Avertissement : Cet article a été publié une première fois sur ICRC History, l’ancien blog des archives et de la bibliothèque du Comité internationale de la Croix-Rouge (CICR). C’est la mise en page d’origine qui est reprise ci-dessous.


Le Comité

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Extrait du film Genève, Promenade du Pin, juillet 1923; © CICR; BROCHER, Jean; 1923, V-F-CR-H-00013-B.


Les métiers de la santé et de l’assistance

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Extrait du film Aidez ceux qui aident; © CICR; BARANY, Carl von; 1948, V-F-CR-H-00004.


L’Agence centrale de recherches

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Extrait du film Au revoir Monsieur le Président, 4 mai 1987 : dernière conférence de presse; © CICR; inconnu; 1987, V-F-CR-F-00028-B.

Le troisième et dernier extrait qui va nous intéresser est tiré du film Au revoir Monsieur le Président, 4 mai 1987 : dernière conférence de presse tourné en 1987 en 16 mm et en couleur. Le film montre les différentes séances d’adieux organisées pour le départ du Président Alexandre Hay. Le personnel féminin travaillant au siège apparaît dans plusieurs scènes du film. Il est aisé de remarquer que le nombre de femmes est très élevé ; égal voire même supérieur au nombre d’hommes. La séance de passation des pouvoirs est également filmée, elle a eu lieu le 6 mai 1987 dans la salle de l’Alabama. Cette salle située à l’Hôtel de Ville de Genève est emblématique car il s’agit du lieu dans lequel a été signée la première Convention de Genève. Le Comité est alors réuni autour de quatre tables formant un carré, différents membres font un discours en l’honneur de Monsieur Hay. Parmi eux, Madame Denise Bindschedler-Robert, membre du Comité depuis 1967 et occupant la fonction de vice-présidente en 1987, prend la parole. Cet extrait de film d’une durée d’environ une minute est particulièrement intéressant car non seulement, une femme du Comité y est représentée, mais qui plus est, la parole lui est donnée. L’extrait débute par un plan rapproché-taille de Denise Bindschedler qui se tient debout et dont le regard se dirige sur la droite du champ vers le bas, soit, en direction du président assis à côté d’elle. Madame Bindschedler est filmée légèrement de profil et apparaît sur la moitié gauche du champ. Elle est vêtue d’une veste de tailleur grise et d’un chemisier gris à col montant avec bouton. Ses cheveux sont gris et courts, son aspect est sobre et très formel. Derrière elle, à gauche du champ, on remarque une peinture, datant probablement du XVIIIe siècle, avec cadre ancien à ornements dorés et le portrait d’un homme aux cheveux longs et blancs. Sur la droite du champ, se trouvent deux petits cadres qui représentent également des portraits. La vice-présidente tient dans sa main gauche un papier sur lequel elle a noté son discours, sa parole est ponctuée par des regards en direction du président qui se trouve alors hors-champ. Le plan suivant ne dure que quelques secondes, il s’agit d’un raccord sur le regard qui montre le président assis. Il est filmé en plan rapproché-poitrine et il sourit aux propos de Madame Bindschedler. Puis, survient un nouveau changement de plan, la caméra revient sur la vice-présidente avec un cadrage légèrement plus rapproché qu’au début. Ensuite, sans qu’intervienne un changement de plan, la caméra effectue un zoom arrière ce qui permet de recadrer le plan sur Madame Bindschedler (à gauche) et Monsieur Hay (à droite). La séquence du discours de la vice-présidente se termine sur cette image. Quant au propos de Denise Bindschedler, il commence ainsi : « Monsieur le Président, mon cher Sandro, c’est à moi qu’échoit l’honneur de vous adresser quelques paroles au nom de vos collègues du Comité », dans la suite du discours, elle raconte une anecdote sur le président.

Les images de cette séquence, ainsi que les propos tenus par la vice-présidente tendent à confirmer un changement de mentalité du Comité international de la Croix-Rouge (CICR) concernant le rôle des femmes dans la gouvernance. La posture de Madame Bindschedler dans ce film est celle d’une femme écoutée et respectée. Se tenant debout devant ses collègues, très droite et d’apparence plutôt austère, elle effectue son discours avec assurance, fermeté et humour. D’ailleurs, lorsqu’elle raconte son anecdote, Monsieur Hay sourit et les gens présents à la séance n’hésitent pas à en rire. Tout comme Lucie Odier dans le film Aidez ceux qui aident, Denise Bindschedler occupe ici le devant de la scène et le spectateur est en mesure de sentir le fort pouvoir décisionnel qu’elle possède au sein du Comité. En outre, elle surpasse hiérarchiquement son aînée car elle est la première femme, depuis la création du CICR, à occuper la fonction de vice-présidente. Même si les femmes faisant partie du Comité en 1987 restent minoritaires (seulement 3 femmes sur 21 membres), une nette évolution a eu lieu. Selon les propres dires de Denise Bindschedler, c’est à elle que revient la charge de faire un discours au nom des autres membres du Comité. Elle a donc non seulement une fonction importante mais elle est également tout à fait apte à représenter la pensée de ses collègues masculins.

Madame Bindschedler est élue à l’âge de 47 ans au sein du Comité. Contrairement à Pauline Chaponnière-Chaix ou à Lucie Odier, elle n’est pas d’origine genevoise mais bernoise et nous n’avons pas d’informations sur sa confession religieuse. De plus, elle n’a pas d’activités en lien direct avec des actions de secours ou une profession de la santé, mais elle est juriste et professeur de droit. Les critères de sélection d’entrée au Comité semblent avoir été pendant longtemps plus stricts lorsqu’il s’agissait d’élire une femme. En effet, il était décisif que cette dernière fasse partie de l’élite protestante genevoise alors que pour les hommes, déjà à partir de 1923, ces critères commencent à s’atténuer avec l’élection d’un membre catholique, Giuseppe Motta. Ainsi, près d’un siècle après sa création, le Comité semble enfin avoir infléchi ses exigences au niveau de l’origine et des caractéristiques sociales et religieuses de sa gente féminine, privilégiant plutôt des femmes ayant un niveau d’étude exceptionnel et un parcours professionnel remarquable.
En guise de conclusion, ce que l’analyse des images de ces trois extraits de films révèle va bien au-delà d’une étude centrée uniquement sur des éléments factuels de l’histoire des femmes au sein du Comité. Les images animées constituent le témoignage vivant d’une époque donnée. Dans le film de 1923 Genève, Promenade du Pin, juillet 1923, il n’y a pas une volonté de mise en scène, mais plutôt une préoccupation de filmer la réalité telle qu’elle apparaît. Aucun mouvement de caméra ne vient souligner le fait qu’une femme est présente dans l’assemblée. Madame Chaponnière-Chaix passe quasiment inaperçue, elle est même à plusieurs reprises cachée par son collègue. Même si le film est muet, le spectateur remarque l’attitude passive de la plupart des membres du Comité, l’élue reste très silencieuse et discrète tout au long de la séance. Le film Aidez ceux qui aident de 1948 adopte quant à lui une posture complètement différente. Aidé par l’évolution des moyens techniques cinématographiques, le film cherche à montrer certains aspects bien précis du travail du Comité. Ainsi la mise en scène, met au centre Madame Odier en tant que figure clé dans la prise de décisions opérationnelles. De plus, la manière de filmer dénote une forte volonté d’esthétisme. Bien que le film soit sonore, le spectateur ne peut pas entendre la voix de Madame Odier car le son en voix-off recouvre ses paroles. Elle est donc vue mais pas entendue. Enfin, dans le film de 1987 Au revoir Monsieur le Président, 4 mai 1987 : dernière conférence de presse, il ne s’agit pas d’une mise en scène, mais à nouveau, comme dans le film de 1923, du tournage d’une séance au plus proche de la réalité. Cependant, les effets de caméra viennent non seulement souligner la présence de Madame Bindschedler mais également la mettre en valeur. Pour la première fois, la parole d’une femme du Comité est entendue et mise en avant. Malgré les différences, on reconnaît dans ces trois films une certaine ligne commune à ces femmes du Comité ; un style vestimentaire très formel et classique (chemisier, jupe et veste de tailleur plutôt dans des couleurs sobres), une certaine droiture dans la posture et de la sobriété dans l’attitude. Qui plus est, toutes trois se distinguent par un parcours professionnel remarquable.

Qu’en est-il de la situation du Comité en 2015 ? Les membres sont toujours de nationalité suisse et les femmes, bien que plus nombreuses qu’auparavant, restent minoritaires. Elles représentent un tiers du Comité, soit 6 femmes sur 20 membres. Le poste de vice-présidente est à nouveau occupé par une femme, Madame Christine Beerli, depuis 2008. Et enfin, osera-t-on poser la question : à quand une femme présidente du CICR ?

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Extrait du film Défi africain, CICR; Derek Hart Productions, 1978, V-F-CR-H-00137

La santé et l’assistance sont depuis toujours des domaines où les femmes ont leur place et sont reconnues. Jusque dans les années 1970, la figure féminine est avant tout regardée comme celle d’une mère, synonyme de bonté et de dévouement. Elle est le symbole de la charité par excellence. Elle est donc largement représentée dans les films humanitaires qui cherchent la compassion et l’attendrissement du public.

Dans le film de 1921 intitulé Les réfugiés russes de Constantinople, une femme avec un brassard de la Croix-Rouge est au centre de l’image. Jeune et dynamique, elle s’occupe des enfants et les prend dans ses bras. D’après ce que l’on sait, elle faisait sûrement partie de la Croix-Rouge américaine ou de la Croix-Rouge russe. Elle représente l’« image idéale de l’infirmière en bon Samaritain » (1). Nous disposons de très peu d’informations à son sujet, mais elle ne semble pas être infirmière, elle s’occuperait plutôt de l’assistance et des secours.

Trente ans plus tard, dans le film Action Bengale, Dr. Marti, nous retrouvons la même image attendrissante d’une infirmière tenant dans ses bras un enfant.

Le film S.O.S. Congo, tourné en 1960, montre du personnel médical de la Croix-Rouge canadienne. On y voit les chambres des infirmières, une réunion en présence de leurs collègues masculins, ainsi que le travail effectué avec les patients. Le spectateur actuel sera frappé d’entendre le commentaire misogyne accompagnant cet extrait de film.

Dans ce film de 1978, intitulé Défi africain (ci-dessus), la parole est donnée à une infirmière qui accompagne un médecin dans un camp de réfugiés. On sent un contraste dans la manière dont l’infirmière est filmée par rapport aux images des films précédents, elle semble être plus autonome et libre de ses actions. Cependant, ses propos révèlent un manque de confiance dans la position qu’elle occupe. Non seulement, elle a peur d’être une femme dans un camp de réfugiés à majorité masculine, mais qui plus est, elle s’inquiète de ce que sa couleur de peau – différente de celle des réfugiés – aurait pu provoquer. Les craintes de cette infirmière – qui s’avèrent au final infondées – peuvent nous sembler choquantes aujourd’hui, surtout formulées de la sorte. Néanmoins, elles découlent directement d’une manière de penser propre à la société de l’époque.

Pour conclure, les films du CICR s’inscrivent avant tout dans le contexte d’un cinéma humanitaire à visée didactique et morale. Cherchant à rester neutres autant que possible vis-à-vis des différents contextes dans lesquels le CICR travaille, ces différents extraits nous prouvent que les images filmées sont néanmoins empreintes d’une idéologie partiale et condescendante propre à une époque donnée.

(1) NATALE Enrico, « Quand l’humanitaire commençait à faire son cinéma : les films du CICR des années 20 », Revue internationale de Croix-Rouge, vol. 86, n°854, juin 2014, pp. 427-428.

Afin de rétablir les liens familiaux rompus par les hostilités et de soulager les souffrances morales des victimes de la guerre, le CICR met très tôt en place des Agences de renseignements.

La création de l’Agence internationale des prisonniers de guerre (AIPG) lors de la Première Guerre mondiale requiert une importante augmentation des ressources humaines du Comité international de la Croix-Rouge (CICR ); « l’institution qui fonctionnait jusque-là de manière artisanale est obligée de mobiliser des forces nouvelles à la mesure des besoins gigantesques : 3000 personnes seront ainsi uniquement employées pour les besoins de l’Agence » (1). Les femmes sont largement sollicitées puisque elles représentent 66 % du personnel (2).

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Extrait du film “Le drapeau de l’humanité = The flag of mercy”, CICR, 1942, V-F-CR-H-00032

Les premiers films du Comité international de la Croix-Rouge (CICR) montrant le travail de l’Agence centrale des prisonniers de guerre datent de la Seconde Guerre mondiale. Le film Le drapeau de l’humanité produit en 1942, présente l’Agence centrale des prisonniers de guerre (ACPG) créée en 1939. Dans cet extrait, on voit le travail effectué par les différents services techniques : service des photocopies, service de dactylographie, service des listes. Ces images prouvent que les femmes – aussi bien bénévoles qu’employées – y sont largement représentées, voire même plus nombreuses que le personnel masculin.

Certaines femmes y ont fait toute leur carrière et ont très vite accédé à des postes à responsabilités. C’est le cas de Marguerite van Berchem

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À partir de 1960, le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) décide de créer un département permanent pour l’Agence qui se nomme désormais Agence centrale de recherches (ACR). Elle continue de s’occuper des prisonniers de guerre mais s’efforce également de rétablir les liens familiaux entre civils séparés dans le cadre de conflits armés. Dans ce film de 1984 intitulé Lettre du Liban, Christiane Tschopp, déléguée travaillant pour l’ACR, explique en quoi consiste son travail. Christiane, qui se trouve au Liban depuis plus d’un an, occupe une place importante dans ce film. La manière dont elle est filmée permet de mettre en valeur son travail et de lui donner directement la parole.

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Dans cet extrait tiré du film Nouvelles de vie datant de 1988, on voit des femmes travaillant pour l’Agence centrale de recherches (ACR) au Siège du Comité international de la Croix-Rouge (CICR) à Genève. Ces images font écho à celles du film de 1942 Le drapeau de l’humanité, notamment, le plan où l’on voit une collaboratrice faisant des photocopies. Ce secteur semble être devenu exclusivement féminin car aucun homme n’apparaît à l’écran.

Le temps passe mais le travail de l’Agence, sous ses formes successives, et de ses collaborateurs paraît s’inscrire dans une certaine continuité. On peut supposer que si le personnel féminin y obtient et y conserve une place privilégiée, c’est peut-être que le son travail de l’Agence – qui consiste à rétablir le lien – n’est pas sans rappeler l’image de la mère qui fonde et unit le noyau familial.

(1) PALMIERI Daniel, « Guerre, humanité et féminité : le Comité international de la Croix-Rouge et les femmes (1863-1965) », in Delaunay Jean-Marc et Denéchère Yves (dir.), Femmes et relations internationales au XXe siècle, Paris, Presses Sorbonne Nouvelle, 2006, p. 191.
(2) D’après la Liste des personnes ayant travaillé à l’Agence international des prisonniers de guerre (août 1914-décembre 1918), in L’Agence internationale des prisonniers de guerre, Genève 1914-1918, Genève, CICR, 1919, p. 113.