Anesthésiste, Nathalie a pour passion son métier. Malgré tout, fatiguée  par l’approche gestionnaire des soins de santé en France qui, selon elle, est comparable à celle d’une entreprise, elle a décidé de pratiquer différemment son métier. Depuis cinq ans, elle alterne des périodes de pratique dans un hôpital en France et des vacations pour le CICR sur le terrain. Elle a ainsi trouvé un équilibre en consacrant trois à six mois par année aux victimes des conflits.

« Lorsque j’ai entendu pour la première fois parler des missions ponctuelles avec le Comité international de la Croix-Rouge, je n’étais pas vraiment tentée par l’expérience. J’avais peur de l’impact que pourraient avoir sur moi la violence et les combats, puisque je n’étais pas du tout familière à cela. Puis, après en avoir discuté avec des confrères qui travaillaient pour le CICR, je me suis dit que j’allais postuler. Je me suis dit « Si je n’arrive pas à gérer la situation, je rentrerai chez moi ». Ma première affectation était pour le Soudan du Sud.

Quel est le point commun de vos différentes missions humanitaires ?

Elles sont toutes uniques. En Afghanistan, je faisais beaucoup d’évaluation de situation. J’animais également des formations médicales pour les soignants qui étaient sur place. Mais je ne participais pas beaucoup aux opérations.

En ce moment*, je suis à Goma, en République Démocratique du Congo. Ici les choses sont différentes. Je suis en effet la seule anesthésiste sur place. De ce fait, je suis tout le temps de garde. Je dois aussi m’adapter à la situation, avec du matériel, des techniques et des médicaments parfois limités.

Y-a-t ’il un souvenir qui restera gravé à jamais dans votre mémoire ?

Quand j’étais au Soudan du Sud, j’ai rencontré une femme plutôt âgée. Elle, jamais je ne pourrai l’oublier.

Quand elle est arrivée dans notre hôpital, elle avait une blessure béante à la jambe. Ses proches avaient enveloppé la plaie dans des feuilles de bananier. Ses os, eux, étaient maintenus par une attelle fait-maison créée avec deux énormes cuillères en bois. Quand on a déballé la plaie, elle était infectée et pleine de vers…

Deux semaines plus tôt, elle avait été touchée par une balle alors qu’elle travaillait ses terres. Cela faisait deux semaines qu’elle endurait une douleur très certainement insoutenable.

Si nous n’étions pas intervenus, elle serait sans doute décédée dans d’atroces souffrances. Nous l’avons soignée de notre mieux, mais nous n’avons pas pu sauver sa jambe. Nous avons dû l’amputer, mais au moins elle a survécu. Elle a ensuite été suivie par nos collègues prothésistes, qui lui ont donné une prothèse, pour lui permettre de reprendre une vie, un tant soit peu, plus normale.

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Humainement, qu’est-ce que ces missions vous apportent ?

Travailler pour le CICR est une aventure humaine incroyable. J’apprends beaucoup grâce à mes collègues, concernant mon travail mais aussi me concernant. En fonction de nos cultures, certaines choses paraissent évidentes, mais ne le sont pas du tout. Par exemple, j’ai remis en question certaines de mes « vérités » car elles ne l’étaient pas pour le chirurgien pakistanais avec lequel je travaillais. J’ai appris à comprendre que nous avions tous nos vérités en fonction de notre culture et de notre vécu.

Sur le plan uniquement de l’anesthésie, j’adore ce que je fais en mission. C’est un travail basé avant tout sur l’esprit d’équipe. Vous permettez au chirurgien de pouvoir faire son travail, tout en évitant aux patients de souffrir, voire de mourir.

Ce que j’aime aussi dans ce métier, c’est de pouvoir transmettre les connaissances que j’ai accumulées au fil de mes années d’expérience.

Quels conseils donneriez-vous aux anesthésistes qui souhaitent partir en mission humanitaire ?

Lorsque vous décidez de partir en mission humanitaire, vous devez tout d’abord être mature et ensuite conscient.e de vos propres limites, faiblesses et besoins. Il faut que vous soyez conscients des mécanismes sur lesquels vous pouvez vous appuyer pour mieux gérer votre anxiété, votre tristesse, votre irritabilité, vos malentendus avec vos collègues et aussi parfois votre solitude.

Cela dit, si une mission a du sens pour vous et que vous êtes capables de vous adapter à chaque situation, avec du matériel et des médicaments limités, alors tentez l’expérience ! La satisfaction que vous en retirerez sera forte.

Par ma part, j’ai eu la chance de vivre des expériences enrichissantes et d’accomplir des tâches que je ne ferais jamais en France.»

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*Au moment de l’interview.

Soudan du Sud, Akobo, hôpital départemental. Une chirurgienne du CICR opère un patient qui a reçu une balle dans la jambe. Florian Seriex, mars 2020