Dans trois ans, les plus anciens films conservés aux archives du Comité International de la Croix-Rouge (CICR) fêteront leurs cent ans. Cent ans au cours desquels des générations d’équipes de tournage mandatées et de collaborateurs du CICR ont filmé les conséquences des guerres sur les populations civiles, ainsi que l’aide humanitaire apportée.
L’un des sujets récurrents des nombreuses productions conservées aux archives filmées du CICR est l’action en faveur des personnes déplacées à l’intérieur de leur pays ou réfugiées à l’étranger, suite aux nombreux conflits que ces cent dernières années ont connus. Si, dans ces films, l’évolution du matériel et des techniques cinématographiques, des années 1920 à nos jours, est incontestable, le choix des prises de vues demeure parfois inchangé. En effet, certaines productions présentent un schéma relativement semblable et, somme toute, assez logique, composé de trois types d’images intervenant souvent dans le même ordre : les populations fuyant les conflits, la vie dans les camps de déplacés ou réfugiés, et l’aide humanitaire apportée dans ces mêmes camps par des organisations telles que le CICR.
Ces scènes peuvent notamment être observées dans quatre films réalisés entre 1923 et 2017, présentés à titre d’exemples dans ce premier épisode – portant sur les prises de vues de populations en fuite – et dans le prochain – qui sera consacré aux images des camps et de l’aide humanitaire. Il s’agit de La guerre gréco-turque : action de secours en faveur des réfugiés grecs (1923), Opération survie, Biafra 1968 (1968), Les oubliés de la frontière : aspects de l’action du CICR sur la frontière thai-cambodgienne en 1984 (1984), et Iraq : battle for Mosul causes massive destruction of everyday life (2017).
Il convient de préciser que le but de cette série d’articles n’est pas de comparer les contextes des différents conflits, ni l’action du Comité International de la Croix-Rouge au cours des ans, mais de mettre en évidence certaines images que le CICR a choisi de filmer depuis les années 1920.
Fuir pour survivre : les déplacements de populations
Lors de conflits, les populations civiles sont souvent forcées de fuir leur domicile, leur région et parfois même leur pays, emportant avec elles des bribes de ce qui constituait leur vie. Qu’elles soient à pied, à dos de mulet ou à bord de véhicules en tout genre, de nombreuses personnes, tous pays et époques confondus, ont été filmées en route vers des lieux qu’elles espèrent plus sûrs.
Premier jalon de cette série, La guerre gréco-turque : action de secours en faveur des réfugiés grecs est l’un des premiers films que réalise le CICR, dans un souci de promotion et de légitimation de son action. Produit en 1923, il se situe, comme l’indique son titre, dans le contexte du conflit opposant la Grèce et la Turquie (1919-1922).
Alors que la fin des affrontements approche, en septembre 1922, des milliers de civils d’origine grecque sont contraints de quitter l’Asie Mineure, reconquise par les Turcs, et de s’installer de manière définitive en Grèce. Ces femmes, hommes et enfants en exode, à pied ou à dos de mulet, guidant leurs bœufs et charrettes lourdement chargées, forment un long convoi que la caméra de Joseph Hepp a capté sous différents angles.
La guerre gréco-turque : action de secours en faveur des réfugiés grecs (© CICR / HEPP, Joseph / 1923 / V-F-CR-H-00001-15) : 00:00:38 – 00:01:09
Filmant les réfugiés en plans relativement larges et de manière statique – en raison des limites du matériel cinématographique de cette époque – le caméraman se pose ici en spectateur éloigné des scènes qu’il immortalise. Ces images de réfugiés sur les routes sont les toutes premières que filme le CICR. Suivront bientôt de nombreuses situations similaires, dans les différentes parties du monde touchées par les conflits.
Tel est le cas quelque quarante ans plus tard : des prises de vues comparables sont filmées par le CICR dans un tout autre contexte et sur un tout autre continent. Nous sommes en 1968 au Biafra, une année après que cette région du sud-est du Nigéria a déclaré son indépendance, le 30 mai 1967, provoquant une guerre qui prendra fin en janvier 1970. Un échec pour le Biafra, qui se verra réintégré au Nigéria une fois le conflit terminé.
Sur place depuis le début des hostilités, le CICR réalise deux films en 1968 sur son action auprès de la population touchée par cette guerre. L’un d’eux est Opération survie, Biafra 1968 d’Adrien Porchet. Après plus d’une minute d’images très dures de rues détruites où se mêlent débris et victimes des combats, la population est filmée dans sa fuite des zones de conflit.
Opération survie, Biafra 1968 (© CICR / PORCHET, Adrien / 1968 / V-F-CR-H-00106) : 00:01:46 – 00:02:28
Hommes, femmes, enfants et vieillards sont contraints de quitter leurs foyers, tantôt à pied ou à vélo, tantôt entassés sur des camions. La caméra de Jérôme Santandrea se trouve au cœur du flot de personnes déplacées, captant le sourire furtif d’une femme, d’un enfant, perdus dans cette foule d’anonymes en mouvement.
Encore une vingtaine d’années plus tard, c’est en Asie du sud-est que des images similaires sont filmées par le CICR. Dans le long conflit opposant les forces vietnamiennes aux Khmers rouges du Cambodge dès décembre 1978, des milliers de personnes sont forcées de fuir leurs terres.
En 1980, la caméra d’Edouard Winiger filme une colonne ininterrompue de civils marchant en direction de la frontière khméro-thaïlandaise, cherchant refuge dans l’un des nombreux camps qui y ont été aménagés.
Les oubliés de la frontière : aspects de l’action du CICR sur la frontière thai-cambodgienne en 1984 (© CICR / WINIGER, Edouard / 1984 / V-F-CR-H-00148) : 00:02:59 – 00:03:24
A l’instar du film précédent, le cameraman se tient ici aussi aux côtés de la population qu’il filme, marchant dans le sens inverse de la colonne afin de capter les visages de ces nombreux hommes, femmes et enfants en exil. Alors que les réfugiés cambodgiens se déplacent en file indienne le long de la route, à l’arrière-plan, un homme vêtu d’habits clairs se tient à l’écart de la colonne. Immobile et fixant la population avec un appareil, cet individu est, tout comme Edouard Winiger, en train d’immortaliser la procession. Peut-être fait-il d’ailleurs partie lui aussi de l’équipe mandatée par le CICR, qui, selon le Rapport d’activité 1980, « a réalisé cinq films vidéo le long de la frontière khméro-thaïlandaise » [1]
Aujourd’hui encore, des images de civils fuyant les conflits sont saisies par les caméras du CICR. Tel est le cas de la vidéo Iraq : battle for Mosul causes massive destruction of everyday life tournée en mars 2017 dans la ville irakienne de Mossoul et ses environs. Suite aux affrontements opposant le groupe Etat islamique et les forces armées irakiennes, la population n’a d’autre choix que de tout abandonner et fuir la zone de combats.
Contrairement aux trois films précédents, cette vidéo a été montée très sommairement, sans commentaires ni sous-titres, et est destinée notamment à la diffusion dans les médias. De plus, tout comme les productions de ces dernières années, elle n’est pas aussi longue que ce qui se faisait auparavant ; il s’agit à présent davantage de clips que de documentaires.
Succédant à des scènes d’affrontements armés et au témoignage d’une personne déplacée, des groupes d’hommes et de femmes sont filmés quittant la ville à pied. Marchant parmi eux, caméra au poing, André Liohn enregistre des images poignantes d’hommes portant dans leurs bras des personnes âgées, ou poussant un fauteuil roulant lourdement chargé.
Iraq : battle for Mosul causes massive destruction of everyday life (© CICR / FOULKES, Imogen, ALZAWQAZI, Sarah / 2017 / V-F-CR-F-01749-N) : 00:00:55 – 00:01:36 et 00:02:22 – 00:02:45
Une fois arrivés à pied, en camions ou par tout autre moyen de transport dans des lieux plus sûrs, une nouvelle étape attend ces nombreuses familles déplacées ou réfugiées : la vie dans les camps, où s’organise l’aide humanitaire. Ce sujet sera traité dans le deuxième épisode de cette série.
[1] Rapport d’activité 1980, Genève : CICR, 1981, p. 84.
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