Dunant ? Chacun sait à peu près qu’il fut le visionnaire de l’action et du droit international humanitaires. En revanche, le définitif misanthrope torturé reste méconnu…

Que ne sait-on déjà du Genevois Henry Dunant (1828-1910) ? Qu’il fut l’inventeur, à 20 ans, du YMCA, ou plutôt de l’Union chrétienne de jeunes gens dont la branche américaine passera à la postérité ? Qu’il fut le témoin indigné, dégoûté, traumatisé de la bataille de Solférino (1859) dont il narra par le menu toute l’horreur ? Que de cette expérience, il écrivit « Un souvenir de Solférino » (1862), ferment de l’action et du droit international humanitaires ? Qu’il demeure l’icône de l’œuvre de la Croix-Rouge (1863) dont découlera une année plus tard, la première Convention de Genève (1864) ? Que le CICR sera bâti par son ennemi intime, Gustave Moynier, alors que lui était banni (1867) pour banqueroute et mauvaises affaires ? Qu’il fut le fondateur de la Croix-Rouge française (1864), comme il fut lauréat du premier Prix Nobel de la Paix (1901) qu’il partagea avec le député français pacifiste, Frédéric Passy ?

Oui on sait tout cela… En revanche, Dunant l’apocalyptique, de l’ado tourmenté par le contesté pasteur Louis Gaussen  au vieillard reclus de la pension « paradis » à Heiden en Suisse alémanique, demeure méconnu. Dunant a passé les 25 dernières années de sa vie « caché », loin de ses « ennemis » et créanciers.

Pamphlétaire et mystique

Durant cette période, il écrivit ses mémoires, des pamphlets, puissants, qui mériteraient d’être redécouverts. Il y produisit aussi, dans les années 1880, au moins « 4 diagrammes » inspirés par le Livre de Daniel et de l’Apocalypse. Etranges tableaux, étrange chronologie de Noé à nos temps, exégèse syncrétique délirante d’un visionnaire sombré dans la misanthropie.

In fine, l’attribution du premier Prix Nobel de la Paix en 1901 (qu’il avait su savamment négocier en sous main avec la philanthrope baronne Bertha Von Suttner) lui donna la gloire ; au grand dam de l’ennemi Gustave Moynier, qui lui, se contentera de présider le CICR quarante années durant. Les deux moururent en 1910, juste avant la première Apocalypse du XXème, apocalypse que Dunant avait pressentie dans son impressionnant pamphlet : « l’avenir sanglant ».