Il s’agit là du deuxième épisode de la série Filmer l’exode : entre permanence et évolution. Voir ou revoir le premier épisode.

Un lieu où dormir : les camps et l’assistance portée aux personnes déplacées ou réfugiées

 

Au cours de leur périple, les personnes touchées par les conflits et cherchant refuge ailleurs dans leur pays – on parle alors de personnes déplacées – ou à l’étranger – on parle dans ce cas de personnes réfugiées – sont généralement amenées à séjourner dans des camps. Ceux-ci sont parfois installés dans des bâtisses abandonnées, parfois montés en extérieur par les réfugiés ou déplacés eux-mêmes, ou par des organisations humanitaires telles que le Comité International de la Croix-Rouge (CICR).

Au cours des cent dernières années, qu’ils soient faits de bric et de broc ou de matériaux solides, créés provisoirement ou faits pour durer, ces camps ont souvent attiré l’objectif des caméras du CICR désireuses de documenter les conditions des personnes qui y vivent et l’assistance alimentaire, médicale, matérielle, etc. qui leur est apportée.

Succédant généralement aux scènes de populations en fuite, ces prises de vues peuvent notamment être observées dans les quatre films présentés dans le premier épisode de cette série : La guerre gréco-turque : action de secours en faveur des réfugiés grecs (1923), Opération survie, Biafra 1968 (1968), Les oubliés de la frontière : aspects de l’action du CICR sur la frontière thai-cambodgienne en 1984 (1984), et Iraq : battle for Mosul causes massive destruction of everyday life (2017). A nouveau, il n’est pas ici question de comparer les contextes ni l’action du CICR lors de ces différents conflits. Le but est de présenter des images relativement similaires enregistrées à la suite de déplacements de populations, des années 1920 à nos jours, preuve qu’en cent ans, certaines scènes retiennent toujours l’attention des caméras.

Contraints à un exil définitif suite à la reconquête de l’Asie Mineure par les Turcs, la population d’origine hellénique qui vivait jusqu’alors dans cette région afflue en Grèce entre les années 1922 et 1923. Arrivant par milliers sur la côte grecque, les réfugiés sont souvent obligés de camper « sur les quais des ports », comme l’indique le premier carton de l’extrait ci-dessous. Assis à même le sol, sur les trottoirs, ou entassés sous des arcades pour les plus chanceux, telles sont les conditions de vie de ces personnes, immortalisées par Joseph Hepp dans le film La guerre gréco-turque : action de secours en faveur des réfugiés grecs, 1923.

La guerre gréco-turque : action de secours en faveur des réfugiés grecs (© CICR / HEPP, Joseph / 1923 / V-F-CR-H-00001-15) : 00:01:12 – 00:02:03 et 00:02:12 – 00:02:25

Face à cet afflux important de réfugiés, le Comité international de la Croix-Rouge, de concert avec l’Union internationale de secours aux enfants, est le premier à apporter de l’aide en Grèce, envoyant une mission à Athènes en septembre 1922, dont fait partie le délégué Rodolphe de Reding [1]. Dès son arrivée, ce dernier est témoin des dures conditions dans lesquelles vivent ces exilés : « ils manquent de nourriture, campent en plein air, exposés à toutes les intempéries », révèle la Revue internationale de la Croix-Rouge [2].

Très vite, l’aide s’organise, les réfugiés sont logés dans des usines désaffectées ou sous des tentes, de la nourriture leur est distribuée – comme le dévoile brièvement l’extrait ci-dessus -, des cuisines et des dispensaires s’ouvrent dans plusieurs villes du pays. En outre, compte tenu de la particularité de cet exil massif de Grecs d’Asie Mineure forcés de s’installer en Grèce, des infrastructures doivent être mises en place pour les héberger sur le long terme. C’est dans ce but que sera construit le village « Embirikon » avec le soutien de la mission du CICR sur place [3].

Tout comme le film La guerre gréco-turque ci-dessus, le caméraman d’Opération survie, Biafra 1968, Jérôme Santandrea, présente les conditions de vie de la population obligée de fuir, une fois arrivée dans les camps improvisés. Après avoir quitté les zones de combats opposant les forces armées nigérianes et les indépendantistes biafrais, les civils filmés ici ont trouvé refuge dans des écoles abandonnées. Le surpeuplement de ces abris, première impression que donnent ces images, témoigne du déplacement massif de la population. Après une vue panoramique de l’intérieur d’une bâtisse, la caméra s’arrête sur de nombreux enfants, souffrant de malnutrition pour la plupart. En effet, conséquence du conflit, de l’afflux de centaines de milliers de déplacés et du blocus mis en place par le Nigéria, une terrible famine sévit dans le Biafra, touchant comme souvent les enfants en premier [4].

Opération survie, Biafra 1968 (© CICR / PORCHET, Adrien / 1968 / V-F-CR-H-00106) : 00:12:17 – 00:13:08 et 00:18:58 – 00:19:31

Le CICR, sur place depuis le début des affrontements en juillet 1967, apporte notamment une assistance médicale et alimentaire aux personnes déplacées, ce que dévoile également l’extrait. Scène déjà observable dans le film La guerre gréco-turque – quoiqu’un peu furtive –, la distribution de nourriture est un sujet sur lequel s’attardent souvent les caméras du CICR. Dans cet extrait, chaque personne reçoit un morceau de poisson séché et un verre de lait, ce qui semble avoir été les aliments principaux de l’aide alimentaire fournie par le CICR au Biafra. En témoignent les « Statistiques des secours pour 1968 » publiées dans le Rapport d’activité de cette année-là : 2598 tonnes de poisson séché et 1784 tonnes de lait en poudre sont envoyées dans la région par le CICR, ce qui représente plus de la moitié de l’ensemble des marchandises acheminées au Biafra en 1968 [5].

Dans la continuité des deux films précédents, les prises de vues de civils fuyant les conflits font également place aux images de camps de réfugiés dans Les oubliés de la frontière : aspects de l’action du CICR sur la frontière thai-cambodgienne en 1984. Cependant, dans ce contexte de guerre opposant les Khmers rouges aux forces vietnamiennes, la caméra d’Edouard Winiger n’enregistre pas tout à fait le même type de scènes que les deux films présentés ci-dessus. En effet, si ces derniers donnent à voir des personnes déplacées ou réfugiées ‘passives’, regroupées dans des abris déjà existants, ce film-là au contraire met l’accent sur l’activité de la population cambodgienne, occupée à défaire et reconstruire les campements le long de la frontière khméro-thaïlandaise, au gré de l’avancée des combats. Le caractère provisoire de ces abris est d’ailleurs nettement marqué dans cet extrait. Les cabanes démontables et transportables à bicyclette, d’un camp à un autre, en sont un exemple parlant. Bien entendu, la différence d’organisation des campements dans ces trois films est étroitement liée au contexte propre à chaque conflit.

Les oubliés de la frontière : aspects de l’action du CICR sur la frontière thai-cambodgienne en 1984 (© CICR / WINIGER, Edouard / 1984 / V-F-CR-H-00148) : 00:04:20 – 00:04:35, 00:05:18 – 00:05:58, 00:12:44 – 00:13:34 et 00:15:03 – 00:15:13

Outre le travail de montage et démontage des tentes, Les oubliés de la frontière se concentre également sur l’action du CICR en faveur des réfugiés vivant dans ces abris. Si ce film ne contient aucune scène de distribution de nourriture, contrairement à La guerre gréco-turque et Opération survie, Biafra 1968, c’est qu’une répartition des tâches s’est opérée entre les organisations humanitaires, à la fin de l’année 1980. Ce partage mit un terme au programme conjoint d’assistance alimentaire et médicale entrepris par le CICR et l’UNICEF à l’automne 1979, et destiné à porter secours aux réfugiés. Dès 1981, les activités du CICR dans la région se sont donc concentrées sur la protection des prisonniers de guerre, l’assistance médicale et le rétablissement des liens familiaux [6].

Dans son souci de documenter les différents aspects de l’action du CICR, Les oubliés de la frontière présente ces trois secteurs d’activité. La seconde partie de l’extrait ci-dessus révèle les moyens mis en œuvre pour assister médicalement les réfugiés [7]. Après un plan large d’un des dispensaires installés le long de la frontière, le film nous emmène sans transition dans le vif du sujet, donnant à voir les cas que les équipes du CICR sont amenés à prendre en charge.

Quant à la quatrième et dernière vidéo – tournée dans la ville de Mossoul et ses environs en mars 2017, et intitulée Iraq : battle for Mosul causes massive destruction of everyday life –, sa structure n’est pas établie de manière aussi claire que les trois films précédents. En effet, le schéma relativement similaire que présentent ces derniers – fuite de la population, vues des camps et de leurs habitants provisoires, et action du CICR en faveur des réfugiés et déplacés – n’est pas reproduit exactement de la même manière. En effet, les premières images tournées aux abords du camp montrent le déchargement des colis et la préparation de la distribution de secours ; les vues du campement et de ses occupants se situent après. Peut-être est-ce dû au montage très brut de la vidéo, consistant davantage en une succession de prises de vues plutôt qu’en un récit filmé.

Iraq : battle for Mosul causes massive destruction of everyday life (© CICR / FOULKES, Imogen, ALZAWQAZI, Sarah / 2017 / V-F-CR-F-01749-N) : 00:02:06 – 00:02:21 et 00:03:01 – 00:03:27

Hormis cela, la vidéo présente tout de même des types d’images semblables aux productions plus anciennes ; campement constitué de grandes tentes montées par une organisation humanitaire, distribution de nourriture dans des colis. L’action du CICR et d’autres organisations a certes évolué, mais l’intérêt des caméramen pour ce genre de scènes n’a pas changé.

 

Si ces deux premiers épisodes ont révélé une certaine permanence dans le choix des images captées par le CICR, le suivant se penchera quant à lui sur l’évolution importante qui s’est opérée dans les films au cours des décennies passées : l’évolution de la place accordée aux personnes réfugiées et déplacées dans les prises de vues.


[1] Rapport général du Comité international de la Croix-Rouge sur son activité de 1921 à 1923, Genève : CICR, 1923, p. 45 ; Revue internationale de la Croix-Rouge et Bulletin international des Sociétés de la Croix-Rouge, 4e année, N° 46, Octobre 1922, p. 921.

[2] Revue internationale de la Croix-Rouge (…), op. cit., p. 923.

[3] Pour des images de la construction du village « Embirikon », voir la fin du film (dès 00:02:45), ainsi que La guerre gréco-turque : Grèce 1923.

[4] Rapport d’activité 1968, Genève : CICR, 1969, p. 12.

[5] Ibid., p. 57.

[6] Rapport d’activité 1980, Genève : CICR, 1981, p. 37.

[7] Pour visionner l’ensemble des activités du CICR dans et aux abords des camps de réfugiés le long de la frontière khméro-thaïlandaise, voir le film dans son intégralité.