Nous vivons tous actuellement une crise mondiale. La COVID-19 ne connait pas de frontières et, riche ou puissant, nul n’est épargné. Toutefois, si le virus ne choisit pas ses victimes, la gravité des conséquences de la pandémie n’est certainement pas la même partout.
Ce sont les hommes, les femmes et les enfants pris au piège des conflits armés – déplacés en raison des violences, vivant dans des pays dévastés par des années de guerres, de destructions, de détériorations des services essentiels – qui sont les plus vulnérables face à la pandémie en cours. À l’heure actuelle, dans le monde, près de 168 millions de personnes dépendent de l’assistance humanitaire, en raison d’un conflit, de violences ou de catastrophes naturelles. Aussi terrifiantes que peuvent paraître les conséquences sanitaires, sociales, psychologiques et économiques du coronavirus, ce n’est pas l’unique drame qui les accable : c’est une calamité qui vient simplement s’ajouter aux autres.
Pourquoi les zones de conflits sont-elles considérées comme une poudrière n’ayant besoin que de l’épidémie de COVID-19 pour exploser ? Il est évident que le problème vient en grande partie des conflits armés eux-mêmes. Au-delà des morts et blessures qu’ils provoquent, appauvrissement, déplacements et accès restreint aux services essentiels sont des conséquences ordinaires des conflits armés, notamment des conflits armés qui s’éternisent. Même dans les situations où les règles sont respectées, la conduite de la guerre peut causer des dommages considérables et avoir d’importantes conséquences humanitaires à long terme, comme des déplacements qui s’installent dans la durée, l’absence d’accès aux services essentiels et la dégradation des moyens de survie des individus et de la société.
Cependant, si dans une situation de conflit, les causes premières de la dégradation des services essentiels, notamment des services de santé, sont complexes et multiples, le CICR répète avec insistance que le respect du droit international humanitaire (DIH) contribuerait efficacement à réduire les souffrances des populations et à limiter les conséquences humanitaires des conflits. Pour garantir la protection des services essentiels, à court terme comme à long terme, il faut d’abord et avant tout que les parties à des conflits armés respectent fidèlement les règles existantes du droit international humanitaire.
C’est là une cause profonde du problème qui ne doit pas être oubliée. Ce sont des années de manque de respect par des États et d’autres belligérants de leurs obligations à l’égard des populations sous leur contrôle, telles que fixées par le droit international humanitaire et le droit international des droits de l’homme, qui ont mené à l’extrême vulnérabilité des populations affectées par les conflits armés à la COVID-19, à la destruction de services essentiels tels que l’eau, l’assainissement et les soins de santé.
Maintenant, nous en sommes là, à une nouvelle croisée des chemins, mais avec des signaux qui nous sont familiers. À long terme, une politique de santé publique en réponse à la pandémie et un respect des protections juridiques fondamentales n’iront pas l’une sans l’autre. Dans cette perspective, la division juridique du CICR a publié un document récapitulatif des dispositions fondamentales du DIH, applicables à la pandémie de COVID-19 dans les situations de conflits armés, que nous devons tous bien garder à l’esprit lorsqu’une pandémie frappe un pays en guerre.
Le personnel médical, les établissements et moyens de transport sanitaires
Article 3 commun aux CG I-IV ; articles 19, 23, 24, 25, 26 et 35, CG I ; article 36, CG II ; articles 14, al. 1, 15, 18, 20–21 et 56, CG IV ; articles 12, 15–16 et 21, PA I ; articles 10 et 11, PA II ; règles 25, 26, 28, 29 et 35 de l’Étude du CICR sur le droit international humanitaire coutumier (DIHC)
Il faut des établissements médicaux dotés d’un personnel suffisant et bien équipés en appareils médicaux pour dispenser des soins à grande échelle, comme le démontrent l’a pandémie de COVID-19 et les besoins qu’elle génère. Selon le DIH, le personnel médical, les unités et moyens de transport sanitaires exclusivement affectés à des fonctions sanitaires doivent être respectés et protégés en toutes circonstances. Dans les territoires occupés, la puissance occupante est également garante de l’hygiène et de la santé publiques et doit veiller au bon fonctionnement des établissements et services médicaux et hospitaliers. De plus, le DIH prévoit la possibilité de créer des zones sanitaires dédiées au règlement de la crise actuelle.
L’eau
Articles 54, par. 2 et 57, par. 1, PA I ; articles 13, par. 1 et 14, PA II ; règles 15 et 54 de l’Étude du CICR sur le DIHC
Les installations d’approvisionnement en eau sont d’une importance capitale dans la crise actuelle. Dans les situations de conflit armé, beaucoup de ces installations ont été détruites par les combats au fil des années. Toute rupture d’approvisionnement implique que des milliers de civils ne seront plus en mesure d’appliquer les mesures de prévention essentielles, telles que le lavage fréquent des mains, ce qui peut entraîner une propagation plus importante du virus. Le DIH interdit expressément d’attaquer, de détruire, d’enlever ou de mettre hors d’usage des biens indispensables à la survie de la population civile, notamment les installations et réserves d’eau. De plus, dans la conduite des opérations militaires, toutes les précautions doivent être prises pour épargner les biens de caractère civil, notamment les installations et réserves d’eau.
Les secours humanitaires
Article commun 3 et articles 9/9/9/10, CG I-IV ; articles 70 et 71, PA I ; art. 18, par. 2, PA II ; règles 55-56 de l’Étude du CICR sur le DIHC
L’action humanitaire dans les pays touchés par les conflits armés est essentielle car elle sauve des vies dans la crise actuelle. Selon le DIH, il incombe au premier chef à chaque partie à un conflit armé de subvenir aux besoins essentiels de la population placée sous son contrôle. Les organisations humanitaires impartiales comme le CICR ont le droit d’offrir leurs services. Une fois que les parties concernées auront consenti aux actions de secours, les parties au conflit et les États tiers autoriseront et faciliteront le passage rapide et sans encombre des secours humanitaires, sous réserve de leur droit de contrôle (par ex. en adaptant les restrictions aux déplacements liées à la pandémie pour permettre aux victimes d’accéder aux biens et services humanitaires).
Les personnes particulièrement à risque
Article commun 3 aux CG I-IV ; articles 12 et 15, CG I ; art. 16, CG IV ; art. 10, PA I ; art. 7, PA II ; règles 109, 110 et 138 de l’Étude du CICR sur le DIHC
Certains groupes de personnes, comme les personnes âgées, celles qui ont un système immunitaire affaibli ou qui présentent déjà des pathologies, risquent de tomber gravement malades si elles sont infectées par la COVID-19. D’autres, comme les personnes handicapées, peuvent se heurter à divers obstacles (par exemple physiques, ou à des difficultés de communication) qui les empêchent d’accéder aux services de santé dont elles ont besoin ou peuvent éprouver des difficultés particulières à appliquer les mesures d’hygiène requises pour prévenir l’infection (par ex. la distance sociale peut être impossible à respecter quand on dépend d’autres personnes pour les tâches de la vie quotidienne). Le DIH oblige les parties à un conflit à respecter et à protéger les blessés et les malades et à prendre sans tarder, chaque fois que les circonstances le permettent, toutes les mesures possibles pour les rechercher, les recueillir et les évacuer, sans distinction de caractère défavorable. Ils doivent recevoir, dans toute la mesure possible et dans les délais les plus brefs, les soins médicaux qu’exige leur état. Aucune distinction fondée sur des critères autres que médicaux ne doit être faite entre eux. De plus, selon les dispositions du DIH, les personnes âgées, les invalides et les infirmes touchés par les conflits armés ont droit à une protection et un respect particuliers.
Les détenus
Articles 22, al. 1, 23, al. 1, et 29-31, CG III ; articles 83, al. 1, 85, al. 1 et 91–92, CG IV ; art. 5 par. 1, lettre b et par. 2, lettre c, PA II ; règles 118 et 121 de l’Étude du CICR sur le DIHC
Les lieux de détention – qui sont souvent surpeuplés, mal ventilés et offrent des conditions d’hygiène insuffisantes – posent un problème majeur lorsqu’il s’agit de prévenir et d’enrayer des maladies infectieuses comme la Covid-19. Selon le DIH, la santé et l’hygiène des détenus doivent être préservées, et les détenus malades doivent recevoir les soins médicaux qu’exige leur état. Dans la situation actuelle, les nouveaux arrivants devraient subir un test de dépistage du virus, et les mesures d’hygiène devraient être renforcées (par ex. par l’installation de postes de lavage des mains, la fourniture de savon et d’autres articles de nettoyage et la création d’unités d’isolement) pour prévenir la propagation de la maladie.
Les personnes déplacées à l’intérieur de leur pays, migrants, demandeurs d’asile et réfugiés
Toutes les règles s’appliquant à la population civile en général ; parmi les règles spécifiques, citons les articles 35, 44, 45, al. 4, 49, 70, al. 2, 147, CG IV ; art. 73, PA I ; art. 17, PA II ; règles 105, 129 et 131 de l’Étude du CICR sur le DIHC
Les personnes déplacées à l’intérieur de leur pays, migrants, demandeurs d’asile et réfugiés sont particulièrement exposés à la pandémie de COVID-19, à cause des conditions de vie rudes qui sont souvent les leurs et de leur accès limité aux services de base, notamment aux soins de santé. Les civils déplacés ont le droit d’être accueillis dans des conditions satisfaisantes de logement, d’hygiène, de salubrité, de sécurité et d’alimentation. Les personnes exposées à la pandémie de COVID-19 dans les camps peuvent vouloir se déplacer pour se mettre en sécurité, ce qui peut amener les populations locales et/ou les autorités à utiliser la force pour les contenir, par exemple en transformant les camps en centres de détention isolés. Le DIH protège tous les civils contre les effets des conflits armés et contre la privation arbitraire de liberté, et dispose qu’ils ont accès aux soins de santé sans distinction de caractère défavorable.
Les enfants et l’éducation
Articles 13, 24, 50, al. 1, 94, 108 et 142, CG IV ; art. 4, par. 3, lettre a, PA II ; règle 135 de l’Étude du CICR sur le DIHC
De nombreuses écoles ont été temporairement fermées pour prévenir la propagation de la COVID-19. Bien que ce soit une mesure importante de prévention, cette décision rompt une nouvelle fois la continuité de l’enseignement là où le conflit armé l’a peut-être déjà interrompu. Ces interruptions de la scolarité ont des conséquences à long terme et il est important que les efforts pour en assurer la continuité n’apparaissent pas accessoires en temps de crise. Le DIH comporte des règles qui obligent les parties au conflit à faciliter l’accès à l’éducation, et la pratique des États indique que l’accès à l’éducation fait partie du respect et de la protection particuliers dus aux enfants dans le droit coutumier. Il est urgent qu’ils prennent des mesures pour éviter que la scolarité ne soit interrompue et faire en sorte que les enfants puissent la poursuivre chez eux.
Les régimes de sanction et autres mesures de restriction
Article commun 3 et articles 9/9/9/10, CG I-IV ; articles 70 et 71, PA I ; art. 18, par. 2, PA II ; règles 31, 32, 55-56 et 109-110 de l’Étude du CICR sur le DIHC
La crise actuelle de la COVID-19 oblige à mobiliser d’importantes ressources humanitaires, souvent rares dans les pays touchés par un conflit armé. Les sanctions et autres mesures de restriction actuellement en place peuvent faire obstacle à une action humanitaire impartiale dans ces pays, au détriment des plus vulnérables. Les régimes de sanctions et autres mesures de restriction qui empêchent les organisations humanitaires impartiales comme le CICR de conduire leurs activités exclusivement humanitaires dans le respect de leurs principes sont incompatibles avec la lettre et l’esprit du DIH. Les États et organisations internationales qui font appliquer ces mesures devraient s’assurer qu’elles ne sont pas en conflit avec le DIH et n’ont pas de conséquences néfastes pour les ripostes humanitaires à la COVID-19, fondées sur des principes. Ils devraient concevoir des mesures efficaces pour atténuer ces conséquences, telles que des exemptions pour les organisations humanitaires impartiales.
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