Dans un article de la Revue internationale de la Croix-Rouge publié en 2007, Marcel Junod est présenté comme le « père spirituel de générations de délégués »[1]. Parmi toutes les personnes qui ont été amenées à représenter le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) à travers le monde, Marcel Junod est probablement celui qui personnifie le mieux le « délégué du CICR ». Au cours de sa vie il accomplit plusieurs types de missions, qu’il s’agisse de visiter des prisons, de procéder à des échanges d’otages ou d’organiser des opérations de ravitaillement. À chaque instant il se pose à nouveau la question de son rôle sur le terrain et des moyens qu’il a à sa disposition pour remplir sa mission. Sa réflexion est très riche et porte sur les quatre piliers de l’action du CICR : la protection, l’assistance, la prévention et la coopération. En 1947, il publie son autobiographie sous le titre Le Troisième combattant : de l’ypérite en Abyssinie à la bombe atomique d’Hiroshima. La publication de mémoires ou de récits autobiographiques par les collaborateurs du CICR est très rare aujourd’hui : il existe un devoir de discrétion qui limite la production d’ouvrages portant sur les aspects professionnels des activités du CICR. Le troisième combattant, « livre de chevet du délégué », revêt donc une place particulière au sein des collections de la bibliothèque : le texte de Marcel Junod est un des rares témoignages de délégué du CICR à avoir été largement diffusé. C’est aussi un document majeur pour comprendre la fonction de délégué sur le terrain.

Sommaire

EnfanceDe Genève à l’AbyssinieLa guerre civile en EspagneL’Europe en guerreDe la Mandchourie à HiroshimaRédaction du Troisième Combattant

Enfance

Marcel Junod naît à Neuchâtel en mai 1904. Issu d’une famille de pasteurs et de missionnaires[2], le père de Marcel Junod est lui-même en charge des paroisses de Chézard St-Martin.  En 1919 il décède ; Marcel et sa famille partent alors s’établir à Genève, ville d’origine de sa mère. Durant son adolescence, Marcel Junod montre une sensibilité accrue pour la question humanitaire. Il prend part au mouvement de secours aux enfants russes. À cette occasion il se familiarise avec l’idée humanitaire et lie connaissance avec de nombreuses personnes. Marcel Junod est un élève talentueux, il passe sa maturité au Collège Calvin en 1923 avant d’entreprendre des études de médecine. En 1929, il obtient son diplôme de médecin et décide de se spécialiser en chirurgie. L’été de cette même année il fait ses débuts en tant que chirurgien à Casablanca. En 1931, il rejoint l’hôpital civil de Mulhouse où il remplace provisoirement le chef de clinique.

De Genève à l’Abyssinie

Voyage et arrivée en Éthiopie

Le 4 octobre 1935 les hostilités commencent entre l’Italie et l’Éthiopie. Poursuivant sa mission, le CICR envoie un télégramme aux Sociétés Nationales éthiopiennes et italiennes pour leur demander si conformément aux conférences internationales celles-ci souhaitent demander de l’aide aux Sociétés sœurs.[3] La Croix-Rouge éthiopienne répond très rapidement en indiquant avoir besoin de personnel, de matériel et d’argent[4], là où la Croix-Rouge italienne remercie le CICR pour son offre et juge ses moyens « suffisants pour toute éventualité en Afrique Orientale ».

Lazar Oscar, Conférence diplomatique, Genève, 1929 : portraits, 1929

Portrait de Sidney Brown en 1929 (Bibliothèque du CICR)

Le 15 octobre 1935, après quatre ans passés à Mulhouse, Marcel Junod reçoit un appel de Genève. Un ami rencontré dans le Mouvement d’aide aux enfants russes lui propose de partir pour l’Abyssinie avec le CICR. Dix jours plus tard Marcel Junod est à la villa Moynier, siège du Comité international de la Croix-Rouge à Genève. Il cherche alors à comprendre quel va être son rôle une fois rendu sur place. Pour ce faire, il se documente à la bibliothèque du CICR. Là, il rencontre Sidney Brown, un délégué du CICR qui doit l’accompagner en Éthiopie. Ce délégué revient tout juste de Chine et du Japon. Il a déjà une expérience de la Croix-Rouge et a lui-même pris part à la Conférence diplomatique de Genève de 1929. À la question que lui pose Junod, Sidney Brown répond que les secours seront nombreux à distribuer, qu’il faudra s’occuper des prisonniers de guerre et faire respecter le signe de la Croix-Rouge et la Convention de Genève. Surtout, il éveille la curiosité de Marcel Junod en évoquant un « esprit Croix-Rouge ». Marcel Junod rencontre ensuite Max Huber, alors Président du Comité internationale de la Croix-Rouge. Celui-ci lui donne une ligne de conduite : le rôle du délégué sera de soulager le sort des victimes de la guerre tout en « restant objectif ».

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Max Huber, président du CICR de 1928 à 1944 (A CICR)

Le 5 novembre 1935 Marcel Junod et Sidney Brown rejoignent Djibouti à bord du Chantilly, un paquebot de la Compagnie des Messageries Maritimes. Alors qu’ils passent Suez, ils assistent à l’arrivée des troupes et navires italiens. Lors de ce voyage, Junod constate une première fois le grand déséquilibre entre l’armée éthiopienne peu équipée et l’armée italienne qui dispose de nombreuses technologies, canons, tanks, mitrailleuses. Arrivé à Addis-Abeba, Junod se rend au siège de la Croix-Rouge éthiopienne pour faire le point sur les moyens à disposition pour assurer leur mission. Cela est d’autant plus important que les troupes du Négus ne disposent pas de services de santé.

25 Sociétés Nationales de la Croix-Rouge offrent leurs concours à la Croix-Rouge éthiopienne en envoyant de l’argent, du matériel et du personnel. Les Croix-Rouge britannique, suédoise, norvégienne et éthiopienne fournissent chacune une ambulance, de même que le gouvernement égyptien. La Croix-Rouge suédoise envoie également un avion peint en blanc et portant une Croix-Rouge sur sa carlingue.

Le baptême du feu du délégué

Début décembre 1935 le CICR reçoit un télégramme de la Croix-Rouge éthiopienne : celui-ci indique que trois escadrilles italiennes ont bombardé la ville de Dessié sans épargner les ambulances Croix-Rouge ni l’hôpital américain Taffari Makonnen. Marcel Junod est envoyé sur place pour constater les dégâts. Il part avec 6 camions : la route est dangereuse, escarpée, et la pluie rend le déplacement très difficile. De plus, de nombreux bandits, les « Chiftas », compliquent la tâche de Junod : celui-ci installe des guetteurs sur les toits des camions et conserve sa Winchester sur lui.  Arrivé à Dessié, Junod est accueilli avec joie, mais il constate de grands dégâts : « un des conseillers de l’empereur me conduit à travers les ruines de Dessié, l’âcre odeur du feu monte encore de ces décombres. Des maisons en pierre il ne reste que des murs calcinés ; des toucouls, un simple tas de cendres »[5]. Ce bombardement engendre une nouvelle peur : celle de voir des unités marquées du signe de la Croix-Rouge être prises pour cibles lors des bombardements. Junod mène une petite enquête, interroge des témoins et examine les dégâts. Il arrive à la conclusion que les Italiens cherchaient à atteindre l’Empereur mais qu’ils ont touché l’hôpital américain par erreur[6].

Quelques semaines plus tard Marcel Junod se rend plus au Nord à Waldia auprès d’une ambulance éthiopienne et assiste à une scène étrange : alors que passe un avion italien, les infirmiers camouflent aussitôt l’ambulance, replient les tentes et cachent leur matériel avec des branchages. Les blessés fuient comme ils peuvent : la crainte que l’aviation italienne ne frappe malgré la présence de l’emblème est bien installée.

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Le Dr. Schmidt, le Dr. Junod et Mr. Alexander près des restes de l’ambulance suédoise (A CICR)

À la fin du mois de décembre, cette situation se reproduit : Junod est convoqué à Dessié par l’Empereur. Celui-ci lui apprend que l’unité sanitaire suédoise a été détruite à Melka Dida et que le chef de l’ambulance est gravement blessé. Junod parvient aux prix de grandes difficultés à se rendre sur les lieux du bombardement. Là-bas, il observe que l’unité a été volontairement anéantie alors qu’elle était située loin des combats et que l’emblème était visible. Les ambulances ont en fait été prises pour cibles en guise de représailles après la capture et le massacre d’un aviateur italien, les italiens considérants que les forces éthiopiennes utilisaient l’emblème pour se cacher.

En décembre 1935 et janvier 1936, le gouvernement italien indique en effet que de nombreux abus de l’emblème de la croix rouge ont lieu et que bien souvent l’emblème est utilisé pour protéger des objectifs militaires. Dès le mois d’octobre 1935 la Légation royale d’Italie à Berne avait indiqué que les autorités abyssines faisaient un usage abusif de l’emblème de la croix rouge. Le 16 janvier 1936 le Gouvernement italien exprime le souhait de voir des délégués du CICR se rendre en Abyssinie sur les lieux du conflit pour constater si les normes de la Convention de Genève sont bien observées[7]. Du côté éthiopien, le gouvernement fait savoir qu’il verrait avec satisfaction l’envoi de représentants du CICR. C’est le premier essai d’application de l’article 30 de la Convention pour l’amélioration du sort des blessés et des malades dans les armées en campagne du 27 juillet 1929 [8]. Cet article stipule que :

« À la demande d’un belligérant, une enquête devra être ouverte, selon le mode à fixer entre les parties intéressées, au sujet de toute violation alléguée de la Convention ; une fois la violation constatée, les belligérants y mettront fin et la réprimeront le plus promptement possible ».

Le CICR procède ainsi aux préparatifs nécessaires à une enquête et demande au Gouvernement éthiopien de désigner un plénipotentiaire. Sur le terrain, Marcel Junod est chargé de faire savoir au Gouvernement éthiopien que du côté italien on a fait connaître les conditions provisoires dans lesquelles on pense qu’une enquête pourrait être ouverte.

En février 1936 plusieurs ambulances font le choix de travailler à couvert craignant trop les bombes italiennes. Marcel Junod cherche alors à rejoindre l’Empereur qui s’est caché dans une grotte près de Dessié avec son état-major. Pour la première fois Junod est confronté à la guerre chimique et aérienne :

« Partout, sous les arbres, des hommes sont étendus. Ils sont là des milliers. Je m’approche, bouleversé. Je vois sur leurs pieds, sur leurs membres décharnés, d’horribles brûlures qui saignent. La vie, déjà s’en va de leur corps rongé par l’ypérite. »[9]

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Le Comte de Rosen, aviateur suédois, devant l’avion de la Croix-Rouge éthiopienne (A CICR(DR))

Junod avait déjà rencontré un soldat « ypérité » lors de son enquête sur le bombardement de l’hôpital de Dessié. Celui-ci lui avait été présenté par le commandant éthiopien Ras Desta. Il n’avait alors pas cru à des brûlures chimiques et avait préféré croire à un gonflement dû à une mauvaise circulation sanguine.[10] Pendant longtemps Junod reste sceptique quant à l’utilisation de gaz moutarde par les forces italiennes. Ce n’est que le 17 mars 1936, alors que l’aviation italienne bombarde l’avion de la Croix-Rouge et que Junod essaie avec le comte de Rosen de mettre en évidence les croix rouges dessinées sur leur avion au sol, qu’il sent pour la première fois l’odeur de l’ypérite. Lorsqu’il retourne plus tard à Addis-Abeba Junod envoie un télégramme à Genève pour rapporter ses observations. La prise de conscience de Junod quant à la dangerosité des gaz toxiques est assez tardive : jusqu’à la mi-avril Junod reste convaincu qu’aucune mort n’a été provoquée par des gaz.

« Représenter le CICR » en Abyssinie

En tant que délégué Marcel Junod doit assurer une liaison avec Genève. Tout au long de sa mission Junod dresse des rapports qu’il envoie à Genève. Un de ses rapports retient l’attention de la Société des Nations :

« […] le Comité des Treize, dans sa séance de ce matin, m’a chargé de demander au Comité international de la Croix-Rouge s’il lui serait possible de donner communication au Comité des informations émanant, soit des agents du Comité internationale de la Croix-Rouge, soit des personnalités impartiales telles que les médecins des ambulances de la Croix-Rouge en Éthiopie, au sujet des infractions aux conventions internationales sur la conduite de la guerre signées par les deux belligérants.

Le Comité des Treize a été notamment informé que le Comité international de la Croix-Rouge devait être en possession d’un rapport du Dr. Junod du mois de mars, ainsi que d’un rapport des médecins de l’ambulance suédoise du mois de décembre dernier.

Je vous serai très obligé de me faire parvenir votre réponse aussitôt que possible, le Comité des Treize devant poursuivre ses travaux cet après-midi même. »[11]

Or le CICR, institution neutre, ne peut pas transmettre ainsi les rapports envoyés par ses délégués. C’est la raison pour laquelle il répond à la Société des Nations que, d’une part, l’enquête n’est pas terminée et qu’il ne peut se dessaisir de ses documents ; d’autre part, sa neutralité lui impose une grande réserve et ne lui permet de divulguer des documents.

Cette confrontation entre le CICR et la SDN illustre les tensions qui existent autour du travail de Junod et des autres délégués en Abyssinie : incarner le CICR en se montrant neutre en toute circonstance. Lorsqu’après le bombardement de Dessié Sidney Brown déclare à l’Agence Havas que les « Italiens sont sans excuses », Junod et lui-même se font rappeler à l’ordre par Genève.

Pour en savoir plus sur la mission de Junod en Abyssinie

Archives

  • Série ACICR BCR 210-134 : Rapports de mission de Marcel Junod, dossiers et correspondance Éthiopie 1935-1936.
  • Rapport de la fin mars 1935 : rapport sur le bombardement de l’hôpital de campagne de la Croix-Rouge de Melka Dika.

Archives filmées

Sources primaires

Ouvrage de référence

Articles et chapitres

Un autre type de conflit : la guerre civile en Espagne

En juillet 1936, Junod est de retour à Genève et vient rendre compte de sa mission en Abyssinie. Or, un autre conflit éclate en Europe : l’Espagne se déchire dans une sanglante guerre civile. Ce type de conflit ne dispose alors pas d’une assise normative aussi importante que celle existant pour les conflits armés inter-étatiques. Seule la quatorzième résolution de la dixième Conférence internationale de la Croix-Rouge de 1921 prend en compte ce cas de figure :

« La Xe Conférence internationale de la Croix-Rouge confie au Comité international de la Croix-Rouge le mandat d’intervenir dans l’œuvre de secours en cas de guerre civile »[12]

La Conférence insiste alors particulièrement sur le fait que l’état de guerre civile ne peut justifier la violation du droit des gens et que ce droit doit être sauvegardé à tout prix. Surtout, elle insiste sur deux points particulièrement problématiques : la Conférence internationale condamne le système des otages politiques, elle déplore également la situation dans laquelle se trouvent les prisonniers et détenus en temps de guerre civile. C’est d’ailleurs principalement sur ce point que portent les démarches que Marcel Junod mène auprès des deux camps ennemis.

« Echanger des otages »

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Marcel Junod devant un hôtel de Barcelone (CICR)

Le 29 août Marcel Junod est à Barcelone. Sur la route, il rencontre le porte-parole de la Catalogne et lui confie ses appréhensions concernant les exécutions d’otages. Junod gagne ensuite Valence après avoir rencontré pas moins de 148 checkpoints. Il arrive enfin à Madrid et rencontre José Giral, Président du Conseil des Ministres. Celui-ci est acquis à la cause du CICR, il donne son accord pour réaliser des échanges d’otages et autorise également femmes et enfants à quitter librement le territoire de la République si nécessaire. Au contraire, lorsque quelques jours plus tard Junod est à Burgos et rencontre les nationalistes, il fait face à une certaine hostilité lorsqu’il parle d’échanger des otages. Junod rapporte que le Général Mola serait aller jusqu’à lui demander : « Comment pouvez-vous prétendre échanger un caballero contre une canaille rouge ? ». Junod parvient néanmoins à passer des accords avec les deux camps et permet que soit reconnue la Croix-Rouge nationaliste de Burgos.

Les 3 et 15 septembre 1936 Marcel Junod parvient à conclure quatre accords au nom du CICR. Les deux premiers accords concernent la Croix-Rouge espagnole et les gouvernementaux. Ceux-ci acceptent l’envoi d’une double délégation du CICR : celle-ci exercera depuis Madrid et Barcelone, ainsi que depuis Burgos et Séville. Les deux accords suivants sont conclus à Burgos auprès de la Junte nationale, ceux-ci marquent un accord entre le Comité de la Croix-Rouge nationaliste qui s’efforcera de donner tout son appui aux délégués du CICR. La Junte nationale affirme également son respect de la Convention de Genève et conçoit que soient échangés des otages civils.[13]

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Le Dr. Junod et le Capitaine Burrough (CICR)

Junod se retrouve ainsi délégué général à la tête de la délégation du côté gouvernemental. Il parvient à réaliser non sans difficultés un premier échange d’otages entre Don Esteban Bilbao, un ancien député carliste, et Ercoreca, le maire socialiste de Bilbao. L’échange est difficile, personne ne veut faire le premier pas, et à tout moment l’une des parties risque de revenir sur son engagement en ne livrant pas l’otage promis.

C’est ce qui se produit en septembre 1936 lorsque les nationalistes présents à San Sebastian demandent à récupérer 130 femmes et jeunes filles prisonnières à Bilbao. Junod cherche à organiser un échange et trouve de l’appui auprès du consul britannique. Celui-ci lui présente le commandant Burrough ; c’est à bord de son bateau « l’Exmouth » que transiteront les prisonnières.

« Vous êtes un peu comme Mickey Mouse, qui voit la balance des Espagnols : un plateau blanc, un plateau rouge. Dès que penche un des plateaux, vous sautez sur l’autre pour rétablir l’équilibre …

– C’est bien cela … Dès qu’il y a dix condamnés à mort d’un côté, j’en trouve dix de l’autre et j’essaie de les échanger, ce qui me fait sauver vingt personnes.

– Merveilleux, s’exclame-t-il. Quand partons-nous ?

– Demain, pour Bilbao. »[14]

Les Basques laissent partir les 130 femmes. À leur arrivée l’émotion est grande, mais aucune contrepartie n’est proposée. Junod s’estime trompé, il a alors toutes les difficultés du monde pour astreindre les nationalistes à tenir parole en délivrant à leur tour 130 otages. Junod multiplie les démarches pour que les nationalistes tiennent parole. Mais les réticences demeurent, et le travail de Junod reste fort mal considéré. À San Sebastian le journal de la Phalange va même jusqu’à parler de lui comme d’un « renégat et misérable idiot ». Pire, une campagne calomnieuse est lancée contre Junod où celui-ci est qualifié de « haut dignitaire de la Franc-Maçonnerie universelle »[15].

« Echanger des messages »

Les délégations du CICR en Espagne s’efforcent aussi d’assurer un service de renseignements sur les personnes notamment par la mise en place des « fiches de nouvelles ». Ces documents permettent d’obtenir des renseignements au sujet d’un proche emprisonné dans le camp adverse. Au cours de ce conflit plus de 5 millions de fiches Croix-Rouge sont échangées. Junod est sensible à la détresse des familles qui attendent avec angoisse de recevoir des nouvelles d’un proche et joue un rôle important dans l’établissement du système de circulation des messages familiaux. En effet, en obtenant des Croix-Rouges et des Gouvernements de Madrid et de Burgos des déclarations selon lesquelles les parties s’engageaient à respecter les principes des Conventions de Genève de 1929, Junod est autorisé à mettre en place des services de renseignements sur les prisonniers de guerre et les prisonniers civils. Ces services de renseignement sont sous le contrôle des délégués du CICR présents en Espagne. Au début de la guerre civile le message ou « fiche » Croix-Rouge est un résumé des lettres dont la transmission est difficile à cause des rigueurs de la censure. Peu à peu cette fiche devient un « véritable passe-partout magique »[16] permettant aux civils libres d’établir la communication avec leurs parents en zone adverse. Ce message Croix-Rouge contribue largement au succès de l’Agence pendant la guerre civile espagnole. À cette occasion, le CICR se rend compte de l’immense efficacité de ce système. Ce service de renseignements permet également d’ouvrir les portes des prisons et de retrouver des détenus dont on avait perdu la trace.

Junod parvient d’ailleurs à visiter en compagnie du délégué-adjoint Daniel Clouzot trois bateaux de la rade de Bilbao, à bord desquels sont détenus des prisonniers non-combattants.

« Sauver des condamnés à mort »

Au printemps 1937, Genève commande à Marcel Junod de retourner à Valence. Junod continue à s’efforcer d’organiser des échanges entre condamnés à mort. Dans cette mesure, il constitue des listes d’otages susceptibles d’être échangés. Très courte au début (il n’est alors question que d’un seul condamné à mort italien), une liste s’enrichit jusqu’à atteindre 2000 noms. Si l’inscription d’un nom sur une liste n’implique pas un échange immédiat, elle peut néanmoins suspendre une condamnation à mort. Ces négociations sont périlleuses et doivent être menées avec beaucoup de précautions : à la moindre rupture, au premier fusillé, toute la négociation est rompue. Arthur Koestler, alors journaliste auprès du News Chronicle, rapporte dans son Testament espagnol comment Marcel Junod l’a sauvé d’une condamnation à mort en l’échangeant contre la femme d’un aviateur franquiste.

À partir de son expérience en Espagne, le délégué Marcel Junod est appelé à former les futurs délégués. Dans son ouvrage Ceux qui ne devaient pas mourir Raymond Courvoisier rapporte un discours que Marcel Junod aurait prononcé aux jeunes délégués :

« Il y a lieu de ne jamais oublier que l’action du CICR est essentiellement une action de secours humanitaire, et que celle-ci doit inspirer en toutes circonstances et en tous lieux une entière sécurité morale. De cet engagement, et de son respect, dépend que les relations avec les belligérants soient ou non marquées de confiance.

À cette fin, un délégué du CICR travaillera dans un désintéressement absolu. Il restera résolu à ne jamais servir, même indirectement, les intérêts des uns au détriment des autres. Il se bornera à être l’intermédiaire neutre entre les partis ou les sociétés nationales en conflit. Un délégué doit se limiter à constater, puis à agir, dès qu’il le peut, le mieux qu’il peut. Il n’a pas d’autre mission que prévenir et alléger les souffrances des victimes de la guerre, militaires ou civiles. Il protège la vie des hommes, leur santé, et fait respecter les droits de la personne humaine. Sa mission, en ce sens, est universelle. Il n’a pas à chercher l’origine d’un conflit, d’un massacre ou d’un acte isolé, ni à juger de ce qui s’est passé. S’il perdait de son objectivité, il se ferait juge, il ne serait plus neutre.

[…]

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Le Dr. Junod, le Dr. Marti et des membres de la Croix-Rouge espagnole à Barcelone (CICR)

La Convention de Genève, comme vous le savez, nous dit-il, concerne aussi bien les militaires, qu’ils soient blessés ou prisonniers, que les populations civiles, qu’elles se trouvent en territoire occupé ou en territoire ennemi. Cependant, tout laisse penser que ces textes doivent être actualisés. Nous œuvrons d’ailleurs en ce sens. L’avenir est sombre pour l’Europe. L’Allemagne et l’Italie cachent de moins en moins leurs ambitions agressives. En Espagne, la guerre civile fait rage depuis le printemps dernier. Ce qui se passe dans la péninsule ibérique laisse imaginer le pire pour ce pays. »[17]

Cette expérience en Espagne marque durablement Marcel Junod. Il rédige un rapport qu’il intitule Travail à venir de nos délégués. Junod a en effet eu une influence sur le plan de la philosophie et de la doctrine. Il indique que les délégués du CICR devraient être des « observateurs impartiaux d’une guerre civile qui n’est plus une rébellion militaire ».  En 1961, dans l’éloge funèbre de Marcel Junod, Léopold Boissier rappelle que la guerre d’Espagne est un des conflits qui a le plus influencé le délégué dans son travail[18]. Léopold Boissier revient sur l’engagement de Marcel Junod et souligne que le délégué n’est pas seulement celui qui soulage les souffrances des victimes. Le délégué est aussi celui qui signale à Genève les expériences faites, rapporte à ses chefs ses observations, et attire l’attention sur les améliorations qui devraient être envisagées en matière de droit humanitaire. Marcel Junod remplit ce rôle dans la mesure où il souligne à plusieurs reprises la spécificité de ce conflit et le vide juridique qui existe en cas de guerre civile.

Pour en savoir plus sur la mission de Junod en Espagne

Archives

  • ACICR 212 57-6 et 61-64 : Rapports de Marcel Junod à la Commission d’Espagne ainsi que dossiers et correspondance 1936-1939
  • ACICR BCR 212 : lettre de Marcel Junod au CICR le 26 décembre 1936
  • Rapport du 10 novembre 1936 à la Commission d’Espagne à Genève

Sources primaires

Ouvrage de référence

Articles et chapitres

L’Europe en guerre

Alors que se profilent les prémices de la Seconde Guerre mondiale, Junod a une réflexion sur l’industrialisation massive de la guerre : quel peut être le rôle du CICR et de ses délégués sur le terrain ?

« Que va-t-il advenir des habitants des villes écrasées sous les intenses bombardements aériens dont la Pologne nous donne déjà l’exemple ? Que va-t-il advenir surtout de la population des pays occupés, livrés sans aucune protection, sans la garantie d’aucune convention, à l’exigence de son vainqueur ? »

« Tout cela sera dépassé demain, décuplé, centuplé … Nous le savons, et nous pourrions être atterrés de notre mission. »[19]

Enquête en Pologne

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Visite du Dr. Junod au camp de Hammerstein (CICR)

Marcel Junod est d’abord envoyé en mission du 15 septembre au 1er octobre 1939 : il doit prendre contact avec les autorités chargées des questions relatives aux prisonniers de guerre et internés civils. Il cherche également à prendre contact avec la Croix-Rouge allemande pour installer une délégation à Berlin. À cette occasion, Marcel Junod est amené à visiter plusieurs camps de prisonniers notamment le camp de Hammerstein le 26 septembre 1939[20]. Il parvient à obtenir une liste de précisions importantes sur la façon dont sont traités prisonniers de guerre et internés civils.  Marcel Junod est également envoyé dans l’objectif de mener une enquête en Pologne : Berlin souhaite que le CICR vienne constater des assassinats prétendument commis par des Polonais dans la région de Posen et Bromberg : « On nous signale la découverte de dizaine d’Allemands assassinés par les Polonais avant leur retraite. On me demande de me rendre sur place pour constater ces atrocités ». Le CICR accepte mais insiste sur le fait que le témoignage de Junod doit rester confidentiel et ne pas être divulgué dans la presse ou tout autre document officiel. Arrivé à Posen, Junod assiste à l’autopsie de plusieurs cadavres, mais les témoignages manquent et l’information délivrée est partiale. Pire, sa visite fait la une d’un journal de Dantzig[21] : Junod est scandalisé et refuse de poursuivre l’enquête à moins de pouvoir accéder à d’autres prisonniers de guerre. Par la suite, Junod obtient l’autorisation de visiter d’autres camps. Ces visites restent toutefois assez superficielles, d’autant plus que tout au long de ses visites et de son enquête Junod est accompagné par un jeune diplomate des Affaires étrangères et un officier de la Wehrmacht.

Du 24 octobre au 27 novembre, Marcel Junod retourne en Allemagne visiter des camps de prisonniers de guerre[22]. Au cours de ce voyage Junod rejoint la Pologne et demande à aller à Varsovie. La route est difficile et le paysage est dévasté. Il arrive à Varsovie et découvre une ville en ruines où « erre une foule misérable, grelottante et affamée ». Junod rend compte au CICR de la situation de la population polonaise. Il rapporte également les restrictions de circulation et les regroupements en cours dont les personnes juives font l’objet.  Il rencontre le président de la communauté juive, Adam Czerniakow, chargé de gérer le ghetto en construction, et il lui promet une aide en médicaments et vivres. Junod procède également à des visites d’hôpitaux, la fièvre typhoïde fait alors de nombreuses victimes et l’arrivée prochaine de l’hiver laisse craindre le pire.

Au printemps 1940, une petite délégation du CICR composée de 5 personnes est établie à Berlin. Elle est alors dirigée par le Dr. Roland Marti, et Marcel Junod, délégué général itinérant. En avril 1940 le Danemark et la Norvège sont envahis par l’Allemagne nazie : Junod se rend alors dans ces deux pays occupés et rend visite[23] aux prisonniers de guerre britanniques qui s’y trouvent.

Rumeurs et départ pour la France

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Visite de Marcel Junod dans un camp de prisonniers de guerre allemands (CICR)

En juin 1940, Junod, alors posté à Berlin, est convoqué au Ministère de affaires étrangères. On lui rapporte alors une accusation selon laquelle les Français fusilleraient les parachutistes allemands, et ce au mépris des Conventions de Genève.  Junod décide d’aller vérifier sur place ce qu’il en est. Le trajet est difficile : le 14 juin Paris est occupé, la France est alors en pleine débâcle. Junod doit chercher à entrer en contact avec les autorités françaises mais l’incertitude règne. Finalement, Marcel Junod et Claude Pilloud partent pour Bordeaux rejoindre le gouvernement français. Leur voyage d’inspection dure du 17 au 25 juin[24]. Arrivés à Bordeaux, la désorganisation est totale. Junod parvient néanmoins à obtenir une entrevue avec Louis Colson, alors Ministre-secrétaire d’État à la guerre : celui-ci lui donne toutes les autorisations nécessaires pour aller visiter les prisonniers et internés du Sud de la France, et met un véhicule à disposition du délégué.

Le 22 juin 1940, l’armistice est signé. La désorganisation est totale : l’exode provoqué par l’avancée allemande a créé une situation inattendue. Cette fois ce ne sont pas les familles qui ont perdu la trace de leurs proches prisonniers, mais bien les prisonniers qui perdent la trace de leur famille. En conséquence Junod songe à réorganiser le système du Bureau des prisonniers de guerre. Désormais les prisonniers de guerre adresseraient leurs cartes de capture au bureau de l’Agence centrale des prisonniers de guerre (ACPG) à Genève, puis l’ACPG se chargerait de faire parvenir les cartes aux familles. Junod obtient l’accord de Berlin sur la question. Côté français, il lui faut aller à la rencontre de Philippe Pétain[25], et du général Weygand pour obtenir un accord : des cartes seront mises à disposition des familles françaises, qui pourront les adresser à l’ACPG à Genève pour rétablir une liaison avec leurs proches capturés.

 

Blocus et ravitaillement

Au printemps 1941, Marcel Junod et une autre déléguée, Lucie Odier, rejoignent Londres par avion. Leur objectif est alors d’aller à la rencontre de l’amirauté britannique pour obtenir l’autorisation de faire naviguer librement les bateaux Croix-Rouge. Ces bateaux bénéficieraient de « navicerts », des sauf-conduits accordés par les belligérants aux navires de commerce, et permettraient l’acheminement de colis de vivres et vêtements auprès des prisonniers de guerre alliés retenus dans les ports européens. Cette démarche auprès de l’amirauté britannique débouche sur la mise en place d’un important dispositif naval entre Atlantique et Méditerranée.

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Le Kurtulus, bateau utilisé pour le ravitaillement des îles greques (A CICR (DR))

Durant l’été 1941, la Grèce se retrouve dans une situation dramatique : à l’occupation des armées allemandes, italiennes et bulgares, il faut ajouter le blocus naval britannique en Méditerranée ainsi qu’un hiver très rigoureux qui a entraîné une baisse dans les récoltes. La diplomatie humanitaire du CICR cherche à faire parvenir d’importantes quantités de nourriture aux victimes grecques. La stratégie choisie repose alors sur deux démarches : d’une part le CICR cherche à rencontrer et à avoir une discussion avec les gouvernements concernés, d’autre part on cherche à faire connaître le sort de la population grecque pour susciter un élan de générosité en sa faveur. Pour ce faire, Marcel Junod se voit remettre une série de photos d’enfants grecs amaigris et affaiblis par la faim :

« Au moment où je boucle mes valises, une jeune femme se fait annoncer. C’est Amelita Lycouresos, une infirmière grecque qui s’occupe de la distribution du lait dans les pouponnières. Sur ma table, elle dépose deux grands dossiers verts. Dans ces dossiers, pas de rapport, mais cent photographies soulignées d’une indication précise. Dans des homes d’enfants, dans les centres de distribution, dans la rue, dans les hôpitaux, son objectif a fixé en autant d’images pathétiques ces petits corps déformés dont on ne peut croire qu’ils sont encore vivants. »[26]

Cette infirmière s’appelle en réalité Amalia Lykourézou. Elle représente la Near East Foundation (NEF) en Grèce et est infirmière en chef auprès de la Croix-Rouge hellénique. Les clichés sont probablement pris par la photographe Voula Papaioannou de façon quasi clandestine car l’occupant étranger interdisait aux photographes d’entrer dans les hôpitaux[27]. En transmettant ces images d’enfants affamés à Marcel Junod, Amalia Lykourézou espère attirer l’attention des donateurs sur la misère dans laquelle est plongée la population grecque.

« À la commission mixte des secours, constituée à Genève, par le CICR et la Ligue des sociétés de la Croix-Rouge, des visages bouleversés se sont penchés sur ces photographies. Des diplomates en ont pris connaissance … »[28]

Junod attribue à ces clichés un rôle décisif : ceux-ci auraient permis de générer de nombreux dons, en montrant la misère des enfants grecs. Les clichés sont publiés dans la Revue Internationale de la Croix-Rouge dans le numéro d’août 1942 sous le titre « Œuvre de secours en faveur de la population civile hellénique » et connaissent effectivement une large diffusion.

Visites aux prisonniers de guerre en Allemagne

De retour à Berlin en 1942, Junod poursuit son travail de visites auprès des prisonniers de guerre. À son arrivée, il connaît quelques difficultés et est arrêté par « l’inquiétante Gestapo » sur suspicion d’espionnage au profit des Français. La situation est difficile : le CICR a alors obtenu que 5 ou 6 délégués visitent les camps en Allemagne. Un septième délégué est à Athènes. À Belgrade et à Paris deux correspondants représentent le Comité. Dans le reste des territoires occupés aucun délégué n’est admis.

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Le Dr. Junod au Camp de la Celle-St-Cloud (CICR)

Junod se rend à plusieurs reprises dans des camps de prisonniers. Au cours d’une de ces visites, Junod prend conscience de la grande différence dans la façon dont sont traités les prisonniers de guerre selon que leur pays d’origine ait, ou non, signé la Convention de Genève. Ainsi, là où la visite aux officiers britanniques du camp de Doessel semble plutôt rassurante, la visite rendue aux prisonniers de guerre russes l’est beaucoup moins.

« Fixée au mur, dans le camp britannique, la Convention de Genève est connue de tous, respectée par les geôliers. Dans le baraquement des Russes, le mur est nu. D’un côté, le respect du captif, la discussion calme et ferme. De l’autre, le fouet qui retombe sur les épaules meurtries. »[29]

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Visite du Dr. Marcel Junod aux prisonniers de l’Oflag VII A à Murnau (CICR)

Dans ce conflit Junod se heurte régulièrement au problème de la réciprocité : on accepte d’appliquer les règles des Conventions de Genève uniquement si l’adversaire fait de même. Le fait que l’URSS n’ait alors pas signé la Convention de Genève est régulièrement brandi comme argument pour justifier les mauvais traitements que subissent les prisonniers soviétiques. De ce point de vue Junod mène des négociations auprès des diplomates soviétiques à Ankara pour les inciter à appliquer la Convention de Genève. Ces négociations sont un échec. Il mène également des négociations auprès du général Reinicke pour demander au Reich de tenir compte de la Convention de Genève vis-à-vis des prisonniers russes. La démarche n’aboutit malheureusement pas tant la question est politisée.

 

Missions et visites du CICR présentées dans la Revue internationale de la Croix-Rouge pendant la Seconde Guerre mondiale.

 

Pour en savoir plus sur les missions de Junod en Europe

Archives

  • ACICR, C SC, RR, vol 1-2-3, : rapports de Marcel Junod en Pologne
  • ACICR G 59/8 : Archives des évacuations dans le Reich 1942

Sources primaires

Articles et chapitres

 

De la Mandchourie à Hiroshima

De 1943 à 1944, Junod est épuisé. Il revient à Genève pour une durée d’un an. Il quitte provisoirement le CICR et travaille d’abord pour la Société Suisse d’assurance contre les accidents et maladies professionnelles. Max Huber lui écrit alors :

« Vous avez été, cher docteur, pendant ces sept ans et demi l’un des plus fidèles et dévoués serviteurs de notre œuvre. Toujours sur la brèche, toujours prêt à partir, du jour ou du lendemain, pour des pays lointains, dans des conditions souvent difficiles et parfois périlleuses, vous ne nous avez jamais refusé votre concours.

En Afrique, en Espagne, puis au cours de la seconde guerre mondiale dans divers pays d’Europe, vous avez accompli avec succès de nombreuses missions importantes et délicates. Vos qualités d’homme d’action, votre énergie vous ont fait surmonter maints obstacles et vous ont permis de rendre à la Croix-Rouge d’éminents services.

[…] Le fait que vous vouliez bien, si nous recourons à vous ces prochains mois et plus tard, continuer à nous fournir une certaine collaboration, dans la mesure où vos obligations professionnelles vous le permettront nous est très agréable. Nous sommes heureux de pouvoir encore compter sur votre dévouement et je vous en remercie. ».[30]

À la fin de l’année 1944, Junod retourne travailler au CICR, il est alors au siège à Genève.

Mission en Mandchourie

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Margherita Straelher (A CICR (DR))

En juin 1945 Marcel Junod est de nouveau envoyé en mission : cette fois il lui faut partir au Japon avec une autre déléguée, Margherita Straelher. Les Japonais refusent que les délégués puissent arriver au Japon après être passés en territoire ennemi, il faut donc renoncer à passer par les Etats-Unis et préférer un itinéraire oriental : « le Caire, Téhéran, Moscou, la Sibérie et le Mandchoukouo ». Le voyage à travers l’URSS est très long : le transsibérien met alors 9 jours à parcourir les 5000 kilomètres qui séparent Moscou de la frontière mandchoue. Le 19 juillet Junod et Margherita Straelher atteignent Tchita, ils montent alors à bord du Transmandchourien et partent pour Optor, à la frontière entre l’URSS et la Mandchourie sous occupation japonaise. Le temps presse : Junod craint que l’URSS ne déclare la guerre au Japon avant qu’ils n’arrivent à destination.

Le Japon n’a pas ratifié la Convention de 1929 sur les prisonniers de guerre. Cela complique l’action du CICR sur ce terrain : outre le fait qu’il ne puisse pas accéder aux prisonniers et autres internés, l’obtention de renseignements à leur sujet reste très limitée.

Arrivés en Mandchourie Junod et Straelher se rendent à Moukden puis à Seihan. Ils sont alors à la recherche de deux prisonniers alliés haut-gradés : le lieutenant-général britannique Arthur Ernest Percival et le général américain Jonathan Mayhew Wainwright. Marcel Junod et Margherita Straehler sont constamment surveillés et ont toutes les difficultés à obtenir des renseignements sur les conditions de détention des prisonniers. Dès leur arrivée ils sont pris en charge et leur emploi du temps est réglé heure par heure. La visite des camps de prisonniers se révèle également difficile : très peu de temps est accordé à la visite en elle-même, les délégués ne sont pas en mesure de voir tous les prisonniers et ces derniers semblent avoir interdiction de parler. Marcel Junod et Margherita Straelher parviennent malgré tout à adresser quelques mots au général Wainwright et à tenir une courte discussion avec le général Percival.

Arrivée au Japon : bombardement et premières rumeurs

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Les délégués Junod et Straehler à Tokyo (A CICR (DR))

Marcel Junod et Margherita Straelher arrivent le 9 août au Japon. Le même jour l’URSS entre en guerre contre le Japon et l’aviation américaine largue une bombe atomique sur Nagasaki. La première bombe atomique a alors explosé trois jours plus tôt à Hiroshima. Il faut attendre le 15 août pour que l’Empereur annonce la reddition du Japon aux Alliés.  Junod cherche alors par tous les moyens à assurer la sécurité et l’évacuation des prisonniers alliés présents au Japon. Il engage à la hâte du personnel pour renforcer la délégation du CICR de Tokyo et organiser des visites. De nombreux camps de prisonniers qui étaient restés cachés sont découverts. Junod est effaré quand il découvre au camp d’Omori 200 aviateurs alliés qui ont été battus et torturés : « le quart de ces hommes ne sont même plus des malades mais des mourants. »  Junod prend ensuite contact avec l’état-major de la flotte américaine. Le 27 août il organise l’évacuation des prisonniers alliés et communique un plan par radio aux représentants des forces américaines.

Parallèlement à ces opérations d’évacuation, Junod charge un de ses collègues, Fritz Bilfinger, de se rendre à Hiroshima. De fait, Marcel Junod a toutes les difficultés à obtenir des informations sur les deux mystérieuses explosions atomiques : du côté américain le Haut-Commandement empêche toute information de filtrer, du côté japonais on garde le silence sur ce désastre. Des rumeurs circulent et évoquent un « phénomène surnaturel, plus meurtrier qu’un tremblement de terre, un typhon de lumière, de chaleur et de vent, qui balaie le sol et ne laisse après lui qu’un brasier ».  Le 30 août Bilfinger renvoie un télégramme à Marcel Junod :

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Fritz Bilfinger (CICR)

« …6 suzuki pour Junod… j’ai visité Hiroshima le trente conditions épouvantables … ville oblitérée quatre-vingt pourcent tous hôpitaux détruits ou sérieusement endommagés inspecté deux hôpitaux d’urgence conditions indescriptibles … effet bombe mystérieusement sérieux […] estimation est que plus centmille blessés encore dans hôpitaux d’urgence environs manquants cruellement pansements médicaments […] action immédiate hautement désirable aussi venue commission médicale denquete… »[31].

Le 1er septembre Junod reçoit enfin des photos prises à Hiroshima : celles-ci révèlent les souffrances endurées par la population de la ville. Junod se rend auprès des généraux Wainwright et Percival, du général Fitch, du Colonel Marcus, et du général Farrell. Le 4 septembre il fait une démarche formelle auprès du High Command et demande de lancer une opération de secours. La question est soumise au général MacArthur qui accède à sa demande.

« Le désastre d’Hiroshima »

Le 8 septembre 1945, Junod part pour Hiroshima. Il accompagne une commission spéciale d’experts américains. Déjà dans l’avion il observe un spectacle bien étrange :

« Le centre de la ville est une sorte de tache blanche, polie comme la paume de la main. Il ne reste plus rien. Les traces même des maisons semblent avoir disparu. La tache blanche s’étend sur un diamètre d’environ 2 kilomètres. Elle est bordée d’une ceinture rouge, trace de maisons brûlées, s’étendant sur une assez longue distance, difficile à évaluer de l’avion, couvrant presque tout le reste de la cité. Le spectacle est tout simplement étonnant ! »[32]

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Hiroshima après la bombe (A CICR (DR))

À son arrivée à Hiroshima, Junod rencontre le professeur Masao Tzusuki[33] dont les travaux de recherches portent sur les effets de la radioactivité sur les êtres vivants. Le témoignage de Marcel Junod est important dans la mesure où il est l’un des premiers médecins occidentaux à découvrir une ville ayant subi une explosion atomique. Pendant cinq jours il reste à Hiroshima, visite les hôpitaux et s’assure de la bonne répartition du matériel médical. En tant que médecin, il participe lui-même aux secours. Marcel Junod souhaite partager ses observations avec le CICR mais également avec les cercles les plus larges possibles. S’inspirant de la campagne de communication effectuée pour venir en aide aux enfants grecs, Junod cherche à obtenir des photographies[34]. Il a alors pour projet de réaliser une brochure illustrée pour montrer les dégâts et souffrances causés par l’arme atomique. Malheureusement, dès le 19 septembre 1945, le général macArthur étend la censure militaire aux informations concernant les bombardements de Hirohima et Nagasaki.

Surtout, Junod témoignera dans un document posthume publié en 1982 dans la Revue Internationale de la Croix-Rouge : le désastre d’Hiroshima. Ce texte développe certains des aspects décrits dans le Troisième combattant. Il apporte de nombreuses indications médicales sur les effets de la bombe. Il s’intéresse en particulier au travail réalisé par une équipe de l’Université impériale de Tokyo qui s’occupe de l’hôpital militaire d’Ugina. À la suite de ces observations Junod distingue quatre principaux effets à cette explosion : le premier est un « effet caustique » également appelé « flash burn », il s’agit des brûlures causées par les ultra-violets ; le second effet est thermique, les brûlures sont alors causées par la chaleur extrême dégagée par l’explosion. Le troisième effet est mécanique, il s’agit du souffle de l’explosion « infiniment plus grand que tout ce que nous connaissions précédemment ».  Le dernier effet est celui de la radioactivité : Junod décrit alors les symptômes de ce qu’il nomme « hiroshimite », à savoir le mal causé par une irradiation prolongée. En décrivant les symptômes de cette forme d’irradiation Marcel Junod cherche à décrire le plus précisément les effets de la bombe sur la population de la ville d’Hiroshima.

En guise de conclusion de son rapport Marcel Junod pose deux questions auxquelles il s’efforce de répondre :

« Quels sont les éléments nouveaux apportés par la bombe atomique dans l’art de la guerre ?

Y-a-t-il une défense possible pour la protection des civils contre de semblables attaques ? »

À la première question, Marcel Junod note que cette nouvelle arme pose un problème car elle ne respect pas le principe de distinction : par son énorme rayon elle étend son action sur des kilomètres.  Les équipes médicales et services publics ont été touchés. De plus, la radioactivité persistante met en danger les autres équipes de secours.

À la deuxième question Marcel Junod répond avec un recul historique. Il évoque les expériences menées sur l’atoll de Bikini et parle de « résultats encore plus effrayants » et note que toute protection semble être dérisoire devant le potentiel destructeur de telles armes : « pour celui qui a été témoin, même un mois après, de l’effet dramatique de cette arme nouvelle, il ne fait aucun doute que le monde est placé aujourd’hui devant le problème de son existence ou de son anéantissement. » Marcel Junod propose une comparaison avec l’apparition des gaz toxiques sur le champ de bataille :

« Les nations effrayées par les effets de ce poison, s’engagèrent après le conflit, dans une convention[35], à en bannir pour toujours l’usage dans les futurs conflits armés. Cet engagement fut tenu par toutes les nations durant la deuxième guerre mondiale, pour l’honneur de l’humanité. […]

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Monument dédié au docteur Junod à Hiroshima (A CICR (DR))

Seule une politique unifiée du monde peut le sauver de la destruction. De même que les médecins et les hommes de science se réunissent en congrès pour faire partager à leurs collègues le bienfait de leurs découvertes et de leurs idées nouvelles, les dirigeants des Etats doivent à leur tour prendre exemple sur ces hommes et donner au monde la sérénité qu’il attend ». [36]

En organisant des secours pour Hiroshima et en témoignant sur ce désastre Marcel Junod laisse un souvenir important dans la ville d’Hiroshima. En 1979 un monument lui est dédié au Parc du Mémorial de la Paix d’Hiroshima. Une réplique de ce monument est visible dans le parc de l’Ariana à Genève.

L’arme nucléaire, le développement du DIH et la position du CICR

En septembre 1945, Max Huber note qu’au cours du dernier conflit les « effets accrus » des bombardements ont mis à mal le principe de distinction entre civils et combattants. Il indique que les armes nucléaires, par leur potentiel destructeur, pourraient encore accentuer cette tendance.[37] Le CICR pose la question de la licéité de telles armes et appelle les états à s’entendre pour interdire leur emploi. C’est le début d’un engagement durable du CICR sur la question des armes nucléaires.  L’argument principal contre l’emploi de ces armes porte sur le non-respect du principe de distinction entre civils et combattants. Cet argument est régulièrement réactivé au cours des Conférences internationales dans les années 1950 et 1960. Aboutissement de cette réflexion, les articles 48 à 58 du Protocole additionnel I de 1977 réaffirment le principe de distinction entre combattants et population civile, objectifs militaires et objets civils. Ils interdisent les attaques indiscriminées et les représailles contre la population civile.

Fin décembre 2016, par la résolution 71/258, l’Assemblée générale des Nations Unies décide d’organiser en 2017 une Conférence pour trouver un « instrument juridiquement contraignant interdisant les armes nucléaires, en vue de leur élimination complète ». La conférence a lieu en Juin Juillet 2017 et débouche sur le Traité sur l’interdiction des armes nucléaires. À fin 2019, 34 pays avaient ratifié ce traité. Celui-ci entrera en vigueur lorsque 50 états l’auront signé et ratifié.

À l’occasion des 70 ans des bombardements d’Hiroshima et de Nagasaki, le CICR note que les survivants et leurs familles souffrent encore des effets des deux bombes larguées en août 1945.

« Hiroshima et Nagasaki : 70 ans après, les survivants et leurs familles souffrent toujours ».

Bien évidemment la mobilisation du CICR pour l’interdiction de l’emploi des armes nucléaires se poursuit encore actuellement. En 2019, en collaboration avec une entreprise allemande « Kurzgesagt – In a nutshell », le CICR réalise une vidéo de sensibilisation. Celle-ci s’insère dans une campagne de communication lancée en 2019 :

« Décidons de l’avenir des armes nucléaires avant qu’elles ne décident du nôtre. »

Pour en savoir plus sur la mission de Junod au Japon

Archives

Archives filmées

Archives sonores

Sources primaires

Ouvrages de référence

Articles et chapitres

Retour en Europe et rédaction du Troisième combattant

En été 1946 Marcel Junod quitte le CICR et décide de reprendre sa formation en chirurgie. De septembre 1946 à juillet 1947, Marcel Junod part à Paris faire un stage à l’hôpital Laënnec. À la même époque il rédige le Troisième combattant. Le livre est publié par Payot en français en 1947 avant d’être traduit en allemand.

Retrouvez les différentes traductions du Troisième combattant à la bibliothèque du CICR.

Il poursuit ensuite ses études en chirurgie thoracique à New-York. Là-bas, il rencontre Maurice Pate, le fondateur et premier directeur exécutif du Fonds d’urgence des Nations Unies pour les enfants, la toute jeune UNICEF. Celui-ci convainc Junod de partir en Chine en tant que Chef de mission de l’Institution mondiale pour les enfants. Cette mission est très difficile et Marcel Junod voit sa santé se détériorer progressivement. En 1949 Junod rentre à New York, son état se dégrade et il doit retourner en Europe. Il est opéré une première fois à Londres. Suite à cette intervention, il comprend qu’il ne pourra plus rester debout pendant de longs moments pour opérer : il réfléchit et décide de reprendre sa formation pour devenir anesthésiste. En 1953 Marcel Junod crée ainsi un département d’anesthésie à l’hôpital cantonal de Genève.

Le 23 octobre 1952, le CICR l’invite à l’unanimité à devenir membre du Comité. Six ans plus tard Marcel Junod est nommé vice-président du Comité international de la Croix-Rouge. En 1957 il effectue une mission à Vienne et Budapest après l’insurrection hongroise de 1956. En 1959, alors qu’il est vice-président du CICR Marcel Junod effectue une mission au Japon et en Corée[38]. Le CICR est alors chargé de régler l’épineuse question du rapatriement des 600 000 Coréens vivant alors au Japon. La mission est difficile car les opinions publiques japonaise et coréenne refusent l’intervention d’étrangers dans cette question.

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Marcel Junod et Léopold Boissier à Moscou (A CICR (DR))

En 1960, Marcel Junod accompagne le président du CICR en Pologne et en URSS où il rencontre les Sociétés nationales de la Croix-Rouge. La même année, il retourne en Extrême-Orient et se rend en Amérique du Nord toujours à la rencontre des Sociétés nationales.

En 1961 il décède brutalement d’une crise cardiaque alors qu’il vient de réveiller une patiente d’une anesthésie[39]. Ses obsèques ont lieu à la cathédrale Saint-Pierre à Genève. Deux allocutions sont alors prononcées : l’une par le Dr. René Meylan, président de la Société médicale de Genève. L’autre par le Président du Comité international de la Croix-Rouge, Léopold Boissier[40].

Le Troisième combattant : le « livre de chevet » du délégué ?

Le récit de Marcel Junod relate avec une grande force de conviction l’expérience de délégué. Dans l’Europe d’après-guerre, le Troisième combattant touche un large public et contribue à propager l’idéal humanitaire. Lors de sa parution, les retours sont positifs et Lucie Odier indique même qu’il s’agit d’une « excellente publicité indirecte pour le CICR ».

Il importe toutefois de souligner que le Troisième combattant a été critiqué. L’ouvrage est en effet assez partial et comprend de nombreuses omissions. D’aucuns notent qu’il confine parfois à l’hagiographie. Aucune mention par exemple de l’échec des négociations menées par Junod auprès des Soviétiques à Ankara. Le Troisième combattant est bien le fruit d’une reconstruction a posteriori. Il a contribué à la naissance d’un « mythe du Dr. Junod » qui n’a pas vraiment connu de remise en question depuis. Son témoignage et l’immense quantité de sources et documents y relatifs induisent un biais important dans tous les portraits du délégué Junod qui ont été dressés. Son écrit a donc pu véhiculer de nombreux contresens. Par certains aspects il est presque devenu encombrant : on note, par exemple, l’inexactitude très répandue qui fait du Dr. Junod le médecin occidental à avoir « découvert » Hiroshima. La lecture de ce témoignage ne doit donc pas faire perdre de vue les échecs du Dr. Junod,  ainsi que les mésententes qu’il a pu nourrir à l’égard de l’institution et de certains de ses collaborateurs.

Si ce texte continue d’être si fréquemment cité c’est parce qu’il est un des rares témoignages à présenter le travail des délégués. En l’état il cristallise nombre des enjeux auxquels ceux-ci font encore face aujourd’hui sur le terrain.

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Marcel Junod s’entretient avec l’homme de confiance des prisonniers (CICR)

Le travail de délégué a bien sûr évolué et certaines des situations présentées dans le Troisième Combattant ne seraient plus envisageables aujourd’hui : plus de délégué CICR avec sa Winchester sur le terrain aujourd’hui ! En revanche, d’autres situations demeurent encore : les difficultés rencontrées lors des négociations, la nécessité d’établir un lien de confiance avec les bénéficiaires sur le terrain, les tentatives d’instrumentalisation des enquêtes du CICR … toutes ces situations existent encore et se retrouvent dans chacun des contextes où les délégués du CICR sont impliqués.   Actuellement, tout collaborateur arrivant au CICR doit signer un engagement de discrétion. Le code de conduite des collaborateurs et collaboratrices du CICR indique que les collaborateurs du CICR « s’abstiennent d’éditer ou de publier à titre personnel des écrits […] relatifs aux aspects professionnels de son activité […] ». Les délégués, de la même façon que les autres collaborateurs, sont tenus d’observer la plus grande discrétion sur les affaires de service. Ce devoir subsiste après la cessation de la collaboration au sein du CICR. La parution d’un « témoignage de délégué du CICR » reste donc toujours sujette à caution : tout récit couvrant une période dont les archives sont encore classifiées pose un problème. Y’a-t-il un risque que ne soient dévoilées des informations qui pourraient entraver l’action du CICR sur le terrain ou nuire à son image ?

D’une manière générale, les collaborateurs ne sont pas supposés s’exprimer sur les activités du CICR sans avoir reçu l’aval de leurs responsables hiérarchiques[41]. Ces dispositions font du témoignage de Junod un document rare : ce texte est assez unique dans ce qu’il permet de montrer du travail de délégué. En 2005, François Bugnion, alors ancien directeur du Droit international humanitaire du CICR résume ainsi l’importance du délégué Junod :

« Junod, par son action, a créé un modèle opérationnel de délégué. En ce sens, tous nos délégués sont les héritiers spirituels de Marcel Junod. »[42]

Ouvrages et films inspirés par le Troisième Combattant :

Ouvrage :

Documents audiovisuels :

Retrouvez depuis le portail des Archives audiovisuelles du CICR les vidéos produites par nos collègues de Paris en 2013 :

 

[1] TROYON Brigitte Troyon et PALMIERI Daniel, « Délégué du CICR : un acteur humanitaire exemplaire ? », Revue internationale de la Croix-Rouge, Vol. 89, no 865, mars 2007, p. 67

[2] DE TSCHARNER Bénédict, Inter Gentes : Hommes d’État, diplomates, penseurs politiques, Édition de Penthes, Genève, 2012

[3] Bulletin international des Sociétés de la Croix-Rouge, no. 398 , octobre 1935, p. 777

[4] Circulaires 319 et 320

[5] JUNOD Marcel, Le troisième combattant : de l’ypérite en Abyssinie à la bombe atomique d’Hiroshima, Librairie Payot, Lausanne, 1947, p. 31

[6] BAUDENDISTEL Rainer, Between bombs and good intentions: the Red-Cross and the Italo-Ethiopian war 1935-1936, Berghahn books, New York, 2006, p. 127

[7] Circulaire 323, Annexe II

[8] Convention de Genève pour l’amélioration du sort des blessés et des malades dans les armées en campagne du 27 juillet 1929, Genève : [CICR], [1930]

[9] JUNOD Marcel, Le troisième combattant : de l’ypérite en Abyssinie à la bombe atomique d’Hiroshima, Librairie Payot, Lausanne, 1947, p. 53

[10] BAUDENDISTEL Rainer, Between bombs and good intentions: the Red-Cross and the Italo-Ethiopian war 1935-1936, Berghahn books, New York, 2006, p. 274

[11] Circulaire no. 325

[12] Conférence internationale de la Croix-Rouge, Dixième conférence internationale de la Croix-Rouge, tenue à genève du 30 mars au 7 avril 1921 : compte-rendu, Genève : Imprimerie Albert Renaud, 1921, p. 218

[13] Circulaire 330

[14] JUNOD Marcel, Le troisième combattant : de l’ypérite en Abyssinie à la bombe atomique d’Hiroshima, Librairie Payot, Lausanne, 1947, p. 88

[15] MARQUÉS Pierre, La Croix-Rouge pendant la guerre d’Espagne (1936-1939) : les missionnaires de l’humanitaire, Paris ; Montréal : L’Harmattan, 2000, p. 379

[16] DJUROVIC Gradimir, L’Agence centrale de recherches du Comité international de la Croix-Rouge : [activité du CICR en vue du soulagement des souffrances morales des victimes de guerre], Genève : Institut Henry-Dunant, 1981, p. 115

[17] COURVOISIER Raymond, Ceux qui ne devaient pas mourir : de la Guerre d’Espagne aux réfugiés palestiniens, quarante ans de combat sans armes, Editions Robert Laffont, Paris, 1978, p. 18

[18] Comité international de la Croix-Rouge, « Marcel Junod : membre du Comité International de la Croix-Rouge  », Revue Internationale de la Croix-Rouge, Vol. 43, no 511, 1961, p. 336

[19] JUNOD Marcel, Le troisième combattant : de l’ypérite en Abyssinie à la bombe atomique d’Hiroshima, Librairie Payot, Lausanne, 1947, p. 120

[20] Comité international de la Croix-Rouge, « Mission en Allemagne », Revue Internationale de la Croix-Rouge, Vol. 21, no 250, octobre 1939, p. 789

[21] Probablement le Danziger Neueste Nachrichten

[22] Comité international de la Croix-Rouge, « Visites de camps, par des délégués du Comité international de la Croix-Rouge, en pays belligérants et en pays ayant rompu les relations diplomatiques avec certains Etats. », Revue Internationale de la Croix-Rouge, Vol. 21, no 252, décembre 1939, p. 961

[23] Comité international de la Croix-Rouge, « Chronique de l’Agence centrale des prisonniers de guerre », Revue Internationale de la Croix-Rouge, Vol. 22, no 259, juillet 1940, p. 548

[24] Comité international de la Croix-Rouge, « Missions de Comité international de la Croix-Rouge : visite de camps de prisonniers de guerre et d’internés civils en France », Revue Internationale de la Croix-Rouge, Vol. 22, no 260, août 1940, p. 605

[25] Comité international de la Croix-Rouge, « Mission à Vichy et mission à Berlin », Revue Internationale de la Croix-Rouge, Vol. 22, no 260, juillet 1940, p. 673

[26] Marcel Junod, Le troisième combattant : de l’ypérite en Abyssinie à la bombe atomique d’Hiroshima, Librairie Payot, Lausanne, 1947, p. 172

[27] Daniel Palmieri et Fania Khan Mohammad, « Des morts et des nus : le regard du CICR sur la malnutrition extrême en temps de guerre (1940-1950) », in Renée Dickason, Mémoires croisées autour des deux guerres mondiales, Paris : Mare & Martin, 2012, p. 88

[28] Marcel Junod, Le troisième combattant : de l’ypérite en Abyssinie à la bombe atomique d’Hiroshima, Librairie Payot, Lausanne, 1947, p. 173

[29] Ibid., p. 193

[30] Commune de Jussy ; Benoît Junod, Masaru Matsunaga ; préf. d’André Durand, Témoin d’Hiroshima : l’odyssée d’un délégué du CICR : Dr Marcel Junod 1904-1961, Jussy : Commune de Jussy, mai 2004, p. 19

[31] Fritz Bilfinger, ICRC reports on the effects of the atomic bomb at Hiroshima, in International review of the Red Cross, Vol. 97, no. 899, Autumn 2015, p. 859-882 : fac-sim.

[32] Marcel Junod, « Le désastre d’Hiroshima », in Revue Internationale de la Croix-Rouge, No 737 et no 738, septembre-octobre 1982 et novembre-décembre 1982, p. 274-289, p. 340-358, p. 280

[33] En 1954, lors de la Commission d’experts pour la protection juridique des populations civiles et des victimes de la guerre en général contre les dangers de la guerre aérienne et l’emploi des armes aveugles, Masao Tsuzuki présente deux rapports « Effets nocifs de la bombe atomique sur le corps humain considérés au point de vue médical », et « Les effets des cendres de Bikini considérés au point de vue médical »

[34] Erika Deuber Ziegeler, Jean-Louis Feuz, « Marcel Junod, la guerre atomique et le CICR » in Les images en guerre (1914-1945) : de la Suisse à L’Europe, Lausanne : Antipodes, 2008

[35] Marcel Junod fait ici référence au Protocole concernant la prohibition d’emploi à la guerre de gaz asphyxiants, toxiques ou similaires et de moyens bactériologiques, ouvert à la signature depuis juin 1925. Selon Junod, les désastres causés par les gaz de combat lors de la Première Guerre mondiale ont inspiré les Etats dans l’établissement de ce Protocole.

[36] Marcel Junod, « Le désastre d’Hiroshima », in Revue Internationale de la Croix-Rouge, No 737 et no 738, septembre-octobre 1982 et novembre-décembre 1982, p. 274-289, p. 340-358, p. 358

[37] HUBER Max, « La fin des hostilités et les tâches futures de la Croix-Rouge », in Revue Internationale de la Croix-Rouge, Vol. 27, No 321, septembre 1945, p. 660

[38] CICR, Rapport d’activité : 1959, Genève : CICR, 1960, p. 20

[39] Le Journal de genève : https://www.letempsarchives.ch/page/JDG_1961_06_17/10/article/7014559/Marcel%20Junod

[40] † Marcel Junod. (1961). Revue Internationale De La Croix-Rouge, 43(511), 336-339. doi:10.1017/S0035336100138961

[41] CICR, Code de conduite pour les collaborateurs et collaboratrices du Comité international de la Croix-Rouge, Genève : CICR, août 2018

[42] https://www.swissinfo.ch/fre/marcel-junod–le-secouriste-suisse-d-hiroshima/4649694