthique médicale actuels, dont le secret médical, ont eu une influence considérable sur la manière dont ces bureaux travaillent aujourd’hui. Par exemple, les règles nouvelles exigent que les prisonniers de guerre blessés et malades soient informés des raisons pour lesquelles les renseignements sur leur état de santé sont recueillis et transmis à ces bureaux.
Se préparer et anticiper
Afin de mettre en œuvre l’obligation de respecter et faire respecter les Conventions de Genève conformément à l’article 1 commun, de nombreuses dispositions exigent des parties qu’elles aient déjà pris toutes mesures utiles avant le début d’un conflit armé, ou encore qu’elles adoptent des mesures propres à prévenir la commission de violations.
Ceci exige de se préparer et d’anticiper, comme s’assurer que le cadre juridique national d’un État est à jour et que les lois et règlements nécessaires pour se conformer à la Convention ont été adoptés. Ainsi, en proposant d’autres mesures à prendre, ce Commentaire s’avère particulièrement utile pour ceux qui, au sein d’un État, doivent procéder à la préparation et à la planification, nécessaires, des opérations, à l’instar des forces armées, des ministères et des organes qui sont en charge de la détention en période de conflit armé[2].
Alors que les caractéristiques du champ de bataille évoluent, la mise en œuvre de la Troisième Convention de Genève doit être garantie par des mesures prises en temps opportun, ce qui inclut, notamment, la formation des forces armées. Par exemple, les forces armées néo-zélandaises (New Zealand Defence Forces) ont revu leur formation au droit des conflits armés, afin qu’elle soit mieux adaptée à la guerre moderne, en traduisant en un langage simple des concepts plus ardus, afin de les faire comprendre par tous les soldats, marins et personnels de l’armée de l’air. Le Commentaire mis à jour est, et demeurera, une référence fondamentale pour que ces formations spécialement destinées au personnel militaire restent à jour[3].
Attester du respect, confirmer l’utilité
Le manque de respect du droit international humanitaire est largement débattu. Toutefois, il est important de garder à l’esprit le fait que, sur le terrain, les parties à un conflit armé se conforment le plus souvent aux obligations qui leur incombent et que le droit est quotidiennement respecté, même si ces actualités ne font que trop rarement la une des journaux.
Traiter les prisonniers de guerre avec humanité, prendre soin d’eux et de leur santé, respecter les dispositions relatives à leur rapatriement, sont des obligations fixées par la Troisième Convention de Genève qui sont généralement respectées. Le Commentaire donne des exemples de respect de la Convention, mais aussi des exemples de situations dans lesquelles des difficultés de mise en œuvre ont pu surgir, en faisant état de solutions qui ont été trouvées pour veiller à se conformer à la Convention, même face à des obstacles d’ordre pratique[4].
Le Commentaire mis à jour apporte donc la preuve que les Conventions de Genève demeurent toujours un corpus juridique adéquat. Elles permettent de sauver des vies et de respecter la dignité des personnes dans les situations de conflit armé.
Conclusion : travailler à une compréhension qui soit commune à tous
Les premiers Commentaires des Conventions de Genève du CICR sont très connus de ceux qui pratiquent le droit international humanitaire. C’est pourquoi, si l’on veut que les Conventions de Genève atteignent leur but, par exemple pour la Troisième Convention, celui de protéger les prisonniers qui se trouvent aux mains de l’ennemi, leurs dispositions doivent être connues de tous et leur sens bien compris.
Les nouveaux Commentaires sont bien plus qu’une simple publication interne. S’ils constituent, au départ, un projet collectif interne au CICR, le processus de rédaction de la mise à jour du Commentaire de la Troisième Convention, a impliqué des dizaines de contributeurs externes, un examen par les pairs auquel ont participé une cinquantaine d’experts du monde entier, ainsi qu’un comité éditorial composé de six juristes confirmés, du CICR et externes au CICR, qui ont revu près de 10 000 projets de textes (ce qui représente près de 70 versions différentes pour chacun des 143 articles de la Convention). Ensemble, toutes ces personnes, dévouées, expérimentées et chevronnées ont grandement contribué à la richesse des analyses que propose la version finalisée de ce Commentaire.
En précisant le statut des prisonniers de guerre et le traitement auquel ils ont droit, en replaçant leur capture à l’époque contemporaine, le Commentaire mis à jour de la Troisième Convention de Genève constitue ainsi tant une référence et un guide pour les praticiens, qu’un manuel pour les spécialistes. Par-dessous tout, nous espérons qu’à l’image de leur aïeul, le Commentaire Pictet, ce Commentaire mis à jour devienne une référence incontournable pour interpréter et appliquer la Troisième Convention de Genève, afin de garantir que, dans les décennies à venir, les prisonniers de guerre seront toujours traités avec humanité dans les conflits armés.
[1] Pour le moment, le Commentaire de la Troisième Convention de Genève est disponible en anglais uniquement, la version en français est en cours de rédaction.
[2] Voir, par exemple, la section C du commentaire mis à jour de l’article 2 commun (disponible en anglais uniquement).
[3] Pour en savoir plus, voir l’intervention du Brigadier Lisa Ferris, directrice des services juridiques de défense des New Zealand Defence Forces, lors du lancement en ligne du Commentaire mis à jour, à partir de la 49ème minute, sur le webinaire (disponible en anglais uniquement).
[4] Voir par exemple, les paragraphes 2264-2366 du commentaire mis à jour de l’article 34 (disponible en anglais uniquement).
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