Derrière les conflits armés en République démocratique du Congo (RDC), se cache une réalité douloureuse et silencieuse, celle des victimes de violences sexuelles. Avec l’intensification du conflit dans la province du Nord-Kivu, les cas de violences sexuelles se sont multipliés. 12 600 victimes recensées entre janvier et mars 2024. Face aux conséquences psychologiques, physiques et sociales, la Croix-Rouge de la RDC offre aux personnes survivantes un refuge et du soutien dans ses « maisons d’écoute ». Certaines des victimes ont accepté de nous partager leur témoignage bouleversant.

Photos et témoignages recueillis par Alyona Synenko.
Les noms ont été changés pour préserver l’anonymat des personnes.

 

Témoignage de Françoise

© Alyona Synenko/ICRC

Françoise, 17 ans, a fui son village à l’approche des combats. Elle vit dans un camp de personnes déracinées par le conflit en périphérie de Goma, dans la province du Nord-Kivu.

« J’ai commencé à aller dans la forêt avec d’autres femmes pour ramasser du bois et le vendre », a-t-elle expliqué. « Il y a environ deux semaines, nous sommes tombées sur un groupe d’hommes armés en uniforme. Nous avons couru et ils nous ont poursuivies. Deux d’entre eux m’ont attrapée, alors que je ne pouvais plus courir parce que j’étais tombée. Ils m’ont violée l’un après l’autre. Ils n’ont rien dit. Je voyais bien qu’ils avaient peur eux aussi.

Quand j’ai pu me relever et marcher, je suis rentrée au camp en cachant mes vêtements déchirés. J’avais peur de tomber enceinte. J’avais peur d’en parler à quelqu’un. Je me sentais inutile et seule, et j’étais terrorisée. Finalement, je me suis décidée à tout raconter à des femmes plus âgées, et elles m’ont envoyée [à la maison d’écoute]. »

Il y existe en RDC une corrélation directe entre l’augmentation des violences sexuelles d’une part, et l’intensification des hostilités et la fragmentation des acteurs armés à l’est du pays d’autre part. Plus de la moitié des femmes de RDC ont été exposées à une forme ou une autre de violence physique, et plus de 27 % ont rapporté avoir subi des violences sexuelles dans le cadre de conflits armés.

 

Témoignage de Trésor

© Alyona Synenko/ICRC

Si la grande majorité des personnes survivantes sont des femmes et de jeunes filles, des hommes figurent également parmi les victimes.

Alors qu’ils ramassaient du bois de chauffage, Trésor et un ami se sont retrouvés face à quatre hommes armés. Ceux-ci leur ont dit de se mettre à terre et d’enlever leur pantalon.

L’homme de 57 ans se souvient : « « Je ne suis pas une femme ! Qu’est-ce que vous faites ? », leur ai-je crié. « Mettez-vous à terre et vous verrez bien », ont-ils répondu en hurlant. Je n’avais jamais entendu parler de ça avant. Des hommes qui attaquent des hommes de cette façon. Mon ami n’a pas survécu à l’attaque ».

Trésor est rentré au camp et a dit à sa femme ce qu’il s’était passé.

« Elle a essayé de me réconforter », a-t-il rapporté. « Elle m’a dit que ce n’était pas de ma faute. J’ai souffert terriblement pendant plusieurs jours. Puis je me suis décidé à venir à la « maison d’écoute ». Je suis resté longtemps dehors, j’avais trop honte de rentrer. Je croyais que ça n’arrivait qu’aux femmes. Je n’arrive toujours pas à dormir, mais je suis content d’être venu. J’espère que ça ira mieux un jour. »

Bien qu’étant strictement interdites par les lois internationales et domestiques, les violences sexuelles restent pour les femmes et les jeunes filles, mais aussi pour les hommes et les jeunes garçons, l’un des principaux enjeux de protection en République démocratique du Congo.

Témoignage de Henriette

© Alyona Synenko/ICRC

Henriette a fui son village au mois de novembre dernier. Son mari a disparu. Pour nourrir ses enfants, cette femme de 30 ans ramasse et vend du bois de chauffage. Dans la forêt proche du camp de personnes déplacées où elle vit, elle s’est retrouvée séparée de ses amis. C’est à ce moment qu’elle a été violée par un homme qui était armé d’une machette.

« Je pensais à mes enfants et j’étais terrifiée », a-t-elle raconté. « Il m’a poussée dans un trou dans le sol et m’a violée. Après, il m’a dit de partir et de ne jamais revenir. Que j’avais de la chance qu’il ne m’ait pas tuée.

Après mon retour au camp, je ne suis pas sortie pendant plusieurs jours. Je voulais me jeter dans le lac, et si je ne l’ai pas fait, c’est seulement parce qu’il n’y avait personne pour s’occuper de mes enfants.

Un jour, j’ai entendu des gens de la Croix-Rouge parler des « maisons d’écoute ». J’avais peur de m’approcher. Peur de ce que les voisins pourraient penser. Mais j’ai bien écouté de loin ce qu’ils disaient et je suis venue ici quand ils sont partis. On m’a envoyée à la clinique et on m’a dit que j’étais enceinte.

Il y a tant de questions qui se bousculent dans ma tête : « Qu’est-ce que je vais faire ? Comment vais-je nourrir mes enfants ? Qu’est-ce que mon mari va dire s’il revient ? »

Mais je sais au moins que je ne suis pas toute seule. Il y a tant d’autres femmes à qui ça arrive. Et ça aide un peu d’une certaine manière. »

En RDC, indépendamment des séquelles physiques et mentales, les victimes et les personnes survivantes d’actes de violences sexuelles doivent faire face à toutes sortes de conséquences, parmi lesquelles le rejet social et l’exclusion économique. Plus de 50 % de toutes les femmes concernées indiquent qu’elles refusent de demander de l’aide ou de se confier aux membres de leur famille. Cette proportion est encore plus importante chez les enfants et les hommes qui ont subi de telles violences.

 

Témoignage de Sifa

© Alyona Synenko/ICRC

Sifa, 16 ans, a été violée par des hommes armés alors qu’elle ramassait du bois de chauffage à proximité de son village. Elle se trouve maintenant dans un camp de personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays près de Goma et raconte ce qu’il s’est passé :

« Ils m’ont dit : « Nous ne toucherons pas ta grand-mère, sinon elle nous jettera un sort ». Puis ils m’ont renversée à terre et m’ont violée l’un après l’autre », a-t-elle dit.

« Quand nous sommes rentrées au village, ma grand-mère n’arrêtait pas de me dire que je devais être forte. Elle a dit aussi que ce serait mieux si je ne racontais à personne ce qui s’était passé. Que ça devait être notre secret. Le mois d’après, je n’ai pas eu mes règles.

Quand la guerre est arrivée à Masisi, nous avons fui et nous sommes venus ici, ma grand-mère, mes quatre petits frères et moi. On m’a dit au centre de santé que j’étais enceinte de cinq mois.

J’étais triste. Mais je savais aussi qu’être triste ne changerait rien. »

Les enfants de RDC sont particulièrement vulnérables. Ils sont exposés à des risques accrus de violences sexuelles lorsqu’ils sont séparés des membres de leur famille, ce qui arrive fréquemment lors des déplacements. Les jeunes garçons et les jeunes filles risquent d’être enrôlés par des groupes armés et d’être ainsi exposés à la violence, y compris aux violences sexuelles.


L’action du CICR en RDC

Le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) soutient, avec la Croix-Rouge de la RDC, les « maisons d’écoute » qui se trouvent dans la périphérie de Goma. Les personnes survivantes y reçoivent une assistance psychosociale, et sont orientées vers les structures sanitaires les plus proches ou soutenues par le CICR pour la prise en charge médicale. Une aide financière est accordée sur base des besoins identifiés par les équipes multidisciplinaires.

Au cours de la seule année 2023, le CICR a fourni en RDC des services de santé mentale et de soutien psychologique à 3 233 personnes survivantes et victimes de violences sexuelles.

Le CICR a lancé en 2022 son programme pluriannuel et multi-pays de prévention des violences sexuelles. L’objectif est de réduire les risques d’occurrence de ces violences et de contribuer aux efforts de prévention en se concentrant sur les attitudes et les pratiques qui conduisent au passage à l’acte ainsi que sur la stigmatisation des victimes et des personnes survivantes.

La RDC a été choisie pour faire partie des premiers pays dans lesquels le programme doit être testé. C’est à ce titre que les équipes du CICR, en s’appuyant sur les liens déjà établis avec les porteurs d’armes, s’efforcent d’introduire de nouvelles méthodes permettant de mieux comprendre, évaluer et influencer les comportements qui favorisent le respect du droit international humanitaire et la prévention des violences sexuelles.

Les premières conclusions tirées de l’expérience acquise en RDC et ailleurs soulignent clairement à quel point les porteurs d’armes engagés dans des conflits comprennent mal leur rôle spécifique en matière de prévention et de gestion des préjudices causés par les violences sexuelles.

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