Dans l’Est de la République démocratique du Congo, la guerre ne cesse de marquer les corps et les esprits. Alors que les combats s’intensifient, les civils sont pris au piège d’une violence qui ne leur laisse aucun répit. Fuyant sous le feu des roquettes et des obus, des millions de personnes ont dû abandonner leur foyer et trouver refuge dans des camps où l’avenir reste incertain. Mais pour beaucoup, les conséquences du conflit sont imprimées dans leur chair. À l’hôpital Ndosho de Goma, les victimes affluent, témoignant d’une réalité brutale où les amputations s’imposent comme une réalité quotidienne. Face à ces pertes irréversibles, le programme de réadaptation physique du CICR tente de redonner espoir à ces corps meurtris, en leur permettant de retrouver leur mobilité et leur dignité.

Un reportage photographique de Hugh Kinsella Cunningham, lauréat de l’édition 2024 du Visa d’or humanitaire du CICR.

Des enfants escaladent les flancs d’un cratère de volcan éteint au-dessus du camp de Lushagala, où vivent plus de 10 000 civils déplacés. © Hugh Kinsella Cunningham

Fuir pour survivre : des millions de Congolais contraints à l’exil

Avec 4,6 millions de déplacés internes recensés, les provinces du Nord et du Sud-Kivu font de la RDC l’un des principaux territoires d’accueil pour les populations déracinées à l’intérieur de leurs propres frontières. Ces familles, souvent déplacées à plusieurs reprises, ont tout perdu : foyer, terres agricoles, sources de revenus. Entassées dans des camps surpeuplés ou hébergées par des proches eux-mêmes en difficulté, elles survivent dans des conditions précaires. L’accès à l’eau potable, à la nourriture et aux soins médicaux est un défi quotidien, aggravé par le manque d’infrastructures et la persistance des violences. Face à cette urgence, les organisations humanitaires tentent d’apporter une réponse, mais les besoins dépassent largement les ressources disponibles.

À gauche : Des civils attendent une distribution alimentaire au camp de déplacés du Lac Vert. / À droite : Une jeune fille revient d’un point de distribution d’eau dans le camp de déplacés de Lushagala. © Hugh Kinsella Cunningham

Zawadi Furaha et Chance, sa fille blessée, au camp de déplacés de Lushagala. © Hugh Kinsella Cunningham

« Nous avions fui les combats près de notre village à Bweremana, mais il ne nous restait plus rien. La faim nous a forcés à revenir, et nous sommes retournés dans les champs pour chercher de la nourriture. Une fois sur place, des membres du M23 étaient proches et ont tiré sur ma belle-mère. J’ai pris la fuite alors qu’ils tiraient aussi sur moi, et je me suis cachée dans des plantes. C’était à 9 heures du matin. Je suis restée cachée jusqu’à 16 heures, lorsque mon mari est venu me chercher. Il a rampé pour éviter d’être repéré. Il m’a retrouvée blessée et m’a mise en sécurité. » — Zawadi Furaha.

Le volcan actif du Mont Nyiragongo au-dessus des camps de déplacés qui entourent la ville de Goma dans la province du Nord-Kivu. © Hugh Kinsella Cunningham

Hôpitaux sous pression : un afflux de blessés sans précédent

Avec l’intensification des combats dans le Nord et le Sud-Kivu, les hôpitaux sont submergés. Depuis janvier 2025, plus de 1 400 blessés par arme ont été admis dans 4 hôpitaux soutenus par le CICR. Près de la moitié d’entre eux sont des civils, parmi lesquels de nombreuses femmes et enfants. Que ce soit à Goma, Beni ou Bukavu, les structures médicales sont à saturation : patients entassés dans les couloirs, réfectoires transformés en salles d’hospitalisation, parkings aménagés en zones de triage. 

Faute de moyens suffisants, les soignants font face à une pénurie critique de matériel médical, compliquant encore davantage la prise en charge des victimes. Alors que les besoins médicaux sont plus urgents que jamais, l’accès aux soins demeure un défi de taille dans cette région en proie à des violences incessantes.

Bloc opératoire de l’hôpital Ndosho de Goma. © Hugh Kinsella Cunningham

Radiographie d’un patient de l’hôpital qui a été blessé dans une embuscade. © Hugh Kinsella Cunningham

Réparer les survivants

Face à la recrudescence de la violence dans l’Est de la RDC, les amputations sont devenues une réalité tragique pour de nombreuses victimes du conflit. Entre 2023 et 2024, le programme de réadaptation physique du CICR a fabriqué plus de 400 prothèses et orthèses pour les blessés. Ces appareillages ne sont pas seulement des dispositifs médicaux, ils sont une bouée de sauvetage, offrant aux personnes mutilées une chance de retrouver leur mobilité et leur dignité. 

À gauche : Chantale Kapinga essaie sa nouvelle prothèse de jambe. Elle a été touchée au bassin par un tireur lors d’un raid nocturne. / À droite : Des membres du personnel fabriquent de nouvelles prothèses au centre orthopédique de Shirika de Goma. © Hugh Kinsella Cunningham

Naomi Kabuo, qui a perdu son bras gauche et l’usage de ses jambes après avoir été touchée par un obus de mortier, est amenée au centre orthopédique de Shirika par sa mère, Nadine. © Hugh Kinsella Cunningham

Naomi Kabuo tente de renforcer sa technique de marche. © Hugh Kinsella Cunningham

« J’étais à l’extérieur quand une bombe est tombée. Je l’ai même vue atterrir. Des éclats m’ont transpercé le corps. Un frisson m’a traversé. J’ai été blessée à la jambe, au bras et aux mains. J’avais l’impression d’être étranglée. Je suis tombée au sol et j’ai vu le sang couler de mes blessures. Devant moi, j’ai vu mes os sur le sol, mais je n’ai ressenti aucune douleur.

Les voisins m’ont trouvé blessée et ont crié pour qu’une moto vienne m’emmener recevoir les premiers soins. J’ai perdu connaissance avant même que l’ambulance n’arrive. Je me suis réveillé après mes opérations. » — Naomi Kabuo

Grace, un garçon de 10 ans qui a été blessé par balle à la tête par des membres du M23, est soigné par son frère James après son opération. Depuis sa blessure, Grace est incapable de parler. © Hugh Kinsella Cunningham

 

Rosette Katungu, blessée par balle lors d’une embuscade qui a coûté la vie à sa grand-mère, s’entraîne à garder l’équilibre sur sa nouvelle prothèse de jambe. © Hugh Kinsella Cunningham