« Nasaan ang anak ko ? (Où est ma fille) », demande Anne* en fixant Jennifer*. Il s’agit pourtant bien de sa fille qui, en trente ans, a pris des traits d’adulte.
Souriante, Jennifer, 36 ans, se pointe du doigt : « Mais c’est moi ! » Très perturbée, la mère observe la jeune femme qui présente une tache de naissance dans la nuque. En la voyant, elle comprend que Jennifer est bien sa fille, qu’elle n’a pas revue depuis plus de trente ans.
Partir pour subvenir aux besoins de sa famille
Jennifer n’avait que six ans lorsque sa mère est partie travailler en Malaisie. « A l’époque, je n’avais pas dit à ma mère que je comptais partir travailler à l’étranger. C’est sûr, elle aurait refusé. Je suis juste partie sans laisser de trace en pensant qu’à mon retour, ma famille comprendrait. Après tout, je partais travailler pour répondre à leurs besoins », déclare Anne.
En réalité, cette opportunité professionnelle se révèle être une arnaque. Elle enchaine ensuite les petits boulots qui n’ont pour point commun que le maigre salaire qu’ils génèrent.
En 2006, elle décide de revenir dans son pays d’origine. Mais, trop de temps s’est écoulé. Elle n’ose pas retourner dans sa famille, notamment chez sa mère : “Je pensais qu’elle me reprocherait d’être partie sans donner de nouvelles. Je me suis dit que la meilleure chose à faire pour elle et mes enfants était de faire la morte” se désole-t-elle, ajoutant qu’elle a préféré s’installer dans un village loin de sa famille et repartir à zéro.
Puis la détention
Peu de temps après sa réinstallation aux Philippines, elle est arrêtée en lien avec un conflit armé. Quelques mois après son arrestation, le CICR fait sa rencontre dans la prison de Taguig dans le cadre de ses visites aux personnes privées de liberté.
«Dans le monde entier, depuis plus d’un siècle, nous visitons les détenus en relation avec des conflits armés et la violence. Nous vérifions qu’ils sont traités avec dignité et surveillons leur état de santé. Autre activité peu connue et pourtant vitale pour les personnes concernées : nous aidons également à rétablir et à maintenir le lien entre les détenus et les membres de leur famille.», explique Alvin Loyola qui travaille pour le CICR aux Philippines.
Depuis sa prison, Anne découvre le programme de visites familiales (PVF) du CICR. Elle pense forcément à ses enfants et notamment à sa fille Jennifer qu’elle a pu localiser grâce à des proches. En 2020, grâce à ce programme, l’espoir de retrouver sa fille renait mais rencontre un obstacle de taille : la pandémie.
Réunies, enfin !
Finalement, en juillet 2022, le programme de visites familiales reprend. Jennifer, accompagnée d’une équipe du CICR, peut enfin retrouver sa mère détenue à l’Institut correctionnel pour femmes (CIW) de la ville de Mandaluyong.
Du côté d’Anne, elle ne sait pas vraiment comment l’accueillir : « Dois-je lui demander pardon ? Dois-je la prendre dans mes bras ? »
Avec trente années de questionnements en tête, Anne est ravie d’apprendre que sa fille a obtenu un diplôme supérieur grâce au soutien de sa grand-mère.
Désormais, dans le cadre des visites aux familles, Jennifer et ses proches pourront retrouver Anne deux fois par an avec le soutien du CICR.
*Les noms ont été changés pour protéger l’identité.
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