Le 3 septembre 1939, l’Allemagne nazie attaque la Pologne. Il lui faudra à peine plus d’un mois pour la défaire. Par le jeu des alliances, la France et la Grande-Bretagne déclarent la guerre aux forces du IIIème Reich. Ainsi démarre le conflit le plus meurtrier de l’histoire de l’Humanité. Plus de 60 millions de personnes seront tuées, soit 2,5 % de la population de la planète. Parmi les millions de soldats mobilisés, il y avait, en France, mon grand-père. Comme pour beaucoup d’enfants et de petits-enfants, l’histoire de la génération de mon aïeul demeurait floue.

François, c’est le prénom de mon grand-père né pendant la Première Guerre mondiale dont le destin sera scellé également à la Seconde Guerre mondiale. Décédé lorsque j’avais quatre ans, j’ai toujours su que mon grand-père avait fait la guerre, mais sans en connaitre les détails. A l’école, nous parlions bien entendu des millions de prisonniers de guerre capturés à cette époque, mais pour tenter peut-être de réparer les erreurs du passé, nous nous attardions davantage sur le sort des millions de civils, juifs, tziganes, homosexuels, handicapés, envoyés dans des camps de concentration avec le concours de la France de Vichy.

Durant toute mon adolescence, j’ai questionné mes proches pour tenter de connaître, de comprendre mes racines, celles de mon grand-père. Peu d’éléments m’ont alors été donnés et leurs remords ont commencé à faire surface puisqu’il était désormais trop tard pour trouver des réponses à ces questions. Contrairement à un grand nombre de soldats à leur retour, mon grand-père n’était pas fermé à l’échange, bien au contraire. Mais, on ne parle pas de ce qui nous affecte profondément dans une autre langue que sa langue maternelle. Mon grand-père racontait ses mémoires de guerre en breton uniquement avec ses frères, également frères d’armes, qui avaient grandi dans la langue bretonne, contrairement à leurs enfants.

Après sa disparition, les seuls éléments dont je disposais étaient que mon grand-père avait été capturé, puis fait prisonnier quelque part entre la Pologne et l’Ukraine, qu’il en était revenu très affecté aussi bien sur le plan tant physique que moral.

Ces quelques éléments me donnaient envie de poursuivre mes recherches. Je voulais savoir ce qu’il avait vécu, dans quelles conditions, où avait-il été capturé, où avait-il été emprisonné ?

En 2018, j’ai intégré le Comité international de la Croix-Rouge au service communication. Je me suis d’abord concentrée sur les conflits actuels pour mieux comprendre la situation en Syrie, au Yémen et en République démocratique du Congo, entre autres. Puis, un jour, je découvre sur le site de l’Institution que le CICR propose un service unique : permettre aux familles de rechercher des renseignements sur leurs proches, victimes des affres de la guerre.

Ce jour-là, je réalise qu’au fil de mes études puis du travail, j’avais abandonné mes questionnements à mon adolescence et qu’il était enfin temps de reprendre ma quête de réponses. C’est ainsi qu’en l’espace de quelques jours, je découvre un ensemble de documents écrits qui commencent à m’apporter des réponses. Tout d’abord, une photo qui se trouvait chez mes parents, au dos de laquelle se trouvait le message « Bonjour à toute la famille » accompagné du nom du stalag dans lequel mon grand-père était prisonnier. Avec le nom de ce stalag, je commence mes recherches dans les archives du CICR, accessibles à tous, et découvre avec effroi de nombreuses photos de ce camp qui me glacent le sang.

Quelques jours plus tard, le service des archives du CICR m’envoie la carte de captivité de mon grand-père. Je découvre alors qu’il a été fait prisonnier en mai 1940 en Belgique, probablement suite à la bataille de France. Mon grand-père faisait donc partie des 2 millions de prisonniers français à la merci des nazis.

Au gré de mes recherches, je tombe sur le blog du petit-fils d’un ancien prisonnier de guerre qui avait pris le temps de retranscrire ses mémoires dans l’objectif de les partager avec toutes les personnes, comme moi, en quête de réponses. Plus je lisais ses mémoires, plus je réalisais que le destin de mon grand-père devait être à quelques détails près, similaire à celui de ce prisonnier. Ils ont été capturés dans la même zone géographique et ont été envoyés dans le même camp de prisonniers.

Il y décrit son voyage en train éreintant entre le nord de la France et le Stalag VIII A de Gorlitz en Pologne, où les prisonniers étaient tous entassés, debout, dans des trains pour bétail pendant trois jours et trois nuits…

La suite, je ne saurais mieux la raconter que lui, extraite du blog rédigé par son petit-fils :

« Dès le premier jour, on nous a rasé la tête : nous ressemblions tous à un vrai troupeau de bêtes. Là, rassemblements sur rassemblements, nous étions pris toute la journée. Pour la nourriture : soupe de poisson séché, rutabaga (sorte de navets acides), 20 grammes de margarine, une boule de pain de seigle d’environ de 800 grammes pour 10 personnes et par jour. Café préparé avec des orties séchées ou de l’ersatz, sucre saccharine infecte et très peu souvent un peu de bière (acheté avec la valeur d’un mark donné pour un jour de travail)

Puis, des corvées quotidiennes répétées : nettoyage des baraques, des lits superposés sur trois étages, enlèvement de la paille des palliasses infectées de poux et de punaises, corvées d’eau et balayage du camp.

Les puces et les poux qui nous dévoraient, nous exposaient à des maladies telles que le typhus, où des dizaines de prisonniers russes mouraient journellement. Nous, Français malgré tout, nous étions vaccinés contre ce fléau grâce aux Conventions de Genève, auxquelles les Russes ne participaient pas. »

En relisant la dernière phrase, j’ai d’abord cru que les nazis avaient délibérément décidé de faire un maximum de victimes dans les rangs russes et de faire la distinction entre les soldats issus des pays signataires des Conventions de Genève* et les autres. Je crois aussi dans un premier temps que les Conventions de Genève ont épargné mon grand-père du Typhus.

Finalement, en interrogeant Daniel Palmieri, historien du CICR, j’ai pu mieux comprendre ce qui s’est réellement passé dans ce stalag :

« A mon avis, si le typhus a frappé aussi durement les Russes en captivité, c’est surtout parce que leurs conditions de détention, au niveau sanitaire, médical et alimentaire, étaient déjà très mauvaises par rapport à celles d’autres prisonniers de guerre. Leur organisme était donc moins résistant à toute maladie. Et si un lien est à faire avec la Convention de Genève, c’est l’absence générale de protection offerte aux Prisonniers de guerre soviétiques qui les a prétérités, plutôt que l’absence de soins liés spécifiquement à l’épidémie de typhus. » explique Daniel Palmieri.

 *Durant la Seconde Guerre mondiale, les Conventions de Genève ne protégeaient pas encore les civils, uniquement les soldats blessés ou capturés. Ce n’est qu’en 1949 qu’elles ont été étendues aux civils, victimes des conflits armés, internationaux.