Depuis sa création en 1863, le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) a pour ainsi dire cheminé aux côtés de la photographie. Aujourd’hui, plus de 110’000 images fixes du fonds photographique de l’institution genevoise sont consultables sur notre portail en ligne. Cette nouvelle rubrique vous emmène à la découverte des moments phare du CICR dont ses archives photographiques conservent la trace[1]. A chaque numéro, une galerie d’images sera mise à l’honneur.

De gauche à droite, les portraits de MM. Hahn, Steiner et Capello – © Archives CICR (DR)

De gauche à droite, les portraits de MM. Rutherford, Préval et Landa – © Archives CICR (DR)

Alors que les portraits de Steiner et Capello sont conservés dans différents albums de l’Ancien fonds de la bibliothèque du CICR (cf. notre précédent numéro), les portraits de Hahn, Rutherford, Préval et Landa sont uniquement présents dans le fonds photographique du CICR sous forme de reproductions très postérieures aux prises de vues en question. Le portrait de Steiner se caractérise par la posture dite de la « main dans le gilet », très en vogue à une époque où il est inconvenant qu’un bras demeure ballant (tandis que l’autre est souvent prolongé par un objet). Celui de Landa en est une variante, dans laquelle la main est pour ainsi dire « sur le gilet ». Ce dernier, médecin de son état comme nombre de participants à la conférence de 1863, fait partie du corps médical militaire espagnol. C’est l’occasion de rappeler que si les armées européennes ont tôt perçu l’importance que la photographie pourrait revêtir, notamment en matière de représentation du territoire[2], ce procédé n’en est pas moins prisé pour sa capacité à dignifier la figure du militaire – qui arbore médailles et décorations – comme la peinture auparavant. Il est intéressant de noter que tous ces portraits (à l’exception de celui de Préval) ont été publiés dans la Revue internationale de la Croix-Rouge en 1963 dans le cadre des commémorations du centenaire de la fondation de la Croix-Rouge et de l’illustre conférence qui s’était déroulée un siècle plus tôt.

Après qu’Henry Dunant et le Dr Basting, depuis Berlin, ont fait la promotion de la conférence qui doit se tenir à Genève, le 2 octobre 1863, le roi de Saxe est probablement le premier à manifester l’intention d’accorder son patronage à la création d’une société de secours, signe que les souverains ne sont pas insensibles aux intentions du « Comité des cinq ». Quelque trois semaines plus tard, le 26, à Genève, le palais de l’Athénée accueille 36 personnalités, 16 Etats et 4 institutions philanthropiques. Au terme du quatrième jour de conférence, l’assemblée adopte dix résolutions et émet des vœux qui jettent les bases, sur le plan théorique du moins, du droit international humanitaire.

Cette première rencontre à Genève a fait apparaître ce qu’il convient d’appeler une querelle classique des premiers temps de l’œuvre de la Croix-Rouge, entre les tenants de sociétés de secours indépendantes et ceux qui, au contraire, y voient l’occasion d’une réforme des services de santé des armées. Le Dr Rutherford, représentant de la Grande-Bretagne, est de ces derniers, pour qui c’est à l’armée de prendre soin des blessés sur le champ de bataille. La France n’est pas en reste et fait savoir, par l’intermédiaire du sous-intendant Préval et du Dr Boudier, que des mulets seraient plus utiles que des civils en temps de guerre[3]. Rien d’étonnant à cela, puisque la France est alors l’une des voix discordantes à la formation des sociétés de secours, ce dont l’Intendance de l’armée française fera les frais lors de la guerre franco-prussienne quelques années plus tard.

Les Etats du sud de l’Europe sont également représentés en 1863 à Genève. Ainsi l’Espagne dépêche-t-elle le Dr Nicasio Landa – surnommé le « Henry Dunant espagnol » – qui sera notamment l’inventeur du « tablier Landa », sorte de brancard-chasuble composé d’une toile, de tiges de bois et de sangles pour le transport des blessés ; l’Italie est, quant à elle, représentée par Giovanni Capello, consul à Genève et plénipotentiaire du royaume l’année suivante lors de la conférence diplomatique.

A la suite de la conférence, la première société de secours aux blessés ne tarde pas à être mise sur pied, sous l’impulsion du Dr Christoph Ulrich Hahn, dans le royaume de Wurtemberg. C’est que les membres de la Confédération germanique, a fortiori les délégués des Etats du sud-ouest, ont pris une part non négligeable dans les débats ayant présidé à l’adoption des résolutions. Le Dr Adolf Steiner, quant à lui, représentant du Grand-Duché de Bade – qui sera le premier Etat allemand à ratifier la première Convention de Genève – n’est pas favorable à l’idée de voir chacun des Etats souverains allemands se doter d’un comité national distinct et s’inquiète de savoir qui représentera l’Allemagne lors de la conférence diplomatique de 1864[4]. Avec celle de Wurtemberg, ce ne sont pas moins de huit sociétés de secours qui voient le jour jusqu’en 1866 dans la Confédération germanique.

Ainsi donc, les ors du palais de l’Athénée auront abrité les discussions et l’adoption d’un texte fondateur qui amèneront la Confédération helvétique, à la demande du « Comité de Genève », dix mois plus tard, à convoquer la conférence diplomatique de 1864. L’édifice, fragile, n’en est qu’à ses débuts, mais déjà les résolutions et les vœux de 1863 font admettre la nécessité des sociétés de secours, du port d’un signe distinctif uniforme, ainsi que la neutralisation des hôpitaux, des ambulances et du personnel sanitaire.

[1] Nous nous appuierons ici sur la chronologie établie par Pierre Boissier, dans son Histoire du Comité international de la Croix-Rouge : de Solférino à Tsoushima, tome I, Institut Henry-Dunant, Genève, 1978.

[2] Lire notamment Mathilde Meyer-Pajou, La pratique photographique au ministère de la guerre, 1850-1900 In : Images de guerre, Guerre des images, Paix en images : La Guerre dans l’art, l’art dans la guerre, Presses universitaires de Perpignan, 2012.

[3] François Bugnion, Naissance d’une idée : la fondation du Comité international de la Croix-Rouge et celle du Mouvement international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge. De Solférino à la première Convention de Genève (1859-1864), Revue internationale de la Croix-Rouge, no 888, Décembre 2012, p. 131.

[4] Stefanie Haumer, 1863 : création de la première Société nationale à l’aube de l’histoire du Mouvement, Revue internationale de la Croix-Rouge, no888, Décembre 2012, pp. 152 et 153.